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« Jane Austen a gâché ma vie » : la réalisatrice Laura Piani et l’actrice Camille Rutherford

« Jane Austen a gâché ma vie » : la réalisatrice Laura Piani et l’actrice Camille Rutherford

Laura Piani et Camille Rutherford Jane Austen a gâché ma vie Style : Cinéma Date de l’événement : 22/01/2025

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Cette semaine, l'entretien ciné de LillelaNuit est consacré à Jane Austen a gâché ma vie, premier long-métrage de Laura Piani sorti le 22 janvier, et toujours à l'affiche. Centrée sur les mésaventures d'une jeune libraire qui rêve d'une vie romanesque,  cette comédie romantique délicieuse aborde avec humour, l'amour et la solitude. Entretien avec la réalisatrice Laura Piani et la pétillante Camille Rutherford pour LillelaNuit.

Pourquoi avez-vous réalisé une comédie romantique ? Aimez-vous particulièrement ce genre ?

Laura Piani : J'ai grandi avec une grand-mère cinéphile qui m'a montré des films de Ernst Lubitsch et de Billy Wilder. J'avais 6 ans et je savais à peine lire les sous-titres. Je n'avais pas le choix, il fallait voir les films en version originale. Je suis allée les voir au cinéma avec elle. Donc, mon goût du cinéma, vient de la comédie, notamment américaine, la comédie de remariage, la screwball comedy. Ensuite, j'ai étudié le cinéma et j'ai découvert plein d'autres genres de films. Mais, mon cœur est resté à la comédie romantique, à la comédie tout court. À la comédie d'auteur. Dans ma vie de scénariste, je n'ai pas eu la chance d'en écrire. Il n'y en a pas beaucoup en France.

Mon cœur est à la comédie romantique et à la comédie d'auteur.

Laura Piani

Comment vous êtes-vous rencontrées ?

Camille Rutherford : La rencontre s'est déroulée dans un bar en saison estivale, non pas que nous nous soyons rencontrée au hasard dans un bar. C 'était prévu, Ça aurait été génial, j'aurais adoré.

Laura Piani : Moi, je l'ai vue dans Felicità (de Bruno Merle), avant cett rencontre. Quand je t'ai vue dans Felicità, j'ai compris que tu parlais anglais.

Camille Rutherford : Et donc, on s'est donné rendez-vous dans un bar à Paris. J''étais très heureuse que Laura me propose son film.

Vous aviez déjà lu le scénario ? 

Camille Rutherford : Oui, oui, bien sûr, et j'ai trouvé ça génial ! Je me souviens avoir ri à gorge déployée à plusieurs reprises. Et j'étais super touchée que Laura ne me fasse pas faire passer d'essais. C'était une proposition officielle. Et ça, c'est vrai que c'est rare dans la vie d'un acteur. J'ai appris que même les acteurs connus passent encore des castings, J'ai découvert ça en voyant une vidéo d'Adèle Exarchopoulos sur Brut. Elle dit passer encore des castings. Le scénario me plaisait beaucoup.

Laura Piani : Te rappelles-tu  de ce que tu as fait ou pas ?

Camille Rutherford : Oui, oui, tu me l'as rappelé. J'ai fait tomber mon Spritz.

Laura Piani : Ou ta bière, je sais plus, dans tes frites.

Camille Rutherford : Dans mes frites !

Laura Piani : En se levant pour me dire bonjour, donc si vous voulez... le personnage d'Agathe n'était quand même pas loin.

La comédie romantique vous permet de saisir notre époque. Or, le film qui est hors du temps. On peut très bien imaginer qu'il aurait pu être réalisé dans les années 60-70 par Jean-Paul Rappeneau réalise ce film. C'est très étrange, le film est vraiment de notre époque, mais en même temps, on a l'impression qu'il n'appartient à aucune. Et pourtant, Camille, vous êtes une jeune femme très moderne. 

Laura Piani : En général, elle est en redingote et en corset. Elle a fait un effort. (rires)

Camille Rutherford : Je fais un effort, mais j'avoue que les corsets, c'est ma passion.

Comment vous vous êtes emparée de ce personnage qui est quand même un peu old school ? Même si elle a une vraie liberté...

Camille Rutherford : Ouah, je crois que je ne sais pas.

