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Interview de Sarah Polley

Interview de Sarah Polley

Sarah Polley Date de l’événement : 19/03/2007

Pour la projection en avant-première le jeudi 22 mars au métropole de Lille de son film « loin d’elle », où elle sera présente, Sarah Polley a accepté de répondre à mes questions et surtout a réussi à les comprendre. Adorable, elle a été très patiente face à mon anglais pas tout à fait parfait.

Traduction de l'interview réalisée par Isabelle Vérove.

Aymeric Duperray : Qu’est-ce qui vous a intéressé dans la nouvelle d’Alice Munro ?

Sarah Polley : Je trouve que c’est l’histoire d’amour la plus profonde que j’aie jamais lue. J’ai pensé qu’il était vraiment intéressant d’offrir un regard sur l’amour après un long mariage, après 44 ans, au lieu de se focaliser sur ce qu’on explore habituellement, c’est à dire le tout début. Je trouve d’ailleurs ça un peu lassant. Et... ce que je trouve aussi passionnant, c’est l’idée de la mémoire et de la façon dont, d’une certaine manière, elle nous dirige. Quand on perd sa capacité à se souvenir consciemment d’évènements précis, la façon dont la mémoire émotionnelle nous pousse en avant est fascinante. Ce qui, je crois, arrive au personnage de Julie Christie, c’est que sa mémoire émotionnelle est bien plus forte que sa mémoire réelle, et c’est ce qui commence à lui donner des renseignements sur toute sa vie.

A.D. : Comment avez-vous travaillé la notion de mémoire au niveau des personnages ?

S.P. : Je crois que l’important était de déterminer qui ils étaient quand elle avait encore de la mémoire et de découvrir comment ils vivaient cette relation. Je crois que ça commence à changer quand elle se met à évoquer les liaisons qu’il a eues avec d’autres femmes par le passé. Je crois que ça doit être la première fois qu’elle en parle depuis toutes ces années. Donc il s’agit ici de faire en sorte de déterminer ce à quoi ressemblait ce mariage, avec toutes ces choses qui demeuraient tues, et comment on le ressent à présent qu’il s’effondre et que toutes ces choses sont formulées.

A.D. : Le fait d’être actrice vous a-t-il aidé à diriger les comédiens ?

S.P. : Dans une certaine mesure, je pense que oui, mais ça m’a surtout fait plus peur qu’autre chose, car j’ai l’impression d’être vraiment consciente de la sensibilité des acteurs et de la rapidité avec laquelle on peut les perdre. Ca peut venir de ce qu’on dit, même quelque chose qui paraissait anodin sur le moment, mais qui a réussi à devenir aliénant pour eux. Je crois qu’en tant qu’actrice, je suis consciente du fait qu’un réalisateur peut aisément affecter notre travail dans un sens positif aussi bien que négatif. C’est pour ça que j’avais l’impression d’être tout le temps sur la corde raide. Et même si j’avais des acteurs qui m’ont très bien accueillie en tant que réalisatrice… je ne crois pas que… en fait, ça me rend complètement névrosée de parler à des acteurs !

A.D. : Etiez-vous nerveuse à l’idée de diriger des comédiens ayant beaucoup d’expérience ?

S.P. : Oui, oui, j’étais très intimidée, car j’avais des acteurs que j’admirais depuis longtemps. Mais ils viennent d’une autre génération de cinéma, une époque où le cinéaste avait une réelle importance. Ils ont tous travaillé avec des réalisateurs qui savaient s’imposer, et je crois qu’il est plus facile de travailler avec eux qu’avec des jeunes, car ils respectent vraiment le travail du réalisateur. Ils m’accueillaient tout le temps avec bienveillance et m’invitaient à être le cinéaste, le metteur en scène. Donc.. je pense que pour moi, c’était intimidant, mais certainement beaucoup plus facile que de travailler avec des acteurs plus jeunes. Les acteurs d’aujourd’hui ont tellement plus de pouvoir, et il y a pas mal d’abus, donc j’étais ravie de ne pas travailler avec des acteurs plus jeunes !

A.D. : Les réalisateurs avec qui vous avez travaillé vous ont-ils influencé ?

S.P. : La personne qui a eu le plus d’influence sur moi est Atom Egoyan, et en tant qu’actrice et en tant que réalisatrice, il a vraiment été là pour moi, il a été mon mentor. Ce que j’adore quand on travaille avec lui, c’est que ce n’est pas un visionnaire loufoque, il n’a pas besoin d’être un cinéaste fou et incontrôlable, c’est quelqu’un de très calme, très logique, très humain. C’est agréable d’avoir un modèle comme lui : on n’a pas besoin d’être totalement narcissique ou égocentrique pour réaliser un film, on peut simplement y travailler, humainement.

