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Interview de Reuno, LOFOFORA.

Interview de Reuno, LOFOFORA.

Reuno. Date de l’événement : 28/04/2007

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Rendez-vous pris en loges avec Reuno, le chanteur de Lofofora, peu de temps avant la montée du groupe sur scène, lors du PacRock Festival, en Belgique.
Il en impose et se livre avec plaisir dans  l'interview N°E515.
Va falloir penser à la breveter!

Petite prise de risque pour cette interview et l’on va essayer, si tu le souhaites, « de se parler un peu plus qu’à moitié ». Pour reprendre à mon compte les termes des choses qui nous dérangent, tu sauras qui je suis, je saurai qui tu hais. Voila pour le concept. On attaque par les présentations.

•    Je m’appelle Benoit Didier. Didier, c’est le nom. J’ai 29 ans et je viens d’un milieu ouvrier, ce qui m’a sans doute conditionné pour voter Sego la semaine dernière. Penses-tu que nos origines déterminent toujours notre itinéraire à venir ?

Pas systématiquement, je ne pense pas. Notre origine est le point de départ dans notre vie, et où se situe ce point de départ compte dans un parcours. C’est vrai. Mais je ne crois pas à la fatalité, même s’il y a des prédispositions.

•    Plus de 15 ans de carrière pour Lofo. Moi, je cherche encore à débuter la mienne. J’ai l’impression que mon éducation castratrice dans le privé me pèse toujours. Au collège et au lycée, le corps professoral était davantage partisan des brimades que de l’encouragement. Hormis la passion, quelle est la recette de Lofo pour passer les âges, la tête haute ?

Moi aussi, on m’a convoqué un jour au lycée et on m’a dit qu’il faudrait que j’aie un comportement davantage comme les autres, que je m’habille comme les autres. En gros, ils ne voulaient voir qu’une seule tête. C’est sûrement ce qui m’a poussé à être un peu plus dans la marge et ce qui me motive encore aujourd’hui outre cette passion pour la musique à laquelle je suis complètement accro. Je n’en fais pas juste parce que l’aime, sinon j’aurai peut être fait le conservatoire… Je ne sais jouer d’aucun instrument, même si je sais composer. Mais j’ai cette volonté d’aller à l’encontre de l’ordre établi. C’est un des trucs qui me préserve. Quand j’avais quinze ans, que je disais en dîner de famille que les adultes travaillaient tout le temps et ne sortaient pas dans la rue pour demander ce dont ils avaient besoin, on me répondait que je penserai différemment quand je serai père. Alors peut être que je dois être un irresponsable, car je pense toujours pareil…

•    La reconnaissance de ses pairs passe aussi par celle du père. Le mien est plutôt avare en compliments. Plus généralement, dans ma famille, on tait un peu trop ses sentiments. Les choses qui nous dérangent, traite de cette incapacité à communiquer. Penses-tu que le dialogue entre les hommes est toujours au point zéro ?

Ce que j’en pense, je l’ai réellement exprimé dans cette chanson là. Cela part d’un constat personnel. Malgré mes prétentions, j’ai parfois cette incapacité à communiquer avec les gens qui me sont le plus proche. Mais au point zéro, je n’irai pas jusque là. Regarde, nous deux, on ne se connaît pas et on arrive à échanger des trucs apparemment déjà personnels. Donc, il y a réellement moyen de faire. C’est juste qu’il faille mettre de côté sa peur animale, celle de l’inconnu, de l’étranger. Cela dit, ce n’est vraiment pas évident.

•    « C’est moins compliqué de dire du mal que de penser du bien. » C’est un triste constat, néanmoins évident. Quand je signe un article de merde, les langues se délient plus facilement que lorsque je ponds un truc bien chiadé. J’imagine que c’est la même chose pour la sortie d’un nouvel album du groupe. On met le doigt plus facilement sur les trucs démago, plutôt que sur l’engagement, et l’expression des sentiments…

Que ce soit, une création artistique ou même l’écriture pour toi, quand quelque chose te sort des tripes, évidemment que tu te dis que cela va parler à telle ou telle personne. Mais il ne faut pas trop que cela oriente la façon de faire. Le regard de l’autre, on a du mal à faire sans, surtout quand on produit quelque chose que l’on a envie de partager. Mais il ne faut pas en être prisonnier, car l’auto censure arrive au galop. Et c’est la plus dangereuse de toutes. On voit ce que cela donne en France en ce moment. Il ne faut pas être complice de ça.

