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Agnès Varda & JR – « Visages Villages »

Agnès Varda & JR – « Visages Villages »

Agnès Varda et JR Visages Villages Style : Documentaire Date de l’événement : 28/06/2017

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Lille La Nuit a rencontré Agnès Varda et JR à l’occasion de la sortie de leur film Visages, Villages.* Agnès Varda est l’une des cinéastes majeures du cinéma français. Et l’une des dernières figures de la Nouvelle Vague toujours en activité. On lui doit des films comme Cléo de 5 à 7 (1962), Sans toit ni loi (1985) ou Les plages d’Agnès (2008). JR est un artiste contemporain de renommée internationale, spécialiste de la technique du collage photographique. Ensemble, ils sont partis sur les routes à la rencontre des Français qu’on filme rarement et qu’on n’écoute plus. Varda et JR signe avec Visages, Villages un film singulier, émouvant et souvent drôle, qui réunit l’art de filmer de Varda et le travail graphique de JR. Lille La Nuit vous fait partager la complicité entre une cinéaste de 89 ans d’une folle jeunesse et un artiste de 33 ans d’une grande maturité.

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Vous êtes deux artistes mais vous sembliez un peu aux antipodes l’un de l’autre, et l’association fonctionne merveilleusement, tout semble naturel, tout est naturel. Est-ce que cette rencontre a été immédiatement facile ou est-ce qu’il a fallu que vous vous apprivoisiez un peu ?

JR : Ce qui est dit au début du film est assez vrai parce que j’ai été rue Daguerre la rencontrer mais comme une rencontre où on vous dit « vous allez avoir l’occasion de rencontrer telle personne » et vous y allez en pensant que c’est la seule fois où vous rencontrerez cette personne. J’aimais beaucoup le travail d’Agnès, je vais la voir, c’est une fin d’après-midi, je fais une photo avec mon téléphone et je lui dis « si tu veux venir à mon atelier je pourrais te faire une plus belle photo, ça me ferait plaisir de te la montrer ». Ce qu’elle fait tout de suite le lendemain !

Agnès Varda : C’est moi qui ai fait une photo de toi je te signale !
JR : Non, j’en ai fait une de toi aussi.
Agnès Varda : Je t’ai pris avec tes lunettes.

JR : Quand je t’attendais j’en ai fait une d’abord de toi. Et donc quand elle est revenue le lendemain j’ai fait une autre photo d’elle, cette fois-ci avec un vrai appareil. En fait on s’est tout de suite amusés à le faire, à discuter, même elle voulait rediriger la photo à laquelle je pensais. On s’est dit pourquoi on ne se reverrait pas le lendemain ? Et tout de suite on s’est dit qu’on devrait faire quelque chose, juste pour rire. C’est né comme ça, ce film. C’est né de l’envie de faire un petit court-métrage de quelques minutes, qui ensuite s’est un peu allongé, un peu allongé, un peu allongé… jusqu’à arriver au film. On a appris à se découvrir en travaillant. On ne s’est pas dit on fera un projet un jour et on apprend à se connaître de temps en temps. C’est tout de suite dans le travail, au bout de trois jours ! On s’est vraiment découverts dans notre collaboration et on est encore là dedans puisque finalement on l’a fait ces deux dernières années et on est là, la sortie du film, c’est la première projection publique du film ce soir, et on partage encore.

Agnès Varda : Ce que vous dites qui semble naturel, c’est parce que c’est naturel. On a trouvé tout à fait naturel de travailler ensemble. On n’a trouvé aucune raison pour que ça ne soit pas comme ça, et certainement pas parce qu’il y a une telle différence d’âge (dans la travail ça ne joue pas du tout). Des choses que j’ai fait, des documentaires… et JR qui n’a pas cessé d’agrandir des gens, de les mettre en valeur… On est des gens d’images et on est des gens pas de rêverie mais des gens d’un désir de faire la paix avec les gens. On aime ça, l’idée qu’on va les photographier en les écoutant, on les mettra en valeur, on créera une empathie entre nous et on sera le relais pour que vous les connaissiez. Vous avez fait connaissance avec des gens.