A.D. : Avez-vous rencontré des familles touchées par la maladie d’Alzheimer ?

S.P. : Non, pas vraiment, mais ma grand-mère a longtemps séjourné en maison de retraite et j’ai passé beaucoup de temps avec elle. Bien sûr, il y avait beaucoup de gens qui avaient toutes sortes de démences séniles. Elle-même a souffert d’un type de démence dans sa dernière année, et mon oncle avait une variante de la maladie d’Alzheimer, appelée la maladie de Pics. Donc j’y ai été exposée, mais je n’ai pas eu d’important contact personnel avec cette maladie. C’est juste que j’ai été fascinée par la maladie d’Alzheimer, et ce que j’ai lu à ce sujet a été ce que j’ai lu de plus intéressant de toute ma vie. Par exemple explorer le sens que peut avoir la mémoire lorsque celle-ci est diminuée, et c’est ce moment-là que j’ai essayé de mettre en lumière. En fait, c’est comme une incroyable métaphore de ce que nous sommes. D’une certaine façon, la maladie d’Alzheimer, par certains côtés, comme beaucoup d’autres choses effroyables, amplifie notre personnalité et la rend beaucoup plus criante et imposante. Je pense que c’est une façon très intéressante de poser un regard sur soi.

A.D. : Les souvenirs que Fiona garde ne sont pas les meilleurs…

S.P. : Oui, et c’est ce qu’il y a de plus passionnant dans la maladie d’Alzheimer : on ne peut pas choisir les moments avec lesquels on va vivre jusqu’à la fin de sa vie, et on ne sait pas quels seront ces moments. On dit toujours que la plus grande souffrance dans la maladie d’Alzheimer concerne l’oubli de tant de choses, mais je trouve que l’idée qu’on puisse se rappeler de quelque chose de douloureux est bien plus terrifiante que ce qu’on oublie. Et cette grande blessure d’il y a des années, qui était guérie, se rouvre tout à coup et saigne… C’est tellement injuste.

A.D. : Vous traitez la possibilité d’avoir une seconde vie amoureuse. C’est rare au cinéma…

S.P. : Je trouve que la manière dont nous sommes sincères et fidèles les uns envers les autres est très compliquée, ça n’a rien de simple, surtout parce qu’on considère tout le temps cela d’une manière assez simpliste. En fait, ce que je trouve intéressant, c’est la façon dont il reste loyal à Fiona et fait ce beau geste pour elle en allant avec cette autre femme. C’est en partie pour lui-même qu’il agit ainsi, mais c’est aussi en partie pour qu’elle puisse être avec cet autre homme. Et je pense qu’il reconnaît que le moyen de respecter sa relation, c’est en passant par ce chemin moral très compliqué. Et ce n’est pas simple, c’est très moche, très sombre, étrange et lugubre. Et je crois que c’est assez ironique qu’il doive faire cela afin qu’elle aille mieux, alors que c’est exactement ce qu’il a fait dans le passé et qui l’avait fait souffrir.

A.D. : Votre carrière est plutôt tournée vers les films indépendants, mise à part l’Armée des morts.

S.P. : Ce que je veux faire, ce sont des films pour lesquels je serais prête à payer l’entrée, et pour l’instant, ce sont principalement des films indépendants, des films étrangers et de très petits films. Mais une fois par an environ, je vais voir un film bien bête et bien sûr, j’adorais le film original de Romero. De plus, je ne veux pas être trop sérieuse ou faire la difficile, par exemple : « ah non, je ne ferai pas ça parce que c’est un gros film hollywoodien… » Si c’est un film que je serais susceptible d’aller voir, je ne crois pas que je devrais l’exclure. Mes goûts sont variés et la plupart du temps tournés vers des films, donc, pour l’essentiel, c’est ce que je vais faire. J’aimerais que ce soit le reflet de…

A.D. : Et pensez vous un jour réaliser un film de genre comme « L’armée des morts » ?

S.P. : Je ne crois pas ! Trois mois de sa vie, c’est sympa, mais pendant deux ans… je ne crois pas… c’est trop, je n’aime pas à ce point-là !

A.D. : Avez-vous d’autres projets ?

S.P. : Oui, je suis en train d’écrire quelque chose en ce moment, quelque chose qui est vraiment différent de ce que je fais là.

A.D. : C’est aussi une adaptation ?

S.P. : Non, c’est une œuvre originale.
 
A.D. : Mais pas une histoire d’amour ?

S.P. : Si, c’en est une, mais je reprends l’idée et j’en parle avec des jeunes. Ce sont des jeunes entre 20 et 30 ans qui essayent d’être loyaux les uns envers les autres et qui n’y arrivent pas. Ca part d’un point de vue bien plus jeune.

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