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Jay – Interview du danseur et chorégraphe Yohann Baran

Jay – Interview du danseur et chorégraphe Yohann Baran

Yohann Baran Jay Style : Danse Date de l’événement : 15/06/2019

Après avoir été formé en danse classique au conservatoire de Nancy, puis au Ballet du Nord, Centre Chorégraphique National de Roubaix à l’époque de la direction d’Olivier Dubois et enfin en danse contemporaine au Centre National de Danse Contemporaine (CNDC) d’Angers, Yohann Baran, jeune danseur de 27 ans, présente samedi 15 juin son troisième solo Jay. Créé en 2017-2018, le solo sera accueilli au Grand Studio du Ballet du Nord dans le cadre de LABEL DANSE lors du festival des Latitudes Contemporaines.

LE TRAVAIL DE YOHANN BARAN

Jay est votre troisième solo, après Thymbra (2016-2017) qui a reçu le premier prix du concours Shake Shake Shake#3 à la Gare Saint-Sauveur et Gisants (2017-2018). Ces trois courtes chorégraphies où vous vous mettez en scène s’inscrivent dans une même continuité, pourquoi avoir choisi d’en faire un triptyque ?

J’ai choisi d’en faire un triptyque parce que le fil conducteur des trois solos est une recherche d’humanité à différents stades de l’histoire. Le premier solo, Thymbra, s’inscrit dans la Grèce Antique où je me suis inspiré de la statue du Groupe du Laocoon exposée dans les musées du Vatican. Il s’agit de l’attaque des serpents de Poséidon qui tuent le prêtre de Troie et ses deux fils Thymbraeus et Antiphates pour avoir refusé de faire entrer le cheval de Troie dans Troie. Dans ce solo, je me place du point de vue du fils Thymbraeus. Gisants, s’inspire des sculptures funéraires du Moyen-Âge qui représentent le noble défunt étendu. L’enjeu était pour moi de m’inspirer des postures de ces sculptures dans ma chorégraphie et de m’interroger sur ce que cela pouvait modifier dans mon propre corps. Le troisième solo, Jay, se situe dans un contexte plus contemporain, dans les années 70. Dans cette pièce, il y a à la fois une recherche d’humanité mais également une recherche d’identité. Le but était de me questionner sur l’humanité d’un corps contemporain qui va piocher à trois époques différentes.

Vous vous êtes associé au Collectif Brûle Maison composé de danseurs, chorégraphes, plasticiens, traducteurs, musiciens et commissaires d’exposition. Pourquoi était-ce important pour vous que le collectif suive votre projet ?

Le Collectif Brûle Maison a été créé par Benoît Villain qui a fait les Beaux-Arts de Dunkerque dans le but de produire ses œuvres et celles d’autres artistes. Il se trouve que Benoît a été mon regard extérieur dans mes projets avant que je ne rejoigne le collectif. Lorsque l’on crée, il faut être dans une structure pour faire connaître ses spectacles. J’ai rejoint le collectif car il était composé d’artistes de divers horizons qui pouvaient m’aider à développer ce projet, mais également pour des raisons administratives.

Dans votre travail, vous avez l’habitude de partir d’une œuvre artistique d’un autre domaine, je pense notamment à la sculpture du Groupe du Laocoon exposée dans les musées du Vatican pour Thymbra ou au roman gothique Le corps Exquis de l’auteure Popy. Z. Brite pour Jay. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ses œuvres au point de vous en inspirer dans vos chorégraphies ?

Thymbra est un solo de fin d’études. Il y avait cette pression de produire un solo à la fin de mon cursus. Je m’intéressais à beaucoup de choses autour de moi, j’étais très curieux. Je suis parti en été en Italie et j’ai cherché dans les livres d’histoire de l’art et j’ai flashé sur la statue du Groupe du Laocoon. C’est en approfondissant mes recherches sur le mythe et sur l’histoire de la statue que j’ai décidé de faire un solo autour de ce sujet. Pour Jay, Le corps exquis de Popy. Z. Brite est un livre qu’on m’a conseillé car c’est un univers qui me correspond assez bien, un peu trash et brut. Le livre est écrit avec une certaine romance et en même temps il est cru. Tout comme avec la statue du Groupe du Laocoon, le livre a été une révélation. Pour Gisants, je suis allé  dans la crypte du Château de Pierrefonds où il y a tous ces gisants, ces orants et certains transis. L’idée de faire une chorégraphie sur ce sujet m’est apparue comme une évidence. C’est l’oeuvre qui s’impose à moi comme une révélation plutôt que moi qui vais véritablement la chercher.

LA SEXUALITÉ, LA VIE ET L’AGONIE AU CŒUR DE LA TRANSFORMATION DU CORPS

 Pourquoi avoir pris le motif de l’ondulation, du spasme et du twerk dans votre travail ?

D’abord l’ondulation et le spasme sont des motifs récurrents dans le livre de Popy. Z. Brite. L’ondulation se rapporte beaucoup à l’acte sexuel car pour provoquer la bascule du bassin, le mouvement d’avant en arrière ne suffit pas, tout le corps est engagé. Elle mobilise autant le bassin que la cage thoracique qui est aussi très exposée dans le livre dans les rapports cruels, violents et meurtriers des deux protagonistes, Jay et Andrew. Le spasme et l’ondulation sont également la représentation de l’aboutissement total de la cruauté des deux personnages principaux : le rapport sexuel avec les victimes en train d’agoniser. Le spasme et le twerk sont assez liés. Popy. Z. Brite situe Le spasme principalement dans la cage thoracique. J’ai rajouté le motif du twerk car il est aussi un spasme au niveau du bassin. Les trois mouvements découlent les uns des autres assez naturellement. Ils se rapportent à la fois à l’acte sexuel mais aussi à l’agonie.

