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Denis Robert – Cavanna, jusqu’à l’ultime seconde j’écrirai

Denis Robert – Cavanna, jusqu’à l’ultime seconde j’écrirai

Denis Robert Cavanna, jusqu’à l'ultime seconde j'écrirai Style : Documentaire Date de l’événement : 17/06/2015

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Lorsque nous avions rencontré le journaliste-écrivain Denis Robert en février dernier au sujet du film L'Enquête - qui revenait sur le combat de Robert contre Clearstream -, il avait évoqué son documentaire Cavanna, jusqu’à l'ultime seconde j'écrirai. A l'occasion de la sortie de son film en salles (une version plus courte a été diffusée à la télévision), coréalisé avec sa fille Nina, Lille La Nuit tenait à retrouver Denis Robert pour qu'il nous parle de ce documentaire touchant, bouillonnant et sans langue de bois (Philippe Val et Richard Malka, respectivement directeur et avocat de Charlie Hebdo, en prennent pour leur grade). Un film qui ressemble à François Cavanna - écrivain, dessinateur, fondateur avec Choron de Hara-Kiri et Charlie - : libre, vivant, chaleureux, humain, courageux. Un film qui ressemble à Denis Robert.

Un doc au long cours sur François Cavanna, le créateur de Charlie Hebdo et de Hara Kiri, l’inventeur de la presse satirique, l’auteur des Ritals et d’une soixantaine d’ouvrages, disparu fin janvier 2014. Le film repose sur des entretiens avec Cavanna réalisés peu de temps avant sa mort, des archives oubliées et des témoignages inédits comme ceux de Siné, Willem, Delfeil de Ton et Sylvie Caster. En filigrane l’histoire en passe d’être oubliée du premier homme qui aurait pu dire « Je suis Charlie ».

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Pourquoi voulais-tu faire un film sur Cavanna ? Pourquoi une telle déclaration d’amour ?

Au départ, j’ai eu l’idée de faire le film parce que je trouve qu’il respirait la liberté et le combat pour la liberté d’expression.

Denis Robert - Cavanna, jusqu’à l'ultime seconde j'écrirai

Je ne crois pas que ce soit une déclaration d’amour même si on peut l’interpréter de cette manière, je ne voulais simplement pas qu’il soit oublié. Au départ, j’ai eu l’idée de faire le film parce que je trouve qu’il respirait la liberté et le combat pour la liberté d’expression. Il représente toute une partie des années où l’on était moins cadenassé dans nos têtes.

Il y a une anecdote que je raconte au début du film : quand je parle à des étudiants de ce projet, je vois qu’ils ne connaissent plus Cavanna. J’ai fait le test à l’Institut Européen de Cinéma et d’Audiovisuel où je suis face à des étudiants documentaristes de 25/30 ans et qui sont cultivés, mais qui ne connaissent pas Cavanna. Je me suis dit qu’il y avait urgence. A Sciences-Po Paris, j’ai refait le test, il y en avait 3 sur 30 qui le connaissaient. A l’école de journalisme, j’ai aussi refait le test et j’étais sûr que ça serait la même chose. Et c’est normal finalement, parce qu’à partir des années 1990, il a complètement disparu des médias.

Le premier Charlie Hebdo s’arrête en 1982, c’est à cette époque qu’il a sa pleine mesure. Quand il est venu me voir à Metz cette année-là pour le lancement de mon premier journal, c’est comme Jésus Christ qui traverse la ville ! Il ne peut pas faire 3 mètres sans qu’une nana vienne l’embrasser ou qu’un mec s’agenouille devant lui… Tout le monde l’avait vu à Apostrophes [Emission de TV littéraire française créée et animée par Bernard Pivot sur Antenne 2], et chez Drucker. Et puis en fait, les années suivantes, il ne trouve pas de boulot, il écrit ses livres historiques qui ne marchent pas très bien, et en 1992, il se fait rattraper par Philippe Val qui relance Charlie Hebdo, et Cavanna se fait exclure petit à petit du journal. Il est comme une vieille potiche qui continue à écrire.

