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Aequilibrium – Interview de la danseuse et chorégraphe Camille Dewaele

Aequilibrium – Interview de la danseuse et chorégraphe Camille Dewaele

Camille Dewaele Aequilibrium

La danseuse et chorégraphe Camille Dewaele prépare sa première création Aequilibrium prévue le 13 mai 2025 au Manège de Maubeuge. Au croisement de plusieurs esthétiques chorégraphiques, Camille est accompagnée par le Ballet du Nord - Centre Chorégraphique National de Roubaix au sein duquel elle a bénéficié d’un tremplin en tant que jeune créatrice. Elle s’est confiée à LillelaNuit autour des thèmes qui lui tiennent à cœur.

Lutter en cherchant l’équilibre

Quelle est l’origine du projet Aequilibrium, ta première création solo que tu chorégraphies et dans laquelle tu danses ? Pourquoi un solo ?

J’avais commencé à faire pas mal de performances dans le cadre de projets comme des CLEA (contrats locaux d’éducation artistique). Je voulais développer ce travail entamé et prendre un peu la mesure et l’impact d’une approche en solo qui est complètement différente de ce que j’avais pu vivre en tant qu’interprète où l’on est souvent plusieurs sur le plateau. L’idée c’était de pouvoir partager ce qui est viscéral chez moi, c’est-à-dire une forme hybride de danse, un mélange de différentes formes. En choisissant de faire un solo, j’ai forcément été concernée par la question de l’équilibre intérieur, de l’estime de soi et de la confiance en soi. Comment fusionner mes disciplines avec la thématique des extrêmes, sujet qui me traverse depuis plusieurs années. Le solo, c’est à la fois pouvoir me présenter en tant que danseuse à travers une performance de cinquante minutes et aller en profondeur sur les questions que je viens d’aborder. Est-ce vivable de subsister dans les extrêmes ? Est-ce que nous ne sommes pas tous et toutes en quête d’un équilibre intérieur ? C’est parfois en les convoquant qu’on se rend compte que les extrêmes ne sont pas la solution. Comment ne pas renier à la fois son caractère, sa force et ses faiblesses tout en sachant vivre en société ?

La thématique de l’équilibre s’applique à de nombreux champs. Pourquoi, dans ton projet Aequilibrium, mettre en lumière et lier cette notion avec des préoccupations féministes ?

J’envisage la question du féminisme de manière plus élargie, universelle :  être bien avec soi-même que l’on soit homme ou femme. Comment peut-on déployer nos forces tout en imposant nos limites ? Savoir se respecter et développer un amour inconditionnel envers soi sont les réflexions au cœur du solo. Je me sens concernée par la lutte contre les violences faites aux femmes : avoir des points de repères, apprendre à mieux se connaitre et savoir là où je pense que ça va trop loin pour avoir la force de fuir certaines situations. Sur scène, je déséquilibre volontairement mon corps et lui impose des états angoissants voire anxiogènes. Parfois, je traverse d’autres états au contraire beaucoup plus confortables de sorte à désaxer le public. Je suis sans cesse en équilibre, tiraillée entre deux polarités. Je me suis vraiment attelée à traverser des extrêmes. Et en fait ce n’est pas jouable. On est toujours en train de trouver une forme d’équilibre intérieur. Pour moi, la quête de la sérénité et de la plénitude est une façon de lutter contre toutes formes de violence envers soi-même mais aussi envers les autres. Des femmes victimes de violences sont venues me voir à l’avant-première du solo (en novembre 2024). Une d’entre elles a pris le micro et m’a dit que c’était comme le  reflet d’une sensation vécue. C’est ça que j’essaie de convoquer par le biais du corps.

Est-ce vivable de subsister dans les extrêmes ? Est-ce que nous ne sommes pas tous et toutes en quête d’un équilibre intérieur ?

Camille Dewaele

Une artiste engagée auprès des publics éloignés de la culture

Tu es née à Roubaix et tu as grandi dans le Nord de la France plus précisément à Aulnoye-Aymeries. Pour ce projet, tu es accompagnée par le Ballet du Nord - Centre Chorégraphique National de Roubaix. Quel est le lien que tu as avec la région ? Pourquoi avoir décidé de t’y établir en tant qu’artiste ?

