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Interview de Public Enemy

Interview de Public Enemy

Public Enemy Date de l’événement : 06/04/2007

Traduction : Aurélie GAM

Journaliste : Au sujet de la révolution du Hip-hop aujourd’hui, quelle est votre vision, qu’est-ce qui a changé ?

Chuck D : Chaque jour dans le Hip-hop est super, mais les spectacles pourraient être meilleurs. Ils pourraient être plus long. Tout le reste du monde est meilleur pour les spectacles que les Etats-Unis, comme pour le basket-ball. Ce n'est pas parce que çà a commencé là que c’est meilleur. Ce qui importe c'est l'effort, l'effort, l'effort, mais aussi la diversité et le point de vue.

J. : Vous êtes reconnu pour votre rap politique. Aujourd’hui, 20 ans après votre 1er album, vous n’avez pas changé et la plupart de vos chansons sont toujours pertinentes. Qu’est-ce que çà vous inspire au sujet de votre époque ou des gens ?

C.D. : 20 ans, c’est une courte période. Beaucoup de problèmes se sont posés dans les 100-200 années précédentes. Ils se sont posés de différentes manières. 20 ans n’est pas une période qu’on peut comparer à 100-200 ans de problèmes. Ce sont des déclarations, beaucoup de changements mais aussi beaucoup de choses qui ne changent pas. Donc, nous combattons encore et toujours le pouvoir mais il faut se battre pour soi-même. Vous devez comprendre qui vous êtes et comprendre le reste du monde. Je suis pratiquement sûr que beaucoup d’entre vous savent que vous devez vous battre pour vous affirmer. Vous savez ce que c’est… Vous ne voulez pas être catalogué selon les apparences, vous voulez être catalogué pour le fond. Et le reste du monde regarde plus les apparences pour se faire un jugement, et  qui interprète au final ? Le fond est très important… pour les gens noirs et de couleur dans le monde, c’est la lutte pour être accepté comme des hommes égaux aux autres. Il n’y a qu’une race d’hommes sur la planète…Et là en ce moment, on est en train de se perdre, de perdre la planète, et sans ça (sans nous et sans la planète), on est rien, peu importe que tu sois riche, que tu possèdes des trucs, des gouvernements, des passeports, toute cette merde, si on n'a pas le monde, la planète dans sa meilleure forme, hé bien on a rien, c'est pourquoi il est très important de dire aux gens de se rendre compte de ce qu'ils ont.

J. : Vous avez fait une sorte d’hommage à James Brown ?

C.D. : James Brown est le parrain de la Soul, du Funk, du Rap et du Hip-Hop. Sans James Brown, rien de ceci n’existerait. Pas de Hip-Hop, pas de Rap.

J. : Est-ce que vous appartenez à la famille/ au milieu?

C.D. : Oh oui, complètement!

J. : Ce soir il y a une sorte d'hommage à James Brown, parce qu'il est mort, qu'est-ce que vous pensez de ça? Dans les journaux, pendant un moment, on a polémiqué sur la mort de James Brown, qui posait problème car il y avait des zones d'ombres.

C.D. : Je ne fais pas attention à tout ça, je fais juste attention à James Brown en tant que personne qui me donne de l'espoir et du courage.

J. : Avez-vous entendu parlé de la campagne présidentielle française ?

C.D. : Oui, ils disent qu’il y a d’une certaine manière le cousin de Bush. S’il est élu, je ne sais pas si nous serons autorisés à revenir en France. Nous devons faire quelque chose à ce sujet.

J. : Qui est l’ennemi public le plus dangereux aujourd’hui ?

C.D. : L’ignorance.

J. : Quelle est la place de dieu dans votre carrière ?

C.D. : Dieu est toujours le premier. On prie toujours avant le spectacle. Dieu est grand, Dieu nous donne la force de pouvoir communiquer avec le monde, la liberté de l’âme, ou la vérité de la justice à dimension internationale. Vous les gars, vous devez vous assurer que tous les rappeurs qui viennent en France respectent les mecs français, les DJ, la scène Hip-Hop, les MC’s et tous les gens. Parce que l’Amérique a un temps de retard sur le reste du monde et même si vous pensez tous qu'elle est en avance, elle a du retard. Seulement 22% des gens ont des passeports donc les Américains n’imaginent pas comment est le reste du monde. C’est mauvais quand on pense qu'ils sont censés "diriger" le monde.

Rosa : Votre musique a un message, pensez-vous avoir le pouvoir de changer les idées des gens, du monde ?

C.D. : La musique a toujours un pouvoir, mais le fait que beaucoup de gens soient sensibles ou non à ce pouvoir dépend de quelque chose d'autre.

R. : Avez-vous changé ?

C.D. : Si elle change ne serait-ce qu'une personne alors la réponse est oui.

R. : Pouvez-vous voir çà autour de vous ?

C.D. : C’est comme la qualité. Je ne cherche pas des résultats. Donc, c’est comme vous pouvez voir vos longues tentatives, vos longs travaux chaque jour, si vous y prêtez attention ou pas. Donc, vous continuez juste à travailler, vous n’avez pas de résultat final juste un but. Vous continuez à travailler.