•     La maladie plane pas mal sur ma famille en ce moment, et j’ai une peur bleue de la mort de mes proches. Mais bizarrement, je m’éloigne d’eux, comme un barrage que je me construis, alors que je devrai davantage être présent. J’agis comme un lâche. La notion de fidélité à ses sentiments et à ses convictions, s’inscrit en filigrane dans la carrière du groupe. Comment ne pas décevoir les attentes de personnes qui vous sont chères tout en restant fidèles à vos idées ?

C’est une question pour moi aussi ça ! Tu as pris le temps de savoir ce dont il en retournait avec Lofo et tu as fouillé dans ce que l’on a à raconter. Mais je n’ai pas de solutions à te donner, et je n’ai pas non plus l’impression d’être particulièrement un exemple. Lofo reste une expression d’une partie de ma personnalité, il y en a des tas d’autres que peut être personne ne soupçonne. Même si je parais fidèle à mes convictions, j’ai pu aussi douter, fuir, faire preuve de lâcheté dans ma vie, dans  d’autres domaines que ce qu’est mon implication dans ce groupe.

•    On ne va pas à un concert de Lofo, comme on va au spectacle en famille. Chez vous, il y a toujours le fond et la forme. Cela dit, j’aime aussi me retrouver devant des groupes sans réel discours, juste pour le plaisir. Cette notion de musique/plaisir est-elle dépassée ? Doit elle toujours être une réaction face à la société ?

Non, moi j’ai aussi besoin des deux. J’aime la musique qui me raconte des choses, qui me secoue un peu le cerveau. Mais j’aime aussi son côté ludique. Regarde l’electro, c’est déjà bien de voir des gens danser ensemble. C’est un rapprochement, même s’il n’y a pas de paroles ou que cela répète les deux mêmes mots qui ne veulent rien dire. J’ai  par exemple beaucoup aimé le mouvement électro clash avec un retour aux 80s et aux valeurs de la disco : la drogue, le sexe, la superficialité. Et cet aspect là de la vie, je peux aussi  en avoir besoin. C’est un peu la récré pour moi.
Lofo combine un peu les deux. Il y a des gens qui n’en ont rien à foutre de nos paroles, mais qui s’éclatent sur la musique avec une espèce de pulsation animale. On peut mêler le corps et l’esprit. Mais si ce n’est que le corps, ma foi, c’est tout de même la base de la musique…

•    Parlant de cette société où tout est biaisée, et où l’on se fait le plus souvent bien baiser. Quand tu écris "Sonnez l'alarme citoyens / Sortez vous les doigts du fion / », quel est donc ce manque de mobilisation des Français? Une peur résultant du système répressif de Sarko ?

Est-ce que les gens se rendent compte de leurs actes et de leurs conséquences ? Sarko y rajoute à la peur, oui. Mais je pense que c’est avant tout la désinformation, l’intoxication médiatique que subit à peu près toute la planète. Les médias sont de magnifiques outils à éduquer les foules. Dans un journal de trente minutes, nous n’avons que deux minutes d’infos réelles. Et après, on demande aux gens d’avoir une opinion, alors qu’on ne leur donne pas de vrais choix. Oui, il y a eu un lessivage de cerveau en règle qui s’opère de plus en plus de manière évidente. Cela en devient obscène. Tant qu’il y aura des Cauet ou des Arthur, les gens seront cons…

•    Ceci dit, la motivation au premier tour des élections a été bonne. L’appel à voter des groupes rock et plus généralement de la scène française a-t-il été entendu ? On ne sait pas. Par contre, je trouve que les artistes qui prennent position pour tel ou tel candidat ne sont pas à leur place. Et je ne parle même pas de Doc Gyneco, Enrico Macias ou Faudel, plutôt typés, qui soutiennent Sarkozy… Penses-tu qu’un artiste a droit de citer dans le débat politique autrement que sur scène ?