Aujourd’hui, les mômes ne le connaissent plus alors qu’il avait beaucoup d’importance. Donc j’ai eu envie d’avoir ces conversations avec lui pour montrer le génie de cet homme, tout est beau chez lui, tout est intelligent. Et on a eu ces conversations qui sont rythmées par Parkinson qui occupe de plus en plus de terrain. En trois ans, j’ai dû le voir six fois dont deux entretiens vraiment utiles. Le film est le fruit de ces deux entretiens, il n’a pas voulu enregistrer le dernier que l’on a fait car ses cordes vocales étaient tellement atteintes par la maladie qu’il n’avait plus qu’un tout petit filet de voix, et il était inaudible. Il y a des moments où il est en rémission, ces fameuses « lunes de miel »  mais on ne peut jamais les prévoir. Il meurt en janvier 2014 et le dernier entretien date de novembre 2011.

Ce qui m’a donné l’idée de la construction du film, c’est « La Comtesse aux pieds nus » de Joseph Mankiewicz. Au départ ça commence dans un cimetière avec la mort d’une actrice, et tous les personnages qui sont à l’enterrement racontent à leur manière l’actrice qu’ils ont connue. Je voulais construire le film comme ça, c’était le fil rouge. Et en fait, il est un peu comme ça mais on s’est rendu compte que c’était un peu trop systématique et que ça ne marchait pas. C’est Nina qui a écrit plus que moi, j’avais l’idée des castings et des personnages etc, et pour la construction c’est elle qui a mis les éléments en place.

Cavanna Robert

Cavanna & Denis Robert - © Virginie Vernay

 

Tu devais avoir ta propre vision de Cavanna en tant que lecteur, qu’as-tu découvert de lui en faisant ces entretiens et ce film, y a-t-il des choses qui se sont révélées à toi ?

Il y a un aspect de lui que je n’avais pas capté, c’est à quel point c’était un homme de science avec un esprit très rationnel et très scientifique. Il avait un art du raisonnement, quand on lui posait un problème, il le décortiquait. Il y a une archive que j’ai regretté de ne pas avoir mise dans le film, où six écrivains sont rassemblés comme Michel Tournier, Paul Guth, Benoite Groult et Jean d’Ormesson ainsi que Cavanna, et ils leur font passer le bac de philo. Cavanna a eu 19/20, Tournier et Guth n’ont pas la moyenne, autour de 5 ou 6, et la deuxième c’est Benoite Groult qui doit avoir 12/20.

C’était un homme très cultivé, c’était un puits de science en histoire, il connaissait remarquablement bien l’histoire médiévale, l’histoire napoléonienne, et il était très féru de paléontologie. On avait des conversations sur une passion commune qui est la neurobiologie. J’ai écrit un roman sur le cerveau humain comme le dernier territoire à explorer, et Cavanna a beaucoup réfléchi à la question de la mort et de l’immortalité. Il était passionnant, on pouvait discuter des heures et je ne m’ennuyais jamais. Et lui, ça peut sembler incongru, croyait en l’immortalité. Il pensait que dans un siècle, l’homme arriverait soit à transférer sa conscience, soit à vaincre les maladies… Et ça le faisait chier de partir si tôt.

Il a écrit un livre très novateur qui s’appelle Stop Crève sorti dans les années 1980, c’est une sorte de manuel contre la mort, un cri du cœur. Il parle très bien de la mort, il savait qu’elle était proche. Ce qui est très émouvant dans le film, surtout au dernier entretien, c’est qu’il est conscient qu’il va mourir et tout ce qu’il dit prend une valeur de témoignage d’outre-tombe, comme s’il savait qu’il ne serait plus là quand le film sortirait. Les choses qu’il dit deviennent essentielles, que ce soit sur les femmes, sur l’écriture… Il y a un moment particulièrement émouvant dans le film, quand je lui parle du dernier livre qu’il est en train d’écrire, je lui fais remarquer qu’il n’a pas de plan. Il me répond « Non, j’ai pas de plan, j’écris, j’ai le temps. » Moi comme lui, on sait qu’il n’a pas le temps, mais je lui réponds « Oui, tu as le temps ». Il sait très bien que je mens à ce moment-là, et il se passe quelque chose dans le regard entre nous, il me regarde avec un œil assez malicieux. Ce n’est pas triste parce qu’il était fatigué de vivre, il était content de se tirer.

