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« Grand Tour » : le voyage cinématographique de Miguel Gomes

« Grand Tour » :  le voyage cinématographique de Miguel Gomes

Miguel Gomes Grand Tour Style : Cinéma Date de l’événement : 27/11/2024

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Cette semaine, l'entretien cinéma de LillelaNuit est consacré à Grand Tour (Prix de la mise en scène à Cannes), le dernier film du réalisateur de Tabou : Miguel Gomes. Grand Tour nous plonge au cœur d'un voyage où récits, époques, et voyages, se rencontrent, s'entrecroisent, se télescopent. Pénétrons dans l'univers d'un cinéaste reconnu pour son approche audacieuse du cinéma. Rencontre avec le grand Miguel Gomes.

Le film est co-produit par le Portugal, mais aussi par la France, l'Italie, la Belgique. Les films portugais nous arrivent rarement en France. Est-il difficile de produire un film entièrement au Portugal ?

Miguel Gomes : L'argent portugais, provient toujours des aides publiques pour le cinéma portugais. C'est plus ou moins un million, d'euros ou peut-être moins d'un million. Il est donc certainement possible de faire un film avec un million. Mais pour faire des films plus ambitieux, il existe des systèmes d'aides publiques en Europe. Il y a aussi de l'argent privé, c'est le cas avec la Chine et le Japon. Il y a une partie de les tournages qui se font en Asie. Voyager c'est cher. J'ai tourné tous mes films en pellicule. C'est cher, même si ce n'est pas aussi cher que le pensent certains producteurs français qui tentent de convaincre les réalisateurs de tourner en digital. Mais, même si c'est cher voyager, je tournais avec une toute petite équipe et notre défi était de collectionner des choses, de traverser une partie du sud-est asiatique, capturer des moments dans chaque pays. Capturer différentes situations, plusieurs lieux et les amener dans les films. Le tournage de Grand Tour,  on pouvait le faire avec de l'argent portugais. Mais ensuite, il y a toute une autre partie qui a été filmée en studio. D'une manière "old school" (à l'ancienne). Donc, sans fonds verts et trucages digitaux mais avec de vrais décors construits comme on faisait avant à Hollywood et ailleurs. Ça, c'est vraiment cher. L'équipe était beaucoup plus importante que celle qu'on avait pour voyager. Disons que le Portugal a sûrement payé la partie voyage. Et que les autres pays producteurs ont payé le tournage en studio. Ça ne serait pas possible simplement avec l'argent portugais de faire ce travail en studio.

Grand Tour à l'aspect d'un conte. Vous nous faites voyager d'une époque à une autre, d'une langue à une autre. En tant que spectateur, on ressent quelque chose d'assez rare au cinéma : le temps semble suspendu. On a l'impression d'être dans un autre monde. On a la sensation que ce monde existe, avec les gens qui s'y sont côtoyés. Est-ce une volonté de votre part ?

Miguel Gomes : Vous avez raison. Ce monde s'appelle le monde du cinéma. Le monde du cinéma ce n'est pas la vie, ce n'est pas notre monde. Il peut y avoir des règles différentes notamment avec le temps. Le temps est quelque chose de passionnant à explorer au cinéma. Un réalisateur français  a fait ça durant presque toute sa vie. Il me passionne beaucoup, c'est Alain Resnais. Il a beaucoup travaillé le temps. Il a inventé beaucoup de temporalités différentes au cinéma. Dans Grand Tour, on voit parfois les acteurs, les personnages, dans une Asie fabriquée par le cinéma. Une fausse Asie que le cinéma a inventée. Cette histoire se passe en 1918. Et, en même temps on coupe parfois, on passe ces images où on voit les personnages dans les mêmes espaces, les mêmes régions, mais filmées de nos jours. On ne perd jamais les personnages parce qu'il y a une voix off qui raconte ce qu'ils sont en train de faire. Ça me paraît intéressant. Peut-être même un peu resnainien. A la façon d'Alain Resnais. C'est le côté fantomatique du cinéma. On peut projeter les personnages dans un monde qui ne leur correspond pas. Parce que c'est un peu le futur de ces personnages. On essaie d'inventer un temps unique avec de la continuité, mais composé par des temporalités différentes.

Ce monde s'appelle le monde du cinéma.

Miguel Gomes

Comment réussissez-vous à donner vie à une idée ?

Miguel Gomes : C'est difficile pour moi de répondre. Je ne peux pas le justifier avec une formule rationnelle. Parce qu'à la fin, c'est vraiment musical, sensoriel. On passe par des séquences plus conventionnelles. Normalement, ce que le cinéma fait, c'est de montrer des personnages qui font des actions, qui ont des rapports. Il y a un récit. On a tout ça dans le film et en même temps, parfois, on ne voit pas ça. On passe à des images du monde contemporain, en essayant de ne pas perdre les personnages. Comment fait-on ça ? Je ne peux pas l'expliquer parce que c'est toujours différent. C'est un travail de montage et d'écriture. Parfois, le montage et l'écriture étaient mélangés parce qu'on montait et on écrivait en même temps. Par exemple, on montait le matin et on écrivait des voix off l'après-midi, qu'on enregistrait nous-mêmes. On essayait de voir comment ça marchait. Si ça ne marchait pas, on changeait les phrases de la voix off ou on changeait le montage. C'est quelque chose de si organique de faire, de fabriquer, que c'est difficile de l'expliquer d'une façon théorique ou rationnelle. Parce que travailler, c'est faire des choses pratiques.