Laura Piani : Je te laisse réfléchir. Je peux vous répondre par rapport à cette sensation d'être dans un film hors du temps, parce que c'est vraiment la problématique du personnage qui ne se sent pas appartenir à la bonne époque. Tout le film a été construit esthétiquement pour qu'on ne sache pas où on est, exactement comme elle. Qu'on puisse parfois se retrouver dans la forêt où ils sont cadrés à la taille et que juste leurs vestes et leur chemisier à épaulettes puissent apparaître, comme des costumes d'époque. Et qu'ensuite, sur un plan large, on ait des jeans et des converses en dessous, par exemple. Ça, c'est un truc qu'on a essayé de faire avec les costumes. C'est vraiment le thème du film. Pour revenir sur le fait que la comédie permette de croquer une époque, il y a beaucoup de gens qui ne comprennent pas du tout comment on peut trouver des mecs sur Internet. Cette vision de l'amour, les dépasse complètement. Il y a beaucoup de gens qui ne comprennent pas du tout comment on peut aller aussi vite, tout le temps, pour tout. Je crois que c'est aussi le mal d'une époque.

Camille Rutherford : Pour répondre à la question, il y a des scènes où je ne me posais pas du tout la question, puisque ce sont des scènes que j'avais juste envie de jouer, des situations qui, en tant que comédienne, m'excitaient vachement. Une scène vraiment drôle, comme celle où Agathe se déshabille, veut prendre une douche et qu'elle hurle comme une poissonnière parce qu'elle tombe sur Charlie... Il y avait des scènes comme celle-là que j'avais hâte de jouer. J'avoue que je ne me posais même pas la question de comment interpréter cette fille hors du temps. Après, je me sentais assez concernée parce que moi-même, je n'ai pas Facebook, je n'ai jamais eu Instagram de ma vie, je n'ai pas les réseaux sociaux. Et j'ai la chance d'être en couple depuis très longtemps. J'ai été sur Adopte un mec une fois quand j'avais 20 ans, ce fut désastreux. Pou!r jouer, j'ai décidé d'écouter Laura. Elle m'avait parlé de beaucoup de références cinématographiques comme Retour à Howards End avec Elena Bonham Carter.

Laura Piani : Retour à Howards Ends fut une grande référence.

Camille Rutherford : Moi-même, adolescente, j'aimais beaucoup Jane Austen et j'ai énormément regardé, et quand je vous ai dit énormément, c'est vraiment compulsivement, l'adaptation BBC de Pride and Prejudice et Raison et Sentiments de Ang Lee avec Kate Winslet,  avec le scénario écrit par Emma Thompson.

Laura Piani : Je crois que c'est ça qui était assez extraordinaire dans le travail avec toi, c'est que tu étais baignée des références à Jane Austen. Il n'y avait pas besoin de t'en parler, tu savais intuitivement de quelle période et de quel genre on parlait. En même temps, effectivement, ça a l'air bizarre pour toi, mais tu as une grande modernité. Tu as quelque chose de très contemporain.

Camille Rutherford : Oui, je sais, ma voix grave, mon débit de mitraillette, tout ça, on le dit souvent.

Laura Piani : Et puis, moi, je cherchais à faire une comédie mélancolique aussi, parce que le personnage est dans une vraie mélancolie. Toi, tu peux amener ça très facilement, cette espèce de truc à la fois burlesque et mélancolique, de manière vraiment très naturelle.

Camille Rutherford : Ce sont mes cernes, c'est vrai. Les cernes, ça aide.

J'ai pensé au cinéma de Jean-Paul Rappeneau (ndr : réalisateur de La Vie de Château et de Le Sauvage) en voyant le film. Votre voix est moins perchée, mais vous avez un débit très rapide, comme celui de Catherine Deneuve. Comparaison n'est pas raison, mais c'est vrai que, comme Deneuve, vous jouez très vite. Même si vous avez votre propre personnalité, on retrouve ce côté mitraillette dans le jeu.

Camille Rutherford : Je suis très contente. Je pensais plus dans la vie, mais je ne me rendais pas compte que je jouais vite .

C'est si évident que ça, quand on est comédienne, de prendre le risque d'accepter un premier film ? 

Camille Rutherford : Alors ça, je ne me suis jamais posé la question. C'est la première fois que j'entends cette question. Ça ne m'est même pas traversé l'esprit.

On pourrait par exemple avoir l'envie d'être filmée par quelqu'un qui  plus de métier dans la réalisation.