Quand j’ai parlé de déclaration d’amour, ce n’était pas péjoratif. Le film n’est pas une hagiographie et pourtant certains te reprochent ce travers. Au contraire, tu ne le ménages pas toujours et je trouve ça très drôle, notamment le passage où tu lui dis « Tu pisses de la copie »…

Je trouvais que c’était intéressant sur l’écriture, il est agacé par mon truc, et ses bouquins historiques me font assez chier aussi. Il y a des bouquins de lui, des almanachs qui ne m’intéressent pas tellement. On appelle ça les malades de l’écriture, lui c’est plus qu’un polygraphe, il écrivait tout le temps. Quand on recense tout ce qu’il a écrit, je ne pense pas qu’un autre écrivain français ait écrit autant que lui.

En dehors des 65 bouquins qu’il a sorti, il y a tous les articles qu’il a faits pour Charlie Hebdo et Hara-Kiri, il y a ses almanachs qu’il faisait chaque année, ses vannes plus ou moins pourries, et ses dessins pour Le singe devient con… Au début, il était presque obligé de le faire parce que c’est lui qui remplissait les premiers numéros de Hara-Kiri dans les années 1960. Non seulement, il écrivait tout le temps mais en plus, il faisait des romans photos, il faisait les scénarios et la maquette de ces romans photos… C’est pour ça qu’il craque à un moment et qu’il se pend.

Il y a deux séquences un peu longues dans le film que l’on a voulu garder, c’est le suicide et la séquence du lecteur anonyme. Cette séquence intervient à la fin du Père Lachaise, à la cérémonie de l’enterrement de Cavanna. L’organisateur de la cérémonie demande à la foule si certains veulent parler. Deux ou trois personnes viennent parler, une italienne, une voisine, Charb aussi... Et ensuite une toute petite voix s’ouvre sur un type très timide, ce fameux posticheur qui fend la foule et qui dit « Je suis un lecteur anonyme ». C’est très fort et très émouvant, et en même temps pas triste. Ça veut dire qu’il a réussi sa vie si quelqu’un vient parler comme ça, et il a aussi réussi sa mort. Ça a clôt la cérémonie, le type est reparti et la foule s’est refermée sur lui, mais on n’a pas pu filmer ça. La veille, je ne savais pas comment j’allais filmer les obsèques, je n’osais pas demander à la famille. Et en fait c’est la famille qui me l’a demandé, pour garder une trace de la cérémonie. Alors on a mis deux caméras et c’est devenu une matière très importante, un passage de cinéma incroyable. Delfeil de Ton -  rédacteur pour Hara-Kiri et Hara-Kiri Hebdo - est super ému, et il y a les images que l’on n’a pas gardées au montage de Tignous, Wolinski, Charb… On a gardé Charb.

Cavanna 2

Cavanna - © Arnaud Baumann


Quand on voit le film, Cavanna qui n’est plus là, tous ces gens qui sont morts le 7 janvier dernier, on a l’impression que les idées de Mai 68 et certains idéaux de cette époque ont disparu avec eux…

J’y ai pensé car je suis en train d’écrire un livre autour de cette histoire. Le libéralisme a tout gagné, les gens achètent des marques maintenant. Charlie Hebdo est devenu une marque, Libération est devenu une marque, même certains éditeurs deviennent des marques. On voit que le Charlie Hebdo d’aujourd’hui, c’est la même titraille et le même genre de maquette, mais c’est une pâle copie de ce que c’était avant. Luz, même s’il a un peu de talent, ce n’est pas Reiser, Riss c’est tout sauf Wolinski… Pourtant c’est bien que ça continue, il fallait que le journal ressorte. Les difficultés qu’ils rencontrent aujourd’hui trouvent quand même leurs origines dans ce qui s’est passé à cette époque-là, parce que Charlie Hebdo se reforme sur une arnaque.

Mettons de côté Charlie Hebdo : est-ce qu’un journal qui aurait l’esprit de Cavanna et de ces gens serait possible aujourd’hui ?