Je suis née à Roubaix, la dernière d’une fratrie de six enfants. Mes parents sont allés dans l’Avesnois où j’y ai connu plusieurs villes. Au lycée, je suis revenue à Roubaix pour mon bac littéraire option théâtre avec lequel j’avais des stages au sein de l’école du Ballet du Nord. Ma vie oscillait entre le sud du département et la métropole lilloise. Je suis attachée aux territoires semi-ruraux notamment dans l’Avesnois où il est important de danser avec les gens. J’y ai performé dans des lieux inattendus tels que des médiathèques ou des marchés. Avant la création de mon solo, le Ballet du Nord m’a proposé de danser dans des formats in situ, des lieux non dédiés où je devais faire preuve d’adaptabilité. J’ai été séduite par ce format parce que c’est aussi ce que je pratique du côté de Rouen. La question des mobilités qu’elles soient géographiques ou psychologiques font partie de mes réflexions. J’ai beaucoup travaillé avec des jeunes, a priori éloignés de la culture, dans mes métiers précédents. L’Avesnois est un territoire qui m’a vue grandir enfant, adolescente, jeune adulte et sur lequel j’évolue encore. Concernant la ville de Roubaix, j’y ai une attache particulière parce que j’y suis née et ma carrière de danseuse professionnelle a commencé là. C’est un honneur d’être accompagnée et produite par le Centre Chorégraphique National de Roubaix pour ce premier solo. Il y a une confiance réciproque dans ce partenariat artistique. Ensemble, on essaie de réfléchir, main dans la main, à développer les actions sur le territoire. Un chose qu’ils m’ont appris c’est de ventiler le spectacle vivant partout dans la région. Les Hauts-de-France sont un véritable terreau de création. Je suis très fière d’être du Nord.

Avant de faire de la danse ton métier, tu travaillais dans le social. Ce parcours fait partie de ton ADN artistique. Tu as notamment fait une résidence d’une semaine au Centre Hospitalier du Rouvray en 2024, est ce que tu peux nous en dire plus ?

Pour résumer mon parcours, j’ai grandi dans une famille qui a principalement travaillé dans le médico-social. Dès petite, j’étais auprès de personnes en situation de handicap. Mes parents m’ont transmis assez naturellement le contact, l’empathie et l’appréhension de l’éducation spécialisée dans sa globalité. J’ai étudié les questions de l’intervention sociale, le développement local et l’éducation populaire à l’université. J’ai travaillé avec un public dit « empêché » victime de précarité, d’addictions et de violences. Ça peut paraître compliqué d’appréhender certaines thématiques avec un public sensible parce qu’on est pas là pour faire pire que mieux mais bien pour recueillir une parole. La danse a toujours fait partie de ma vie depuis que je suis enfant. J’ai donc trouvé un croisement entre mon ancienne profession et celle d’aujourd’hui. La danse est un média, une manière de rentrer dans le sensible de l’autre et de venir convoquer chez lui des émotions. La représentation, accompagnée d’un temps d’échange, peut permettre parfois une libération de la parole et des émotions. En 2024, j’ai dit à l’équipe du Ballet du Nord que j’avais envie de développer un solo. Ils m’ont proposé de créer du lien avec des adolescents en grande difficulté à l’hôpital psychiatrique du Rouvray sous l'égide de Denis Lucas (Attaché Culturel du CHR). J’avais besoin de m’imprégner de différentes corporalités, de comprendre leur manière de se mouvoir, leur rapport aux autres. Ça m’a challengée parce que c’est un public que je ne connaissais pas. C’était aussi nouveau pour eux. J’ai essayé de trouver la bonne accroche en dansant d’abord devant eux, en partant de leurs goûts musicaux. Puis, je les ai mis en mouvement très progressivement. Au fur et à mesure, ils m’ont accordé leur confiance. Auprès des adultes, j’ai performé dans des UMD (unités pour malades difficiles). Ça m’a beaucoup apporté sur le plan humain. J’ai compris l’impact que pouvait avoir la danse sur  la communication non-verbale.

L’univers esthétique de Aequilibrium

Au croisement de plusieurs disciplines telles que le contemporain, le hip-hop, le krump ou encore le flamenco ? Comment est-ce que tu décrirais ta danse et quelles ont été les différentes étapes de ta création ?

