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Izïa en entretien exclusif juste avant son concert complet à l’Aéronef

Izïa en entretien exclusif juste avant son concert complet à l’Aéronef

Izïa Date de l’événement : 30/01/2020

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De passage en concert à l’Aéronef, Izïa a accordé un long entretien à Lille la Nuit. Quelques heures avant de fouler la scène avec ses musiciens, elle nous a parlé de sa musique, de son évolution artistique, de son dernier album Citadelle, du public et de son père, Jacques Higelin.

Izia

Izïa en concert à l'Aéronef le 30 janvier 2020 © Léa - LillelaNuit

"Citadelle", l'album de tous les changements

Depuis ton premier album, Izïa, jusqu'au récent Citadelle, on a ressenti une grande évolution artistique dans ton travail. Dirais-tu que cette évolution fût pour toi naturelle, ou qu'elle est davantage liée au travail, à la scène, aux événements de ta vie ?

Je pense que c'est quand même un mélange de tout ça. C'est vrai que, quand j'ai commencé, je n’avais aucune expérience à part mon instinct et le milieu d'où je venais, mon héritage entre guillemets, pour me porter à la musique, à l'expression scénique et à toutes ces choses là. Ensuite, évidemment, plus j'ai fait des concerts, des albums, plus j'ai rencontré des gens, le public, plus j'ai acquis du savoir, de la maternité, oups lapsus (rires), de la maturité, de la maternité aussi ceci dit, et une forme d'expérience ! Je pense donc que les deux premiers albums, surtout le premier, c'était un jet d’énergie, un jet de tout ce que j'avais en moi ! Un jet puissant. Brut ! Et au fur et à mesure du temps ça a pris forme. Le deuxième album est quand même plus produit, comparé au premier. Toujours rock, mais plus produit ! Après, il y a eu ce virage de La Vague en français, je pense que j'ai eu l'intelligence de prendre le truc avant de me faire dépasser par mon rock. Je me suis dis “c'est maintenant qu'il faut que je passe à autre chose”. J'en avais envie, j'en avais besoin ! J'ai affirmé le truc avec Citadelle, qui est à mes yeux l'album le plus important que j'ai fait parce que c'est extrêmement personnel et, musicalement, ma voix, mes mots, j'ai l'impression que ça commence vraiment à prendre forme. C'est comme si chaque album était une vraie étape. Je suis en train de construire une vraie carrière, quelque-chose qui a du sens. Je compte rester là longtemps (rires) ! Je ne sais pas encore jusqu'où ça va m'emmener toute cette évolution, mais c'est fait pour aller loin et pour explorer plein de choses encore !

Tu chantais essentiellement en anglais, qu’est-ce que le fait de t’approprier le français pour écrire et pour chanter t’a apporté ?

C'est vraiment complètement autre chose ! J'ai décidé ça du jour au lendemain. Pendant la création de La Vague, qui était d'abord en anglais, je me suis dis "non mais en fait on va le faire en français, ça n'a aucun sens". Et d’un coup j’ai décidé que tout l'album serait en français, et j'ai dû apprendre à écrire en français. J'écrivais des poèmes, des petites pièces de théâtre, etc. adolescente mais je n'avais pas vraiment acquis cette notion d’écriture pour la musique. Et puis je n’écoutais pas trop de chanson française non plus, donc ce n’était pas forcément évident de trouver mon écriture. Et il a fallu adapter ma voix aussi, parce qu'on ne chante pas du tout de la même manière en anglais qu’en français. Les voyelles, les diphtongues, ça ne se met pas du tout à la même place. Mais sur Citadelle, surtout à la fin de la création de l'album, j'ai vraiment eu l'impression qu’on s’est décomplexés avec la langue française ! Parce que sur La Vague c'était une période dans la musique où il y avait encore cette espèce d'ombre gigantesque de Bashung, Gainsbourg, mon père, qui régnait sur la chanson française, comme une ”figure absolue”, et si on écrivait en français c'était ça les référents. Je faisais comme une espèce de poésie pompeuse, où j'avais envie de ressembler à ça ! Et au fur et à mesure, ces 5 dernières années le français s'est beaucoup décomplexé, avec des groupes de musiques actuelles qui ont repris possession de la langue, en abandonnant l'anglais. Et du coup, on s'est décomplexés aussi vis-à-vis de la langue française dans la musique. Même moi ça m'a réellement aidé. Aujourd'hui je pense à trouver mon style. Je prends beaucoup de plaisir à chanter en anglais parce que c'est une interprétation mais je prends énormément, voire encore plus de plaisir à chanter en français parce que les mots résonnent et on raconte vraiment une histoire. Il n’y a pas de filtre entre nous et les gens. Mais en anglais je peux jouer avec ma voix et partir dans des sonorités de tout ce que j'aime dans la culture américaine et chez les chanteurs américains.