Avec leur talent, oui bien sûr. Reiser manque ! J’ai croisé l’économiste Ellie Cohen dans le métro, et en parlant de Cavanna il m’a dit « celui qui manque, c’est Reiser ». Il avait quand même un talent de dingue.

Il y a un exemple dans le film, ça se passe dans les années 1970 quand l’Allemagne réédite Mein Kampf,  elle veut aussi le rééditer en France, et ils ont fait une Une qui montre un Hitler « super sympa » qui dit « alors les youpins, ça gaze ? ». Si on la montre aujourd’hui, tout le monde se marre, juifs, musulmans, athées… Mais si on le fait aujourd’hui, on est mort. C’est là où on voit que les religions nous ont muselés, et eux brisaient tout ça, on avait besoin d’eux. C’est grâce à eux que des tas de combats ont été menés, y compris sur le féminisme, même si Choron n’était pas un modèle de féminisme…

Sylvie Caster - journaliste-écrivaine qui  publia des chroniques notamment dans Charlie Hebdo, de 1976 à 1981 - disait qu’il était très gentleman avec elle ! Mais il faisait des trucs assez drôles : Choron avait un chapeau et les autres avaient des étiquettes avec écrit dessus « bouffe » ou « baise ». Ils pliaient leurs étiquettes et tous les mercredis soirs après la rédaction, ils les dépliaient. Et Choron pour des raisons strictement financières, préférait toujours « baise », parce que quand c’était « bouffe » il devait aller dans des restaurants super chers où il avait des ardoises énormes. Une fois sur deux, ils préféraient « bouffe » mais quand ils tombaient sur « baise », ils faisaient venir des prostituées, il y avait du champagne, c’était des fêtes assez orgiaques ! Mais tous n’y participaient pas, Cavanna, ce n’était pas son truc par exemple. C’était quand même une ambiance particulière ! Quand tu racontes ça aujourd’hui, tu te prends une volée de bois vert ! J’ai rencontré des féministes dans les cinémas, c’est dur de leur faire comprendre que les dessins de Choron où il instrumentalise le corps de la femme, c’est de la provocation ! C’est ça, l’humour bête et méchant et le message est féministe, en montrant à quel point la femme est instrumentalisée, même si l’image est a priori avilie ! Cavanna était un grand féministe, sa meilleure amie est l’égérie du féminisme en Allemagne. Toutes celles qui luttaient pour l’avortement et ces combats adoraient Cavanna !

C’est vraiment une époque passionnante et j’avais vraiment envie de la raconter. Je suis ravi si des lycéens voient le film. C’est une partie de l’histoire de France qui, si on n’avait pas fait de film, aurait été oubliée. Elle donne, comme le dit Nina, du courage, de la liberté, ça file la patate ! Si ce film peut permettre ça, on a gagné la partie. C’est un film de cinéma qui le permet, parce que si on le passe à la télé, il n’y a pas la même force, la même énergie. Là on ne s’enrichit pas en faisant le film, mais le message passe beaucoup mieux !

J’aimerais qu’on parle un peu de cette possibilité aujourd’hui de sortir ce film parce que derrière, il y a eu une campagne de crowdfunding…

On a récolté 26 000€ des souscripteurs en un mois, ça nous a permis de financer le documentaire télé et le film ! On va voir comment on répartit les deux parce que le documentaire de télé est financé. Le film ne l’était pas mais l’économie du crowdfunding rentre dans les deux projets. Sans cette économie et la réussite du crowdfunding, il n’aurait pas pu se faire. Cette réussite est liée à Cavanna et un peu à moi. On est une des plus belles réussites de KissKissBankBank ! C’est formidable, cette souscription, même si beaucoup de personnes qui essaient de le faire ont du mal. Mais ma petite notoriété avec l’Affaire Clearstream en plus de Cavanna a favorisé les dons.

On a été super généreux dans les cadeaux, on a envoyé des bouteilles de vin collectors. Mais ce qu’on ne savait pas, c’est que ça coûte un bras d’envoyer des bouteilles : 12€ par bouteille ! On avait aussi donné en contrepartie des gros bouquins, comme le livre Cavanna raconte Cavanna  qui coûte 12€ en timbres. On a grillé 4000€ en contreparties… Mais il y a quand même des gens qui râlent, parce qu’on ne leur a pas envoyé le dvd du film, alors qu’il est encore en salles !