J. : Pour moi, ta carrière a une dimension intellectuelle que de nos jours cette sorte de musique empêche d’avoir. Aujourd’hui des rappeurs font du Rap Bling Bling ou des choses comme çà, mais des gens veulent envoyer un message, le pouvoir de dire non au média, le pouvoir de dire "non" tout court. La musique que vous faîtes a ce pouvoir de dire non. C'est ça qui fait de vous un bon groupe, enfin moi, c'est comme ça que je perçois votre musique. Pourquoi les gens ressentent ça?


C.D. : Nous suivons l’héritage de la grande musique et des grands musiciens du monde entier qui nous ont précédés. Il y a plus de musique derrière nous qu’il n’y en a devant nous. Donc, tu peux toujours trouver une nouvelle musique derrière et c’est là où le problème s’intensifie. Les gens pensent que la bonne musique est quelque chose qui n’est pas encore arrivé ou est un nouveau genre. La nouveauté est quelque chose que vous pouvez découvrir derrière vous. C’est pourquoi nous essayons de montrer notre respect pour par exemple Louis Armstrong, Duke Ellington, John Lennon, et tant d'autres… Donc nous essayons de mettre tout çà dans notre spectacle aussi.

J. : Vous avez dit une fois que les lois de la musique changent la manière dont nous jouons de la musique en tant cas en ce qui nous concerne. Public Enemy est connu pour ses samples en musique, donc quel est le challenge pour vous en jouant de la musique aujourd’hui avec toutes ces choses ? J'imagine que ça vous empêche de refaire ce que vous avez déjà fait.

C.D. : Continuer à parcourir le monde. Mon plus grand regret est donc de ne pas connaître d’autres langues. C’est le plus grand regret de ma carrière et je sais quand je rencontre des gens si doués comme dans cette salle qui connaissent 3 – 4 langues que l’avenir de l’homme dans ce monde c’est d’être polyglotte.

J. : Le langage dans votre travail est universel ?

C.D. : J’aimerais avoir des mots universels aussi. Mais c’est mon plus grand regret. Mais si j'apprends d'autres langues, elles seront peut-être déjà mortes d'ici-là. Je pense que l’avenir de l’homme est le multilinguisme, la multiculture. Il suffit de regarder les Etats-Unis..

J. : Aujourd'hui, qu'est-ce que vous pensez de l'industrie du disque et d'internet?

C.D. : Il n'y a rien de mieux pour l'indépendance d'enfermer la population mondiale, mais après on ne peut pas être gourmand, comme une grosse société et ses dirigeants, qui pensent : "oh, nous devons faire de l'argent", non, non, il s'agit de donner de la musique aux gens et puis de vous voir construire une relation de business, ça marche dans les deux sens, on donne et on prend. Si on parle des grosses sociétés, il s'agit de prendre, d'être en conflit, de faire de l'argent, et j'ai pas envie de faire de la merde, je sais plus du tout où j'en suis par rapport à ce droit aujourd'hui. Les relations de business, c'est quand je vois une vieille connaissance dans le coin, dans la communauté, et qu'on va sans doute continuer à faire la même chose pendant 60 ans. On est voisin, donc on a une part du gateau, parce qu'on sait que la personne reviendra. Il faut faire la même chose avec la musique, la musique est un divertissement, ce n'est pas: "combien vous avez les gars, pour que je vous donne la musique." Ce n'est pas obligatoirement comme ça. On peut durer dans la musique, il suffit de penser aux gens avant tout.

J. : C'est marrant parce que "Blabla" a dit la même chose sur le rap politique, en recul au début des années 1990, parce que les gens écoutaient les paroles, mais quand ils rentraient chez eux, les contenus étaient vides, ils avaient encore faim donc ils allaient acheter quelque chose d'autre. Est-ce que vous pensez que les problèmes avec le rap politique sont en partie dus à ça?

C.D. : Bon d'abord, Blabla est un type bien, c'est un bon ami, il est jeune. Ne faites pas attention à ce qui se passe aux Etats-Unis, parce que c'est un monde à part entière, et il y a presque deux cents pays dans le monde, la foi en les Etats-Uni s'explique sûrement par quelque chose d'autre. En France il y a eu une révolution, des voitures ont brûlé, comme pour se venger de la société, et il y a des gens qui accordent plus d'importance à une voiture qu'à une vie humaine. Sérieusement, c'est en prenant en compte ce qui se passe dans le monde qu'on fait du Hip Hop, le Hip Hop fait partie du monde.

J. : De quoi êtes-vous le plus fier dans votre carrière? J'ai découvert votre musique quand j'étais ado, maintenant je suis adulte, et j'ai appris pas mal de choses grâce à votre musique.

C.D. : Ca, c'est mon plus grand plaisir dans la musique, que les gens viennent me voir pour dire merci, non vraiment il n'y a rien de mieux, ni les récompenses, ni l'argent, le fait que quelqu'un dise merci, c'est mon travail, c'est notre travail de montrer aux gens que oui ok on fait des disques, mais si tu ne viens pas au spectacle, tu ne peux pas les acheter, c'est quelque chose qu'on met en place pour que les gens s'impliquent, c'est notre but numéro un. On n'a pas inventé ça, on ne fait que suivre l'héritage de ceux qui ont inspiré les gens autour de nous.

J. : Comment vous vous voyez? comme un musicien? un messager?

C.D.: Comme un chanteur. Tous les autres membres du groupe sont des musiciens.

J. : Où que vous alliez, les gens vous interrogent sur les Etats-Unis, si vous les représentez...

C.D. : J'espère en être l'ambassadeur culturel un jour. 

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