J'ai eu l'impression en écoutant Citadelle que le virage avait bien évidemment été amorcé par La Vague, mais que ta voix est plus posée, qu'elle est davantage dans l'incarnation et qu'on ressent peut-être moins l'impression de devoir y aller, en étant plus soi, en impressionnant moins et en allant moins vers l'artifice...

Oui, tu verras au concert si tu viens ! Un des trucs dont je suis vraiment le plus fière aujourd'hui c'est d'avoir trouvé ma voix plus que jamais ! En fait, quand je suis tombée enceinte de mon fils j'avais peur que ça interfère avec ma voix. En plus on était en train d'enregistrer l'album ! Enceinte de 7 mois, je ne pouvais plus chanter, j'avais plus la même voix du tout. Je me suis donc arrêté de chanter et j'ai repris 3 mois après l'accouchement. En gros, je n'ai pas chanté pendant 6 mois à peu près.

J’ai repris des cours de chant avec une prof incroyable qui s'appelle Martina A. Cattela et j'ai redécouvert ma voix. Ça a été un travail essentiel dans ma vie de chanteuse. Mon travail avec Bastien Burger, qui a réalisé l'album, a été aussi essentiel. Il m'a énormément amené à me débarrasser de cette nécessité de vouloir prouver quelque chose, en laissant simplement sortir ma voix telle qu'elle est ! Je pense que le plus gros progrès, au-delà que ce soit musical, c'est ma voix et le chemin que j’ai fait ! J'ai vraiment travaillé et je me suis totalement débarrassée de ce besoin d'impressionner, de faire des prouesses vocales, souvent trop puissantes. Parfois j'écoute des morceaux de mon premier album et je peux pas en fait. Même si ça m'attendrit parce que c'est moi, que j'avais 16 ans, mais je ne peux même plus m'écouter, je trouve ça “trop” !  J'ai l'impression d'amorcer une deuxième décennie de ma carrière avec plus de bagage technique, de tuyauterie quoi (rires) et c'est assez rassurant ! Même au niveau de la sensibilité, de l'intention, j'ai moins l'impression de devoir chopper les gens du coup, peut-être que c'est bien !

Une grande variété de styles, de sentiments...

Sur Citadelle, il y a une grande variété de styles musicaux : du rock, de l'électro-pop, de la pop, de l'afro beat, et pourtant on n’a jamais l'impression que l'album s'éparpille. Ce qui pourrait être un grand risque lorsqu'on a une telle variété musicale. Même avec ces duos, Dominique A, Jeanne Added, l'album garde toute sa cohérence. Je me demande comment on fait pour réussir ça ?

Je pense que j'avais extrêmement confiance en Bastien, dans tout ce qu'il a proposé, dans tout ce qu'il a fait ! Je pense aussi que l'unité de ma voix posée et confiante a créée un espèce de lien, il y a une atmosphère. Et puis c'est un album qui raconte vraiment une histoire pour moi. C’est vrai qu'il a des nuances assez différentes. Et comme avec Bastien on a des goûts assez éclectiques et qu’on aime un tas de choses, on avait envie d'explorer pas mal d'horizons.

Je pense aussi que ça ne s'éparpille pas car on avait un propos, on avait quelque chose en tête qui était très clair dès le début. C'était de faire un album pur et sincère, du coup ça ne s'éparpille pas car on est vraiment dans la vérité dans chaque titre. On n’a pas essayé de faire un morceau afrobeat, de faire un morceau rock, de faire un morceau machin, de faire un morceau truc, on s'est juste laissés guider par nos inspirations et ça a donné toutes ces essences là on va dire. Mais le fil conducteur c'est Citadelle ! C'est aussi pour ça que l'album s’appelle comme ça, car c'est une construction avec plein d'éléments différents, ça ne se répète pas, ça forme un édifice !

Tu disais tout à l'heure que Citadelle est l'album de la maturité et le plus important toi. D’après ce que j'ai pu en entendre, cet album est fait à la fois de très grandes tristesses et des plus grands bonheurs. 