Justement, cette campagne de crowdfunding donne tort à tous ces gens qui ne voulaient pas de ce film parce qu’ils disaient que Cavanna était oublié ;  on ne l’a pas oublié, les gens sont là pour le prouver : ils ont financé le film !

Quand Cavanna est mort, les chaines qui nous avaient refusés nous ont redemandé la version télé et c’est nous qui avons refusé cette fois, d’une part parce qu’on voulait rester fidèles aux deux petites chaines qui étaient là avant sa mort « Toute l’histoire » et « France 3 Limousin », et ensuite avec les évènements de Charlie, on aurait pu vendre le film à toutes les chaines. On ne l’a pas fait parce que sinon on n’aurait pas pu le sortir en salles après. Il y a des demandes en Australie, au Canada, en Allemagne, en Italie… Je dois aller présenter le film au Mexique aussi, on est invité dans différents lieux. C’est l’idée de Charlie qui permet ça ! Et en même temps c’est un film qui repose beaucoup sur la parole, il parle aux français mais va-t-il parler de la même manière aux autres ? Il faut que ce soit un public d’initiés, de gens qui ont envie de comprendre.

C’est un film qui repose beaucoup sur la parole, il parle aux français mais va-t-il parler de la même manière aux autres ? Il faut que ce soit un public d’initiés, de gens qui ont envie de comprendre.

Denis Robert - Cavanna, jusqu’à l'ultime seconde j'écrirai

Je crois aussi qu’il y a des ressemblances entre Cavanna et moi, même si on n’est pas de la même génération. Il y a comme une filiation, un rapport un peu paternel que je dois reconnaître. Il m’a inspiré, il y a des points communs entre nous. A travers lui, je me raconte aussi, mais ma place dans le film était compliquée, je suis en amorce, j’essaie d’être assez discret. Et à la fin, il y a simplement le texte que je dis, la nécro de Cavanna, c’est un texte qu’on a enregistré en studio où j’ai une lecture très détachée. Et on l’a changé au dernier moment parce qu’il y a une émotion quand je suis aux obsèques qui est quand même filmiquement plus intéressante. A chaque fois que je la revois, j’ai toujours un moment d’émotion…

On n’a pas mis les noms mais on les revoit tous, Honoré, Tignous, Wolinski, ils sont tous là. Il y a comme un moment où ça se télescope, les obsèques de Cavanna, la mort de tous ces gens… Et il y a les phrases de Sylvie Caster, et tout ce que dit Willem… Siné, Caster et Willem se renvoient la balle, ils n’ont pas le même rapport à la mort et aux évènements. On n’est pas obligé d’avoir une seule idée par rapport à ça, parce qu’il y en a un, Siné, qui dit « no future », une qui dit « ça peut remarcher mais il y a eu beaucoup de mort », et il y a cette énergie que dégage Willem. Chez Siné, ce n’est pas de la fatigue, c’est du désespoir. Peut-être qu’il a raison mais j’ai un peu plus d’espoir que lui.

J’aimerais revenir sur Malka et Val. Quand j’ai vu la version télé, j’ai trouvé ça chaud, ce qu’on y dévoile. C’est quand même énorme, et je me suis demandé si ça allait poser problème pour la version cinéma ?

La seule réaction que j’ai eue c’est via une chronique très élogieuse sur France Inter à propos du film, où à la fin la fille dit qu’elle a contacté Philippe Val et Richard Malka qui réfutent catégoriquement les allégations du film. Je vais creuser cette affaire mais ça n’est pas uniquement là-dessus. Je fais encore des avant-premières à Caen et ensuite je me ferme tout l’été pour écrire. Ça va s’appeler Mohican, la couverture est belle, j’ai très envie de l’écrire ! J’ai commencé à prendre plein de notes, c’est un récit littéraire où je mets en scène toutes ces personnes. S’il n’y avait pas eu les évènements de janvier, je ne l’aurais sans doute pas fait. C’est ce qui a été le déclic chez moi. Je ne suis pas allé marcher, je ne suis pas « Charlie », en tout cas pas au sens public. Mais mes enfants, ma femme et la plupart de mes amis sont allés dans la rue. J’ai un peu la même position que Willem, c’est très généreux mais ça reste un immense fourre-tout. Je ne suis pas allé marcher déjà parce que je déteste les manifestations, mais aussi parce que j’avais un profond malaise par rapport à tout ça. Comme je connais l’histoire de Charlie et de ces gens, je ne me sentais pas d’aller marcher. J’essaie de l’expliquer mais j’ai du mal, j’écrirai peut-être un livre pour expliquer tout ça… Mais j’aimais vraiment ces gens.