On a l'impression que vous embrassez toute l'Histoire du cinéma, vous faites une référence au cinéma muet, aux origines du cinéma, vous utilisez la voix off, vous utilisez différentes façons de filmer, du décor réel, du décor reconstitué, des images d'archives. D'une certaine façon, essayez-vous d'embrasser une forme de cinéma total pour offrir un spectacle singulier, original, romanesque, aux spectateurs ?

Miguel Gomes : Aujourd'hui, le cinéma a plus de 130 ans, donc le cinéma a été différentes choses dans des moments différents. Il y a des registres immenses. Certes, ce n'est pas comme la littérature, ou la peinture, où il a beaucoup plus de courants, mais le cinéma n'est tout de même pas jeune. IL y a donc des mouvements différents. Depuis le début, il y a une variété de cinémas. Il y a eu la fantaisie de Méliès ou la capacité de filmer, de capturer le réel, les lumières, Il y a ça depuis les débuts du cinéma. Après, ça a continué. Alors pourquoi rejeter des choses ? Pour moi, il est très important d'avoir tout ça. Donc oui, je travaille aussi avec la mémoire du cinéma, J'ai cette mémoire, parce que je suis un cinéphile À Lisbonne, il y a une cinémathèque qui est vraiment incroyable, dans l'esprit de la Cinémathèque française, créée par Henri Langlois. Je continue d'aller souvent à la cinémathèque, de regarder des films. Bien sûr,  je regarde le cinéma contemporain, et tout m'intéresse. Ça fait partie aussi de ma vie. Après, il faut faire attention, parce que cette cinéphilie, peut fonctionner comme une boule. On peut être enfermé, prisonnier, dans le monde du cinéma, et ce n'est pas bien. Quand je regarde mes films, je me dis que tous sont peut-être un peu des remakes, chacun à leur manière. Ces films s'intitulent Le Magicien d'Oz, Que se passe-t-il dans Le Magicien d'Oz ? Il y a une fille, Dorothy, avec son chien. Et elle est prise dans une tempête, au Kansas, dans la campagne, où elle vit.  Même si cette campagne a l'air d'un studio à Hollywood. Ce monde est notre réalité, notre vie, notre quotidien.  Ensuite,  elle est transportée dans un territoire, régit par différentes lois, qui s'appelle Oz. Oz, c'est le territoire du cinéma, et donc, peut-être qu'à chaque film, à ma manière, je passe du Kansas à Oz, tout le temps.

Je travaille aussi avec la mémoire du cinéma car je suis cinéphile.

Miguel Gomes

Il y a plusieurs genres dans Grand Tour. Notamment la screwball comedy (comédie loufoque américaines des années 1930/1940). Peut-on considérer Grand Tour comme un film de genre ? Acceptez-vous, par exemple, qu'on le considère comme un film d'aventures ? 

Miguel Gomes : C'est comme ça que je le décris souvent. Pour moi c'est un film d'aventure. J'étais à Cannes et je n'ai pas tout vu, par exemple, de la compétition, mais j'ai vu quelques films. Beaucoup de gens disaient de Grand Tour :  "Voilà le film le plus radical, avec la proposition formelle la plus risquée par rapport à une idée plus traditionnelle du cinéma". Mais Grand Tour est le film le plus proche du cinéma classique américain même si c'est fait d'une manière différente parce que ce n'est pas la même époque, Moi, je suis portugais, je n'habite pas à Hollywood, donc le temps est un autre temps. Je ne peux pas faire semblant que je suis un américain qui habite dans les années 40, au moment où se produit la screwball comedy.  J'adore la screwball comedy avec Katharine Hepburn, Cary Grant. On en un un peu discuté pour entrer dans l'esprit, une manière de jouer un peu décalée de la vie. On a parlé aussi de naturalisme, bien sûr. Mais la manière dont on joue aujourd'hui, m'intéressait également.

Serait-il intéressant intéressant de regarder le film en coupant totalement le son. Le film existerait d'une autre manière, mais peut-être le percevrait-on tout autant ?

Miguel Gomes : Je ne sais pas, il faut faire l'expérience. Mais je dirais que si vous faites ça, je vous propose de faire aussi le contraire. Écoutez seulement le film, il y a un film que j'adore aussi, qui me paraît être le film avec la plus belle bande-son du cinéma, qui s'était éditée et publiée. Il y a un disque, un album de musique de film. C'est un film de Jean-Luc Godard : Nouvelle Vague. Il y a un disque, je l'ai chez moi, je l'écoute parfois, et c'est merveilleux d'écouter uniquement le son. Donc, voir son son, écouter son image, c'est toujours possible. Ça va donner quelque chose, je ne sais pas quoi, mais ça donnera certainement quelque chose.


Synopsis : Rangoon, Birmanie, 1918. Edward, fonctionnaire de l’Empire britannique, s’enfuit le jour où il devait épouser sa fiancée, Molly. Déterminée à se marier, Molly part à la recherche d’Edward et suit les traces de son Grand Tour à travers l’Asie.

Les Infos sur Grand Tour

Grand Tour de Miguel Gomes

Avec Gonçalo Waddington, Crista Alfaiate, Teresa Madruga
Scénario : Miguel Gomes, Telmo Churro
Distributeur : Uma Pedra no Sapato; Cinéma Defacto; Shellac; Vivo Film

Sortie : 27 novembre 2024
Durée : 128 min

Photos et film-annonce : Shellac Films

Entretien réalisé à Lille le 15 octobre 2024 par Grégory Marouzé.
Retranscription de l'entretien par Ambre Labbe.
Remerciements : UGC Le Métropole

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