Ouais, c'était très étrange mais c'était complètement fou ce qui est arrivé ! Aujourd'hui j'en parle avec un peu plus de détachement car à force d’interviews, à force d’en parler j’ai commencé à me familiariser avec l'histoire que je raconte mais quand on y pense c'est complètement fou d'avoir été traversée par cette mort, cette naissance, et en toile de fond de tout ça, de créer un album. D'être enceinte, de créer la vie et en même temps de créer la musique, qui est aussi de la vie, d'avoir en parallèle ce fond de maladie qui entraîne cette mort, d'être complètement chamboulée par toutes ces émotions et de devoir les retranscrire quasiment en temps réel dans son travail. Après c'est une chance aussi, parce qu’il n’y a que quand tu es artiste que tu peux transmettre dans ton travail ce que tu vis. Je pense que ça m'a énormément aidée parce que j'étais concentrée sur quelque chose qui était plus grand que moi : finir ce disque ! Mais je pensais que jamais on n’arriverait à le finir et pourtant on est allés au bout !

Je me suis grave mis la pression sur Citadelle. Que cet album soit en dessous de ce que je projetais aurait été invivable. Pour moi c'est l'album que j'ai fait pour mon père, pour mon fils, en hommage à tout ce que j'ai traversé, en hommage à tout le travail qu'a fourni Bastien, en hommage à tous les gens qui ont aimé mon père, j'ai mis dans ce disque plein de gens que j'aime qui me rappellent mon père, qui me rappellent plein de souvenirs, des textes, des mots de lui ! J'utilise plein de mots de son répertoire que j'insuffle dans mes chansons. Chaque chose, chaque parcelle de Citadelle a un sens.

J'ai mis dans ce disque plein de gens que j'aime qui me rappellent mon père, qui me rappellent plein de souvenirs, des textes, des mots de lui ! J'utilise plein de mots de son répertoire que j'insuffle dans mes chansons.

Izïa

Qu'est-ce qui vient d'abord : la musique, les paroles ?

Ça dépend mais pour moi c'est beaucoup la musique ! En fait c'est vraiment une atmosphère qui va me mettre en tête des mots, des images, des idées ! Je pars rarement d'un texte, très rarement, ou alors peut-être que j'ai envie d'exprimer une idée, un truc mais ça part rarement d'un texte ou de quelque chose que j'ai écrit. C'est souvent une ritournelle, une mélodie. Parfois, je peux même chanter quelque chose comme ça dans la rue avec des mots qui me viennent. Mais il y a toujours une mélodie, une petite chanson derrière les mots, et des mots il y en a après !

Qu'est-ce que tu voulais à tout prix réussir et à tout prix éviter avec Citadelle

À tout prix éviter ? C'était de l'impudeur. Je ne voulais pas que ce soit pris comme ça. Alors que Bastien me disait "mais c'est ton père, tu peux faire absolument tout ce que tu veux, tu peux tout lui dire", et moi j'avais peur de ça. Quand j'ai mis sa voix sur le disque j'étais là "non mais t'es sûr que je peux mettre sa voix ?" et Bastien me disait "bien sûr, c'est génial qu'il y ait sa voix sur l'album". J'avais peur de ça, et finalement je suis contente car ça ne rend pas du tout comme ça. Et ce que je voulais à tout prix réussir, ce dont je suis fière, c'est que les gens ont vraiment reçu l'album comme je voulais qu'ils le reçoivent. Et l'entendent comme je voulais qu'ils l'entendent. Il y a beaucoup de vérités dans Citadelle et ça a vraiment touché les gens, des titres comme Idole, Sunset, Chevaucher, Dragon de Métal. C'est un album que les gens écoutent, comprennent et intègrent !

Des ambiances de films

Quand j'écoute tes albums, et plus particulièrement La Vague et Citadelle, j'ai l'impression d'avoir dans les oreilles des ambiances de film. Or, tu es aussi comédienne. Que te donne la musique, que ne t’offre pas le cinéma, et inversement ?

Dans la musique c'est super simple : c'est juste la scène ! Le rapport direct, la réaction directe que tu n’as pas dans le cinéma. Je peux éprouver énormément de plaisir quand je joue une scène et que ça se passe hyper bien. Quand ce sont des scènes un peu longues et que tu vas d'un point A à un point B et que tu arrives au bout de la scène, là le metteur en scène te dit "coupé" et tu te dis "wahou j'ai l'impression d'avoir été transporté avec mon personnage, je l'ai vraiment emmené là où je voulais, tout s'est déroulé comme prévu avec mon interlocuteur". C'est rare mais ça arrive !

