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La colère de David Asko, artiste électronique, qui voit la fête et la culture s’éteindre

La colère de David Asko, artiste électronique, qui voit la fête et la culture s’éteindre

David Asko

Le dernier coup de gueule de David Asko sur Facebook, c'est en fait la goutte d'eau qui fait déborder le vase... L'artiste electro lillois a partagé sa colère contre le tout récent centre commercial Lillenium qui met "à disposition 2 scènes pour que des artistes viennent mixer / jouer / chanter... [...] sans aucune rémunération et seulement en échange d’une visibilité sur leurs réseaux sociaux". Une proposition qu'il ne peut pas laisser passer, surtout pendant cette période dramatique pour beaucoup, et notamment pour le milieu musical. On a souvent échangé avec David Asko sur ses projets pendant et après le confinement. Il a partagé cette fois avec nous ses sentiments sur cette rentrée qui est dramatique pour de nombreuses personnes qui travaillent dans le monde de la nuit et dans celui de la culture.

Une rentrée compliquée

Comment s'est passé ton été ?

J'ai eu la chance de jouer lors de cinq dates de Cambrai à Douai en passant par Paris. Ces événements étaient en plein air, encadrés par un protocole sanitaire stricte. Les événements ont pu être maintenus, mais à chaque fois, on a eu une épée de Damoclès au dessus de la tête jusqu'au jour J.

Et cette rentrée... ? 

Mon agent passe son temps à m'envoyer des mails avec les événements finalement annulés. Les clubs dans lesquels je devais retravailler n'ont toujours pas rouverts et ne sont pas prêts de le faire. On n'a pas d'informations précises mais le Premier Ministre laisse entendre que ce serait comme ça pour eux jusqu'au moins fin mars 2021 ! C'est tout un pan de l'économie française qui est mise à mal et qui est encore à l'arrêt ! je pense qu'on est le seul secteur d'activité qui n'a pas repris et qui est encore "confiné". Il ne faut pas avoir peur de dire le mot. Les médias et les politiques ne veulent plus employer ce mot parce qu'il fait peur à tout le monde, mais nous, on est encore considérés comme confinés. On va arriver dans une saison où on ne pourra plus faire d'événements en plein air, donc qu'est-ce qu'on va faire ?

Tu n'as donc plus de projets pour cette rentrée ? 

Je n'ai plus de dates prévues, et donc je n'ai plus de perspectives. On ne sait pas quand on va pouvoir reprendre, ce qu'on va pouvoir faire... ? Est-ce qu'on va pouvoir réinventer les choses, faire des événements avec des gens assis devant nous, faire des retransmissions... ? Mais ce n'est pas ce qui nous motive à la base. Et puis on en a déjà fait pendant et après le confinement, ça va bien un temps. Nous, les artistes du spectacle, on a besoin d'avoir un public, d'avoir un ressenti du public. On a besoin d'immédiateté que ce soit dans le théâtre, la musique classique, l'opéra... Ce manque est terrible. Tous les jours, ça me manque, et je me sens de moins en moins bien. Nous les artistes, on aime s'exprimer, on est là pour divertir les gens, pour faire passer des messages en écrivant, en chantant... Il y a quelque chose de fort dans ce qu'on fait.

Nous, les artistes du spectacle, on a besoin d'avoir un public, d'avoir un ressenti du public. On a besoin d'immédiateté [...] Ce manque est terrible. Tous les jours, ça me manque, et je me sens de moins en moins bien.

David Asko

La précarité financière et la détresse psychologique s'installent

Qu'est-ce que tu ressens quand tu échanges avec des collègues, des amis de la musique et même de la culture en général ? 

Il y a encore beaucoup d'établissements et d'artistes qui ne perçoivent aucune aide en France. Tout le monde ne perçoit pas d'aide. On pense que tout le monde va être aidé, mais non ce n'est pas le cas. Je vois autour de moi la précarité s'installer depuis quelques mois et pour encore plusieurs longs mois. J'échange avec beaucoup d'artistes aussi bien de la musique, du théâtre, de la télé, du spectacle vivant etc. Beaucoup de confrères n'ont pas repris leurs activités, ne sont pas aidés, et sont en train de plonger  non seulement dans une précarité financière mais aussi dans une vulnérabilité psychologique. C'est surtout ce point qui me travaille le plus. C'est difficile de voir cette détresse psychologique chez des amis artistes qui ne peuvent pas travailler, et qui ont du mal à l'accepter. Et c'est difficile quel que soit l'âge ! Je vois des gens qui retournent habiter chez leurs parents, d'autres qui n'ont plus de quoi se nourrir ou de quoi payer leurs loyers. Les problèmes financiers entraînent une détresse psychologique. Certes, il y a une crise sanitaire qui est vraiment là et qu'il ne faut pas nier. Il y a des gens qui sont malades et qui en meurent. Mais on est dans un climat de peur. Nos gouvernants ne veulent prendre aucun risque donc tout est interdit. On est dans quelque chose que j'ai du mal à définir. La situation est inédite pour tout le monde donc c'est compliqué.

Un manque de décisions fortes, de propositions CONCRÈTES pour le monde de la nuit, pour la culture en général

On en avait parlé, tu avais la chance de pouvoir beaucoup voyager avec ton activité, j'imagine que tu as des échanges avec des artistes qui vivent à l'étranger. Qu'est-ce qu'ils te racontent ? 

Dans beaucoup de pays, c'est la même chose qu'en France. Beaucoup d'établissements sont encore fermés. Il n'y a pas eu de gros festivals cet été. Mais on peut prendre l'exemple de l'Allemagne. Les artistes sont beaucoup plus aidés. Des tests ont été tentés en concert. On attend les résultats pour la fin de l'année. Je suis allé à Berlin il  a quelques semaines, et il se passe des choses.