Camille Rutherford : Absolument pas ! Non, Laura, est quelqu'un de très enthousiaste, toujours de bonne humeur. C'est vrai, et je ne le dis pas pour faire plaisir. Je sais qu'il y a eu plein de moments où elle était angoissée, quand il fallait rentrer encore une scène et il nous restait une heure. Mais ce qui est vraiment très agréable, c'est que Laura ne fait jamais la tête. Elle est toujours très enthousiaste, extrêmement sympathique et bienveillante, et a toujours trouvé des solutions. Il y a eu des problèmes, forcément c'est un petits budget. Il a donc fallu couper des scènes qui nous tenaient à cœur dans le scénario. Mais elle a toujours la tête haute, et c'est une vraie force. Elle n'est jamais blasée, jamais je-m’en-foutiste, jamais à se complaire dans un truc de posture, de réalisation; On voyait qu'elle prenait du plaisir, c'est très bien de pouvoir emmagasiner plein de stress, sans que son équipe et ses acteurs le sentent.

La direction d'actrices ou d'acteurs, ça existe ? 

Laura Piani : J'ai l'impression que chaque acteur apprend la direction d'acteur à un réalisateur, donc il n'y a aucune méthode, il n'y a aucune technique, il n'y a rien de préconçu à mettre en place avant. Il n'y a pas de truc à avoir, donc c'est hyper beau et hyper angoissant. Je sentais, que si on donne trop de direction, parfois on étouffe un acteur, on l'empêche, parce qu'on le surcharge d'informations. Mais si on n'est pas assez précis, on peut laisser place à des quiproquos ou des choses qui ne sont pas complètement justes, qu'on paiera plus tard, parce qu'un film, une fois que la prise est là, on n'a plus le temps d'y revenir, surtout avec un petit budget. Donc, c'est une espèce d'équilibre comme ça, où on se plante parfois, mais où il faut sentir dans quel état est l'acteur, s'il est fatigué ou pas, s'il a envie d'être dirigé. Moi, ce que je trouvais beau avec Camille, c'est qu'elle avait toujours envie. C'est le luxe de la répétition. Je ne comprends pas comment on peut travailler avec des acteurs en les découvrant sur un plateau. Ça dépend vraiment des acteurs. Mais je crois que sera ma condition pour travailler avec un acteur, ce temps de répétition à la table. Les acteurs, quand on leur laisse du temps pour travailler, ils trouvent des choses. Des actions, des répliques, qui sont meilleures. C'est une collaboration, le scénario n'est pas sacré, il faut le changer tout le temps. J'ai vu à quel point, par exemple, pour ton espèce d'équilibre d'actrice, c'était important que tu proposes quelque chose à chaque fois.

Le scénario n'est pas sacré, il faut le changer tout le temps

Laura Piani

Laura Piani : Mais des acteurs n'ont pas envie de ça. Il y aura toujours une prise où Camille proposera quelque chose que je garderai au montage, peut-être pas.  Il ne faut pas frustrer cette envie d'essayer un truc intuitif, impulsif.

Camille Rutherford : Oui, oui, c’est vrai que je suis entrée dans le personnage comme ça à chaque fois.

Laura Piani : C'est un truc que tu donnes. Donc, ne pas frustrer ça, mais en même temps, on a la contradiction de parfois être tellement à la bourre, de ne pas savoir si on va réussir à tourner toutes les scènes qu'il faut qu'on tourne...

Avez-vous vu le film ? Ça peut paraître bizarre comme question, mais il y a des comédiens qui ne regardent pas leurs films. Réussissez-vous à vous regarder ? Arrivez-vous à vous oublier ? Avez-vous réussi à voir Agathe et plus Camille ? 

Camille Rutherford : Oui, je l'ai vu. Je n'aime pas me regarder, c'est horrible de se voir comme pour tout le monde. Non, c'est horrible, mais il faut le faire. Oui, non, je déteste, je déteste. Mais, depuis quelques années, je me dis qu'il faut que je fasse l'effort de voir les films par respect pour le réalisateur, par respect pour moi-même aussi et pour toute l'équipe, ne pas être trop égocentrique, mettre mon ego de côté et voir le travail qu'on a fait tous ensemble parce que c'est collectif. Mais après, non, c'est horrible. Après, je trouve que c'est important de se voir parce qu'on progresse en se regardant. Vraiment, si on fait l'effort de le faire, vraiment, on peut apprendre des choses, il faut que je fasse attention à ma posture, tout ça. Après, est-ce que j'ai réussi à voir Agathe ? Oui, oui, quand même. Si, je crois que j'ai vu Agathe. Les personnages, c'est toujours un savant mélange de qui on est, de ce qu'on apporte.

Laura Piani : Tu t'es marrée, je t'ai entendue te marrer. On a fait une toute petite projection avec Camille, son agent et moi, pour ne pas qu'elle découvre le film devant tout le monde. Et je t'ai entendue, tu étais loin devant, on était derrière, tu n'étais avec personne autour de toi, mais je t'ai quand même entendue te marrer, peut-être pas sur une scène où tu étais toi, mais je t'ai entendue.