Je m’interroge toujours sur « pourquoi je fais ce mouvement ? Pourquoi j’écris cette partition ? » afin d’établir une dramaturgie solide. Pour que je puisse me concentrer sur le propos, la technique doit être en place. C’est la raison de ma formation en flamenco depuis quelques années et puis aussi en contemporain avec Sylvain Groud (actuel directeur du CCN de Roubaix) qui est aussi mon regard extérieur. J’aime les danses avec du caractère. Le flamenco est une danse très ancrée mais le solo a aussi besoin de légèreté d’une gestuelle plus contemporaine, plus aérienne. L’hybridité de la performance naît d’un métissage de disciplines et de mouvements viscéraux. La manière de créer s’est basée autour des thématiques que je voulais aborder dans le solo pour y accoler une discipline de danse qui me paraît juste, la plus proche en tout cas de ce que j’ai envie de faire ressentir au public. Je peux passer d’un mannequin de fashion-week, à un être monstrueux, ou bien d’une petite fille pour finir par incarner une guerrière walkyrie. J’exprime différents états de corps. Chaque passage est une renaissance. Cet état d’être engendre logiquement un autre état. J’essaie de trouver à chaque fois une réponse organique à ce qui a précédé.

Dans ce solo, tu danses avec un large tissu, qui couvre, découvre, révèle ton corps mais aussi avec lequel tu te débats. Pourquoi ce choix scénographique ?

Je l’imaginais comme un duo. Ce tissu de soie est un partenaire de scène. Il peut être à la fois mon allié comme mon ennemi. Il faut l’apprivoiser aussi. Il représente la fine pellicule, le cocon protecteur mais il peut aussi s’incarner comme un outil de dangerosité puisque quand je suis au-dessous le public ne sait pas ce qui s’y passe. Il participe à mes métamorphoses. Je peux être ce que je veux avec ce tissu. C’est une « schizophrénie scénographique ». Il me permet de cacher ce que je ne veux pas montrer tout comme il peut m’aider à révéler et exacerber certaines facettes de moi. C’est un jeu de transformation et il met en lumière tout ce que je voulais exprimer sur cette notion d’équilibre. Lorsqu’il est tendu, entre deux extrêmes, il est prêt à aller plus d’un côté que de l’autre. Parfois, il est capricieux parce que sa matière est mouvante. Les accroches ne sont pas toujours les mêmes ou bien si je le jette en l’air, il ne retombera pas forcément à chaque fois de la même manière. Je dois sans cesse être à son écoute.

Est ce que tu pourrais nous en dire davantage sur l’univers sonore signé du danseur et musicien Mathieu Calmelet ?

Pour être franche, je ne connaissais pas beaucoup Mathieu ni son travail en tant que danseur. Je l’ai rencontré d’abord en tant que compositeur. Ça a super bien matché. Je viens du hip-hop donc la question du rythme est assez importante pour moi. Il a tout de suite compris mon univers. C’est un langage commun que l’on a trouvé ensemble. On a beaucoup discuté des tableaux qui composent la pièce et de la dramaturgie. Il a d’abord créé au plateau avec moi et après en studio. Je lui ai donné des directions de là où j’aimerais arriver dans ma danse. Par exemple, moment inattendu qui m’a marquée : j’ai enregistré des respirations et des bruits de gorges un peu comme le font les Inuits. Dans le micro, je me mets à rire spontanément. Mathieu a retravaillé à partir de mes rires et ça apparait désormais dans une partie de la bande son. L’univers sonore s’approche de bruits que produisent les avalanches ou de bruits plus métalliques ou au contraire ça peut être plus aérien. Parfois, il s’agit de nappes sonores électro ou de beats de krump aussi. La musique tout comme la lumière (création de Adrien Hosdez) épousent parfaitement les états de corps et m’accompagnent dans mes différentes transformations.

Aequilibrium, le teaser

La première de Aequilibrium, c'est le 13 mai 2025 au Manège Scène Nationale de Maubeuge
Du 20 au 24 mai 2025 au Phénix de Valenciennes
Le 03 juin au Théâtre Léo Ferré à Aulnoye-Aymeries
À partir de 12 ans

Photo : © Alexandre Dinaut 

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