Des événements officiels, encadrés... ? 

Pas forcément, mais il y a une certaine tolérance à laisser faire en plein air, dans un cadre sanitaire plutôt bien respecté. Des choses se passent là-bas comme en Italie, en Espagne. Certaines discothèques sont ouvertes en Suisse, en Hongrie, en Grèce, en Géorgie, en Pologne... Pas partout mais dans certaines régions, ça repart. Alors ces pays ont peut-être été moins touchés que nous par l'épidémie, mais il y a eu une volonté de repartir très vite. Aujourd'hui, il faut arrêter de se voiler la face, il y a des fêtes privées partout en France. Ils essayent de tout interdire mais ils n'arriveront pas à empêcher les gens de s'amuser, de célébrer, de faire la fête... Je ne peux pas jouer pour ces fêtes là, mais j'arrive à comprendre le besoin qu'ils ont.

Tu attendais plus de l'annonce du Premier Ministre la semaine dernière (vendredi 11 septembre 2020) ? 

L'annonce de Jean Castex la semaine dernière a été préparée comme une annonce dramatique, avec des décisions catastrophiques. Il n'a finalement pas annoncé grand chose. Il a décentralisé la prise de décisions. Et ce lundi (14 septembre 2020), le préfet des Hauts-de-France a fait une nouvelle annonce pour annuler entre autres les Journées européennes du patrimoine. Et pendant ce temps, tous les centres commerciaux sont ouverts, on peut prendre le train, les écoles sont ouvertes... Il y a deux poids, deux mesures ! On est donc en colère parce que des choses sont autorisées, d'autres non. Une espèce de cacophonie est là depuis de nombreux mois. Et on est uniquement dans le répressif, on ne nous propose pas beaucoup de solutions. Il y a des rendez-vous qui ont été faits au Ministère de la Culture il y a plusieurs mois, et on attend toujours des décisions fortes, du concret pour les plans de relance pour les artistes et les structures. Aujourd'hui, ce que je ressens, c'est que des décisions sont prises au plus au niveau de l'Etat par des gens qui ne comprennent pas la réalité du terrain. Le plus dur à vivre et de ne pas savoir ce qu'on va faire ! Qu'est-ce que je vais faire dans quinze jours, trois semaines, un mois, deux mois ? Aujourd'hui, je cherche du boulot dans un autre domaine.

On est donc en colère parce que des choses sont autorisées, d'autres non. Une espèce de cacophonie est là depuis de nombreux mois. Et on est uniquement dans le répressif, on ne nous propose pas beaucoup de solutions.

David Asko

25 ans de carrière, de passion, d'expérience pour David Asko

Tu cherches du boulot alors que tu devais fêter tes 25 ans de carrière dans la musique... 

Oui, je devais faire une tournée française et européenne pour fêter mes 25 ans de carrière. Tout est tombé à l'eau. J'en suis profondément attristé car pour moi, c'était une étape importante de ma vie. 25 ans de carrière, c'est 25 ans de travail, de sacrifice, de passion, de hauts, de bas... C'est un quart de siècle ! C'est beaucoup aujourd'hui ! Pendant 25 ans de ma vie, j'ai tout donné pour cette musique. Mais je vais devoir faire autre chose pour gagner ma vie pendant la longue période néfaste qui nous attend. J'ai des diplômes dans l'hôtellerie - restauration. Je cherche donc du travail dans ce domaine, en plus de la culture - communication. Et on est des milliers à chercher à faire autre chose. Je ne produis plus de musique aujourd'hui. Ma musique est faite pour danser, on ne peut plus aujourd'hui. Cette situation m'a coupé l'envie, l'inspiration... En studio, il n'y a plus rien qui sort. Et je pense que je ne suis pas le seul dans cette situation.

Ton coup de gueule sur Facebook à propos de Lillenium est la goutte qui a fait déborder le vase... 

Oui, j'ai partagé ma colère sur Facebook au plus grand nombre contre Lillenium. Il faut arrêter ces dérives. Ils m'ont répondu qu'ils respectaient les règles etc Tu as dû voir leur réponse. Aujourd’hui, j'ai dit ce que j'avais à dire, j'assume totalement. Je dénonce ces pratiques irrespectueuses envers les artistes surtout dans le contexte actuel. On ne propose pas à des artistes de venir jouer gratuitement parce qu'on n'a pas de budget. C'est honteux de faire ça ! Je ne pouvais pas l'accepter, et vu le nombre de partages, je ne suis pas le seul ! Les langues se délient, et ça met sur le devant de la scène, jeu de mot bizarre pour la période... des pratiques qui se font depuis des années dans le monde du spectacle. Plus personne ne peut accepter ça aujourd'hui ! Un artiste qui fait une représentation devant un public qui consomme doit être rémunéré. Même pour une première fois ! Il faut qu'on arrête en France de sous-estimer ce métier ! Alors que la France est reconnue à l'international pour sa culture, sa musique, ses spectacles, ses films... Quand je voyage, on me parle souvent de la gastronomie française, des musées, des monuments historiques, de la chanson française, de l'Opéra français, et bien sûr de la musique électronique. Et pourtant on n'est pas massivement soutenu dans le plan de relance. 2 milliards, ce n'est pas suffisant sur 100 milliards de plan de relance ! Et même par les Français en général, on ne sent pas soutenu. Mais les gens se se rendent peut-être pas encore vraiment compte de cette situation... Combien de personnes ne sont pas allés à un concert, un spectacle etc depuis des mois ? Le public a-t-il réalisé qu'il ne va peut-être pas pouvoir faire la fête, aller écouter des artistes, voir un spectacle pendant plus d'un an ? Nous devons aussi être soutenus par les Français. Il doivent réagir aussi !

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