Il n’y a qu’à voir le niveau intellectuel des mecs que tu viens de citer, et j’y rajouterai Johnny…Mais, oui, les artistes ont tous les droits, cela fait aussi partie de leur expression. Maintenant, si les gens croient que c’est réellement un ralliement plutôt qu’une manipulation médiatique, libre à eux après tout…S’ils croient que Gyneco en a quelque chose à foutre de soutenir Sarkozy, alors qu’il rembourse ses dettes en sortant un livre de complicité, tant pis pour eux.
Chez Lofo, nous n’avons appelé à rien du tout. Déjà au sein du groupe, nous n’avons pas tous les mêmes opinions. On a la même sensibilité, mais pas la même façon de la concrétiser.

•    « y’a pas de raison qu’on change les choses qui nous dérangent ». Penses tu que si Sarko passe, la France va se retrouver dans la rue pour faire vaciller le gouvernement en place ? Mais aurait-on raison de se motiver pour changer cette sale chose qui nous dérange, élue démocratiquement ?

Logiquement non. Les français n’auront juste qu’à fermer leur gueule, puisqu’on accepte ce système tel qu’il fonctionne. A partir du moment où un mec gagne, les perdants n’ont rien à dire. C’est comme ça que ça marche. Mais j’espère que ça va être la guerre. Vraiment.
–rires-

•    Les groupes de gauche ont davantage tendance à affirmer leur bord politique que les groupes de droite. Tu as une explication à cette constatation ? Remarque, ils sont peut être aussi sournois que leurs représentants au pouvoir et soutiennent leurs candidats dans des textes insidieux façon Sardou…

Je ne sais pas. Peut être ont-ils honte ? Je ne vois pas d’autres explications. Ils ne doivent pas avoir la conscience tranquille avec ça. En ce moment, on nous dit d’arrêter avec « la droite c’est mal, la gauche c’est bien ». A ce propos, il y a justement djspadrille, qui sur myspace a fait un morceau bien marrant où il ne fait que répéter ces slogans. C’est très drôle, et peut être vrai quand même. –rires- Je n’ai rien contre les gens qui ont des projets et des ambitions dans la vie, bien au contraire. Mais dans les notions propres au capitalisme, il y a tout de même la faculté de marcher sur la gueule de l’autre. Donc artiste de droite, déjà il y a un truc qui ne fonctionne pas…

•    Est-ce que les amitiés font toujours fi de sensibilités politiques différentes ? Je te parle de cela, car mon groupe d’amis vole en éclat entre les pro Sego et les pro Sarko. L’humain n’est il pas plus intéressant que le politique ?

Oui, sûrement. Mais je pense que des gens dans ma famille votent à droite. La famille, on la choisit pas. Mes amis, j’essaie tout de même de les choisir. Je ne pourrai pas tolérer d’avoir dans mes amis quelqu’un d’aussi con pour suivre un mec pareil. Mais ce qui s’applique à moi n’est peut être pas bon pour toi. Moi, je ne suis pas un mec hyper tolérant. Mais je le suis beaucoup plus que ce nabot que semble suivre une partie de tes potes…

•    Laissons la politique de côté et attardons nous sur un groupe qui te tient à cœur. Sleeppers. J’étais au Bataclan pour leur passage en 1ère partie d’Eiffel. Belle surprise de te voir débouler sur scène pour Ruines. Comment expliques-tu le fait que ce groupe génial ne perce pas de façon évidente avec pareil talent ?