Nous on a vu des gens unis, des gens prêts à s’unir partout où on est allés. C’est vrai que l’Art est une formidable manière de créer du lien.

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Quand le film s’ouvre, pour nous qui sommes de la région, on est touchés par cette femme, Janine, qui est la dernière habitante d’un coron, mais on est aussi touchés par toutes les personnes. Mais au-delà de ces portraits on a aussi des portraits de groupes. D’un seul coup vous nous montrez une France unie, solidaire qu’on ne voit peut-être plus, qu’on n’entend peut-être plus. Est-ce que c’était aussi une des idées ?

JR : Notre désir à tous les deux quand on faisait des projets c’était d’impliquer tout le monde. Je me souviens même que pour l’usine on se demandait comment il aurait été possible d’avoir tout le monde, peu importe si c’était la direction, les ouvriers, les différentes tranches-horaires de jour et de nuit. À un moment on a dû choisir de passer à plusieurs horaires dans la journée parce que c’était impossible de les avoir tous mais c’était vraiment pour nous un vrai souci. On pensait même l’œuvre en fonction de ça. Nous on a vu des gens unis, des gens prêts à s’unir partout où on est allés. C’est vrai que l’Art est une formidable manière de créer du lien.

Agnès Varda : C’est idéaliste peut-être mais pourquoi pas ? L’art crée du lien.

Vous nous racontez une histoire, moi j’ai aussi vu le film comme un conte ou une fable. Notre imaginaire fonctionne. Mme Varda, vous êtes photographe. Je voudrais savoir quel est pour vous dans ce film l’importance du hors-champ.

Agnès Varda : C’est rigolo que vous me parliez du hors-champ parce que pour moi c’est un très grand sujet. J’ai même fait des triptyques où l’on ouvre à droite et à gauche pour voir ce qui est en hors-champ. Ce qui est dans le cadre pour moi implique ce qu’on ne voit pas. C’est mon goût personnel, mais ça ne compte pas pour ce qui est en vrai. Dans un film, ce que vous verrez c’est le cadre. C’est ce qu’on a choisi. On savait ce qu’on voulait que ça fasse. Quand on fait un film, on pense à ceux qui vont le regarder, on ne fait pas ça pour faire des souvenirs de vacances, et au montage encore plus ! Je me dis « si on le met là, comment ça peut-être compris ? Est-ce que ça peut être compris de cette façon là et d’une autre ? », et si on change de plan, ça peut être compris autrement. Dans ce que vous appelez le cadre il y a déjà ce qu’a priori on voulait montrer. Et il y a certains cadres qui sont très beaux. On a aussi eu cette idée de réfléchir entre deux séquences, d’être de dos dans un paysage. On voulait que le temps et la réflexion s’installent dans le film. Il y a ces petits moments comme ça. Il me semblait que ça faisait une respiration, on n’emmagasine pas juste pour remplir le cadre. Et il y a des choses qu’on n’a pas gardées, des choses trop répétitives ou trop ennuyeuses. On avait vraiment envie que les spectateurs aiment les personnes que l’on rencontre. On a envie de les aimer vraiment, il me semble.

JR : Le hors-champ on l’a aussi documenté dans ce qu’on partageait sur les réseaux sociaux. Au final, ces petits moments entre le film (c’était jamais des plans du film) étaient notre voyage en parallèle du film. On crée en continu, on ne s’arrête jamais. On ne va pas attendre la caméra, le son etc. On partage. On a fait ça à chaque endroit.

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JR, Mme Varda vous a amené à faire des photographies dans des villages, vous qui êtes plutôt un artiste urbain. De quelle manière vous pensez que ça a modifié votre regard, votre travail ?