On sait relativement peu de choses du passé des personnages. Vous inventez-vous une sorte de mini-biographie où plongez-vous directement dans le personnage avec les éléments que vous avez ?

Camille Rutherford : J'ai ma petite tambouille personnelle, c'est intime, c'est personnel et ce n'est pas très intéressant en plus. Mais oui, je me raconte des choses avant. Je ne sais pas si ça sert, mais en tout cas, j'ai besoin de travailler avant sinon je culpabilise. Si je rate une prise, je me dis "merde !", parce que je n'ai pas assez bossé"; Mais parfois, on peut avoir beaucoup bossé et on rate la prise quand même. Tout ce qui compte, c'est le lâcher prise au moment de l'action. Mais oui, j'ai besoin de travailler avant, faire des petites biographies, tout ça.

Laura Piani : Je pense que dans le scénario, l'idée, était de raconter quelqu'un de bloqué. Je ne voulais pas que ce qui la bloque arrive trop tôt, je ne voulais pas le donner trop vite au spectateur, je voulais qu'on se pose la question quand même, qu'on ait un peu de temps pour se poser la question de pourquoi elle était comme ça, empêchée à ce point-là. En même temps, c'est aussi un drôle de mélange parce que si on le sait trop tard, on peut être agacé par un personnage. Donc, il fallait trouver le bon moment pour le dévoiler. L'histoire d'amour avec Oliver se joue précisément sur le fait qu'ils sont tous les deux abîmés par quelque chose, que lui il est en train de perdre son père, et qu'elle l'a perdu. Il y a beaucoup de travail de backstory, en réalité. Finalement, c'est toujours pareil, on voit un tout petit bout d'iceberg dans le scénario et dans le récit final. Il y a beaucoup de réflexions sur c e qui lie ces deux sœurs, la mort des parents, et  la naissance de cet enfant à ce moment-là. Ça, par exemple, c'est né d'un voyage que j'ai fait pendant l'écriture du scénario. Les deux sœurs n'existaient pas à l'époque. Au tout début, c'était vraiment le portrait d'une libraire. Je suis allée dans la maison de Jane Austen, à Chawton, là où elle a terminé sa vie. Et j'ai compris qu'elle dormait avec sa sœur. Jane Austen, qui refuse de se marier quand elle en a la possibilité parce qu'elle se rend compte que si elle se marie et qu'elle a des enfants,  elle va passer sa vie à s'occuper des autres et qu'elle n'écrira plus. Et sa sœur, Cassandra, qui ne s'est pas mariée et qui dessinait. Il y a dans la maison de Chawton, le lit à baldaquin dans lequel elle dormait toutes les deux. C'est très émouvant. Quand je suis rentrée de ce voyage, j'ai ajouté une sœur. Voilà, pour cette backstory. Concerant le personnage de Pablo Pauly, cette amitié, était très importante aussi. Ils se connaissent depuis toujours. Donc, l'amour, ce serait vraiment simple et logique. Mais ça ne marche pas comme ça. Et, l'amour, à la fin, arrive avec quelqu'un qui est abîmé aussi, qui est empêché aussi, qui fait le deuil d'une histoire qui lui a brisé le cœur. Et puis, il y a le poème de la fin qui réunit tout le monde. Ce dit le poème, c'est qu'il n'y a pas de perception véritable sans le cœur brisé et qu'il faut s'autoriser ça pour vivre. C'est ce que je voulais raconter dans le film.

 

Les infos sur jane austen a gâché ma vie

Jane Austen a gâché ma vie de Laura Piani
Avec Camille Rutherford, Pablo Pauly, Charlie Anson, Annabelle Lengronne et Liz Crowther

Genre : Comédie romantique

Sortie 22 janvier 2025
Durée : 1h34

Synopsis :  Agathe est célibataire mais rêve d'une histoire d'amour digne des romans de Jane Austen. Elle est libraire mais son rêve et d'être écrivaine. Elle est torturée par le contraste entre la vie extraordinaire qu'elle lit dans la littérature ou imagine dans sa tête et sa propre réalité. Mais elle se trouvera en face à face avec ses peurs et ses doutes quand elle est invitée en résidence d'auteurs en Angleterre où tous ses rêves d'écriture et de romance pourraient se réaliser.

Entretien réalisé à Lille le 9 janvier 2025 par Grégory Marouzé.
Retranscription de l'entretien par Enora Simon.

Visuels et film-annonce : Paname Distribution
Remerciements : Majestic Lille

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