C’est un problème, oui. Je ne vais pas citer les gens que je n’aime pas. Mais regarde aujourd’hui, il y a une nouvelle vague de groupes rock français, qui fait juste du yéyé comme dans les années 60
---Naast fait partie du festival…---. Aujourd’hui, parmi les musiciens et le public underground, il y a toute une frange de la population qui a parfaitement digéré cette culture rock quasiment comme les pays anglo saxons, les mères patries de ce genre de musique. Ici, on reste très loin de ça. La musique bruyante au sens large n’est pas très relayée par les médias.
Il y a très longtemps de cela, un journaliste ricain du Washington Post avait écrit que si Lofo était un groupe US, des groupes comme Pantera n’auraient qu’à bien se tenir. Moi, ça m’a fait rigoler de lire un truc pareil. En France, ce n’est pas du tout la même histoire. Lofo avec quinze ans d’existence, plus de mille concerts, on ne parle de nous que dans les médias spécialisés. Mais ce n’est pas très grave. Les groupes de rock surmédiatisés, ça ne dure longtemps que très rarement. Il y a assez de groupes dits underground qui se la pètent en couverture et en tête de gondoles pour qu’on n’en rajoute pas...

•    Le nouvel album de Lofo est prévu pour début Octobre. On apprend sur le site officiel qu’il y sera question de metal hardcore punk, sans ballade, et qu’aucun titre ne filtrera sur Europe 2. On est soulagé ! Plus sérieusement, le metal qui se met à nu –sans jeu de mots-  en se posant sur trois accords, c’est inconcevable pour toi ?

Non, du tout. Regarde des titres plus cool comme L’Eclipse ou Bienvenue Sur La Terre… Là, on s’est juste dit qu’il n’y aurait pas de morceaux comme ça sur la nouvel album. Mais je rêve depuis des années qu’on arrive à faire un morceau sur un seul riff du début à la fin. Cela dit, ce n’est pas le propre de Lofo, ce genre de morceau…
Mais la simplicité en musique, c’est un des trucs qui me touche le plus d’ailleurs. Hier, j’écoutais Chuck Berry et Little Richards. Ca me met du soleil dans la tête de façon incroyable. Dans le métro, tu écoutes James Brown, et tout va mieux…

•    Humide song sur le dernier album parle de sexe sans détour. Plus jeune j’avais souvent des dépressions post coïtales, je ne me les suis jamais expliqué. Cela est sans doute lié à une éducation religieuse qui m’a pas mal déprimé. A moins que cela ne soit rattaché à ma drôle d’expérience sexuelle avec un monsieur imbibé… Vous pensez qu’on écrit aussi pour exorciser ou que l’idée est très surfaite ?

Je pense que je ne fais quasiment que cela moi, extérioriser ou exalter des sentiments à travers une écriture. Le rock a toujours été une musique de frustration, lié à un manque d’expression. Et c’est sûr que la culture judéo chrétienne, c’est juste une catastrophe pour l’être humain. Un morceau comme Irie Style sur le premier album, je n’assumerai plus du tout de chanter un texte comme ça aujourd’hui. A l’époque c’était un espèce de truc compatissant envers les religions. Alors qu’aujourd’hui je suis complètement contre tout cela. Les philosophies oui, la religion non.

•    Vous étiez au 1000ème concert de Tagada Jones. Je les ai en interview après vous. Je leur fais le même concept d’interview ou ces gens d’obédience punk vont me tailler en pièce ?

Non, c’est des mecs bien avec qui on peut discuter. Cela s’entend avec le contact qu’ils ont avec le public. Nico –chanteur de Tagada- et moi sommes des mecs qui se faisons régulièrement traiter de démagos, mais on s’en branle parce que le public sait que c’est sincère.

•    Petit rituel pour clore l’entretien. Je le garde ce concept ou je reviens aux interviews promo plus académiques ?

Une interview comme la tienne, on ne m’en avait jamais faîte. J’aime bien quand ça change.
J’adore aussi les mecs qui me posent des questions complètement cons. Autre exemple marquant : un jour, j’ai eu un entretien basé sur le sexe avec une fille qui faisait une émission érotique à la radio.
Donc, continue comme ça. Toi aussi, ça doit te faire du bien. Tu racontes un peu ta vie, ça te permet d’exorciser. Alors bosse la dessus et fais toi du bien !


Mille mercis à Reuno pour cette entrevue si particulière, loin des standards de la promo.

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