JR : C’est vrai que j’avais fait peu de villages en France, j’avais surtout fait des villages ailleurs dans le monde. D’un coup se dire tout un projet comme ça, surtout en France, qui est l’un des plus beaux pays au monde, c’était passionnant. D’habitude quand je colle à Paris les gens me disent « Qui est-ce qui va payer pour nettoyer ça ? Avec quel argent ? » etc. Quand on colle dans un village c’est plutôt « Ah c’est le facteur, je le connais ! » : il est déjà connu donc on ne le rend pas célèbre ! Il n’y a pas cette notion de on colle quelqu’un dans une ville où tout le monde est anonyme et on le rend célèbre. Là bas tout le monde se connaît donc tout le monde sait que c’est le facteur, que c’est la petite dame du bar… mais par contre ça les amène à chacun se regarder l’un l’autre. En fait on amène les gens à reregarder des fois les gens qui sont les plus proches d’eux, et pour le cas du facteur peut-être de rediscuter avec lui. On se rend compte qu’ils ont un discours fascinant : lui (le facteur) était le lien avec les gens, et lui même se rend compte qu’il perd ça. Nous à travers notre projet c’est que qu’on essaye de faire. Et pour coller quelque chose comme ça il faut demander l’échelle à Jacques, la camionnette à Pierre, aller sonner chez Madame pour demander si on peut coller sur ses volets… ça, pour nous, c’est créer du lien avec tout le monde.

Agnès Varda : Les gens prennent goût à l’aventure. C’est comme une petite aventure artistique qui arrive dans leur village. On essaye de ne pas leur dire on se connaît à tout jamais maintenant, mais on essaye de garder quand même des contacts. Il y a cette idée que le monde de l’image est un monde de fraternité. On est rentrés dans cette idée et ça nous plaît quand même. (sourire)

C’est autant un film sur les gens qu’un film sur l’acte de création. Vous avez fait un film ensemble, un film bicéphale, que vous n’auriez peut-être pas pu faire si vous aviez travaillé seuls.

JR : C’est sûr. D’ailleurs nous n’avions jamais co-réalisé.

Est-ce que vous aviez réalisé en faisant Visages Villages  que vous faisiez aussi un film sur le geste artistique, l’art, la création ?

Agnès Varda : Comment est-ce qu’on peut avoir conscience de ce qu’on fait toute la journée ?

JR : Je ne sais pas si on avait conscience de ça. Je pense qu’on avait conscience qu’on devait intégrer notre démarche à tous les deux de manière assez naturelle, elle dans le montage, moi dans les collages, et de présenter l’image de nos deux points de vue. C’était une vraie collaboration où on discutait de tout, on avait chacun un droit de veto. Mais je ne sais pas si on avait autant de recul. On avançait.

Agnès Varda : J’ai compris à la fin du film, pendant le montage, qu’on allait tous les deux vers des gens pour les mettre en valeur. JR c’était un peu plus intéressé à mon vieillissement, mes yeux…

JR : J’étais fasciné par le fait qu’elle voit moins, que sa vue disparaisse petit à petit. En tant qu’artiste, ça me fascine de voir comment elle voit, comment elle perçoit, comment elle continue à travailler… et qu’elle me laisse voir ce qu’elle voit.

Synopsis : Agnès Varda et JR ont des points communs : passion et questionnement sur les images en général et plus précisément sur les lieux et les dispositifs pour les montrer, les partager, les exposer. Agnès a choisi le cinéma. JR a choisi de créer des galeries de photographies en plein air.Quand Agnès et JR se sont rencontrés en 2015, ils ont aussitôt eu envie de travailler ensemble, tourner un film en France, loin des villes, en voyage avec le camion photographique (et magique) de JR. Hasard des rencontres ou projets préparés, ils sont allés vers les autres, les ont écoutés, photographiés et parfois affichés. Le film raconte aussi l’histoire de leur amitié qui a grandi au cours du tournage, entre surprises et taquineries, en se riant de leurs différences.

Visages Villages, un film de Agnès Varda et JR
Durée : 89 min
Langue Français
Sortie le 29 juin 2017

Affiche film-annonce © Le Pacte

* Entretien réalisé le jeudi 15 juin 2017 à Lille
Remerciements Le Majestic de Lille

Interview : Grégory Marouzé, Retranscription : Manon Portenart

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