Dans la musique, tu as une liberté absolue que tu n’as pas dans le cinéma. Tu es sous les désirs d'un réalisateur, tu peux juste faire des propositions. Mais en même temps c'est ça qui est hyper intéressant, c'est que tu es cadré ! Moi, j'adore prendre des remarques en considération en temps réel et devoir améliorer mon jeu. Je trouve ça hyper intéressant ! J'ai adoré travaillé en novembre avec Samuel Theis qui avait fait Party Girl, c'est son deuxième film qui s'appelle Petite Nature et j'ai adoré travailler avec lui, c'est vraiment un super metteur en scène. Samuel me disait qu'un de mes atouts, qui était sûrement lié à la musique, est que je savais parfaitement placer ma voix. Dans la musique d'une scène et que ça venait certainement de la musique et de mon oreille musicale. J’arrivais à rythmer les silences, à trouver les moments où prendre la parole. Une sorte de conscientisation de la musique d'une scène qui fait que tout à coup quand tu prends la parole c'est juste, dans le ton, la voix, le timing. Parce que c'est aussi une musique une conversation, un dialogue. C'est une musique entre deux comédiens, c'est une partition. Samuel m'a dit que la musique apportait ça dans le cinéma et j’ai trouvé ça joli !

Izïa

Izïa en concert à l'Aéronef le 30 janvier 2020 © Léa - LillelaNuit

Découvrez l'album photo complet de son live à l'Aéronef

Izïa en live et à Lille

À quoi les spectateurs, qui ne sont jamais venus te voir sur scène, peuvent s'attendre ?  

Moi je peux dire ce que je vois, quand je vois les gens en face de moi (rires) ! C'est vraiment un voyage, quand quelqu'un vient à un de mes concerts, je ne lâche pas le truc ! Pour moi, c'est vraiment un challenge entre les gens et nous, et moi, qu'on réussisse le concert qu'on est en train de faire ! Je ne saurais pas comment expliquer, ça fait presque 15 ans que je fais des concerts et pourtant je ne peux pas expliquer ce qu'ils vont voir, je sais juste que c'est beaucoup d'énergie, beaucoup d'émotions, je laisse tout couler, je ne retiens rien. Je ne prends pas du tout les gens comme acquis. Je me dis toujours qu'il y a encore des gens au fond de la salle et qu'il faut aller chercher tout le monde. Et laisser ouverts les robinets, le fluide, les émotions ! Vraiment, je ne sais pas s’il y a des trucs de synesthésie ou pas, mais quand je suis sur scène je vois vraiment les fluides et les trucs couler. Je vois les énergies se diffuser dans la salle. Mais c'est sûr que c'est possible, le corps humain sécrète tellement de choses, et on est tellement dans une salle ensemble à avoir chaud, à écouter de la musique, à fabriquer des émotions, des sensations et des trucs, ça crée forcément quelque chose de complètement mystique. C'est sûr !

Comment ressens-tu le public du Nord et de Lille ? 

Le public lillois est connu, surtout à l'Aéronef. Il y a un truc de grande chaleur, de grande excitation ! Il y a des villes comme ça hyper importantes, et puis ce sont des grandes salles ! Il n’y a pas trop de salles comme ça entre deux jauges en France. Tu as soit des clubs de 800 à 1200, soit tu passes à des Zéniths à 4500 minimum. Mais des salles de 1800 2000 c'est assez rare en fait. Ce sont des salles que nous sommes contents d’appréhender. Moi j'adore venir jouer ici parce que je sais qu’il y a beaucoup de monde ! Je sais que j'ai vachement le trac parce que la dernière fois, je m'étais laissée aller, il y avait beaucoup de "kids". Il y avait beaucoup de portables et c'était une période de ma vie où les téléphones étaient devenus ma hantise absolue. Je me suis carrément calmée, ça va beaucoup mieux (rires). Aujourd'hui j'ai changé par rapport à ça ! C'était un super beau concert quand même, j'ai adoré ! J'ai ce souvenir là aussi, d'avoir adoré ! Mais c'est vrai que c'est un public peut-être plus jeune que celui que j’ai l’habitude d’avoir. Je suis hyper excitée du concert de ce soir, qui est complet en plus. Franchement je suis trop contente ! Là, la tournée affiche assez complet de manière générale. C'est super beau, mais vraiment ! Et c'est vrai qu'on a un public hyper éclectique. Et je sais que le public lillois est plus jeune, donc j'ai assez hâte de voir ce que la jeunesse me réserve ce soir !

Interview : Grégory Marouzé - Retranscription : Mina Qassym

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