Ça fait maintenant 6 mois que les attentats ont été perpétrés, qu’est-ce qu’il reste de « Je suis Charlie » ?

C’est difficile de répondre car il y a différents chantiers en cours. Pour le journal, c’est un bordel car il y a une pétition qui circule pour donner de l’argent aux victimes de Charlie ; il y a des conflits terribles au niveau de la rédaction, Luz et d’autres veulent partir mais ils ne veulent pas laisser les clefs à Riss et Malka qui est encore très présents. Sur le plan politique, par rapport au djihadisme, on sait très bien qu’on est dans une guerre larvée, on ne sait pas quand ça va revenir mais la situation ne peut être que pire après Charlie. Je suis opposé à la loi dans sa matérialité mais il faut quand même une loi parce qu’actuellement la guerre contre ces mecs n’est pas du tout encadrée juridiquement. Ils font des enquêtes mais il n’y a pas de cadre juridique. Après, tous ces rêves de solidarité sont finis, on est dans un pays qui vote à plus de 30% pour un parti aux idées très courtes. Le « Je suis Charlie » n’a pas changé grand-chose.

Avec tous ces gens morts depuis le 7 janvier, on peut presque se dire « heureusement que Cavanna est mort avant ».

C’est un peu ce que dit Willem, qu’est-ce qu’il aurait fait s’il avait été là ? Il aurait été très triste mais il aurait continué, il aurait fait le journal… Mais il était fatigué, il est mort dans sa maison de convalescence. Il a eu un regain d’énergie, à demander à manger un sandwich et une bière, et il est mort quelques heures après. Il n’avait plus envie de se battre.

Il y a une autre caractéristique de Cavanna : c’était un marcheur. Il marchait tout le temps, même quand il se déplaçait à Paris ! Il ne se supportait pas voûté ou boitillant. Il n’aurait jamais pu être sur une chaise roulante comme Siné, il préférait mourir que d’être handicapé. Après sur la question de la mort, il avait beau frimer en disant qu’après la mort c’est le néant, il n’en était pas sûr à 100%, il a dû se dire à la fin qu’il allait enfin comprendre !

Pour donner envie aux jeunes qui ne connaissent pas Cavanna de le découvrir et d’aller voir le film, quel bouquin tu leur conseillerais ?

Je pense qu’il faut lire le dernier, Lune de miel où il retrouve la verve de ses débuts, et après il faut se refaire le parcours les Ritals, les Russkoffs, Bête et méchant, Les yeux plus gros que le ventre, L’œil du lapin… Avec ces cinq-là, c’est sûr que tu prends ton pied. Ce sont les livres majeurs, en plus du dernier qu’il a écrit, et un inédit qui va sûrement sortir chez Gallimard.

un film de Nina et Denis Robert
Images : Pascal Lorent et Nina Robert
Photographies : Arnaud Baumann
Musique originale : Léo Vincent
Animation : Yves Lespagnard
Production : Nina Robert, Denis Robert et Bertrand Faivre - Coproduction Citizen Films – Le Bureau
Distributeur : Rezo Films - Film-Annonce et affiche © Rezo Films
Durée : 1h34 - Année : 2015
Sortie en salles : le 17 juin 2015

  1. yl

    Très bel article, belles questions, formidables explications... Merci!!

  2. Yann

    Denis Robert s'est intéressé a un sujet qui donne des boutons à Philippe Val :
    www.agoravox.fr/tribune-libre/article/reouverture-de-l-enquete-sur-les-146570
    wiki.reopen911.info/index.php/Philippe_Val
    (désolé pour le hors sujet!)

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