Pourquoi vous êtes vous placé davantage du point de vue de Jay plutôt que de celui d’Andrew ?

Dans la danse que j’incarne le rapport identitaire était plus évident avec Jay plutôt qu’avec Andrew. D’abord parce que Jay est plus jeune et on en apprend davantage sur ce personnage. Jay ne ressent pas les spasmes dans la cage thoracique mais c’est lui qui les provoque. C’est lui qui est à l’initiative de beaucoup de choses dans le livre,  c’est pour cela que j’ai focalisé mon solo sur le personnage de Jay.

Aussi bien dans Thymbra que Gisants la question de la vie, de la survie et de la mort est récurrente dans votre travail. Le solo Jay est-il une pulsion de vie ou de mort ?

La pulsion de vie et la pulsion de mort sont pour moi liées. Je suis parfois du côté des deux agresseurs et parfois celui de la victime sous l’emprise du duo machiavélique. Tout le début du solo, j’incarne la proie des deux protagonistes dans une lumière blanche pour symboliser la pureté de la victime. Andrew et Jay la piègent par des avances sexuelles.Toute cette première partie, mon corps ondule en référence à la fascination que cela peut provoquer chez le spectateur mais également la fascination que peut ressentir la victime envers le duo. Il s'agit à la fois d'une attirance et d'une répulsion. Dans cette phase, le piège se referme peu à peu sur la proie. Au début de la pièce, il y a cette pulsion de vie qui décline peu à peu vers une ambiance morbide et des images de plus en plus explicites. Il y a un abandon où le corps part de l’ondulation et va jusqu’à la convulsion.

La danse est syncopée et spasmodique, entrecoupée par des poses lascives et suggestives. Les mouvements sont sensuels, parfois même érotiques. Il y a une tension qui oscille entre un emprisonnement du corps et entre l’exultation d’une sexualité libre et assumée, faites-vous référence à la culture populaire des clips de musique où l’on peut admettre qu’il y a une certaine hypersexualisation des corps ?

Pour le twerk, j’ai regardé des vidéos sur internet pour apprendre à twerker car il s’agit d’une technique à part entière. La lumière rouge est inspirée des peep shows du quartier rouge d’Amsterdam. Le rouge est à la fin du spectacle omniprésent par rapport à cette hypersexualisation. C’est la couleur de la passion, du désir qu’on retrouve aussi beaucoup dans la culture populaire de certains clips vidéos. J’ai regardé des photos et des vidéos sur les réseaux sociaux pour nourrir mon travail mais l’idée n’était pas de faire un clip vidéo sur scène. Je joue à la fois sur l’idée qu’on puisse être victime de sa propre fascination autour de la sexualité mais également sur l’idée qu’il faut une sexualité libre et assumée. C’est border line, c’est-à-dire que la frontière entre les deux est poreuse. C’est pour cela que j’ai trouvé intéressant de travailler la convulsion de la cage thoracique. Elle est à la fois un enfermement car elle se structure comme une cage à oiseaux, mais c’est également un foyer de mouvements, d’émotions et de respiration. Dès lors qu’on fait bouger cette partie du corps, il y a quelque chose qui se libère.

Dans votre chorégraphie, pourquoi avoir axé le travail scénographique sur la lumière ? Et pourquoi avoir pris essentiellement la musique hypnotique et martelante de l’artiste Alva Noto ?  

Je n’aime pas les gros décors, c'est pourquoi je préfère travailler la lumière pour créer une ambiance particulière. La première partie du solo se déroule dans une lumière blanche pour symboliser la pureté de la proie qui se fait avoir. La lumière blanche se décline au fur et à mesure de la pièce. Il y a d’abord une diagonale de découpe qui illumine peu à peu toute la scène, ensuite il n’y a plus qu’un jeu avec les contres. La deuxième partie du spectacle est signifiée par un changement radical de lumière. On passe à une ambiance totalement rouge. Je voulais que la lumière fasse partie intégrante de l’histoire et qu’elle crée une atmosphère et une esthétique bien spécifiques. La musique d’Alva Noto est très répétitive tout comme le motif de l’ondulation et de la convulsion dans le solo. Elle instaure également une atmosphère particulière. Dans cette pièce, j’ai utilisé cinq musiques différentes de l’artiste et on m’a souvent demandé si ça n’était qu’une seule et même musique. Les sonorités minimalistes se répètent dans chaque morceau et entre les morceaux. La musique d’Alva Noto est hypnotique, elle pouvait suggérer la fascination de la proie qui se fait avoir par son propre envoûtement.

 Avez-vous d’autres projets à venir en tant que danseur ou en tant que chorégraphe ?

Je réfléchis déjà au prochain solo qui serait dansé par moi car j’ai encore du mal à créer et à projeter mes chorégraphies pour d’autres personnes, je suis encore trop jeune pour cela. En ce moment, je travaille avec Daniel Larrieu qui remonte Romance en stuc, chorégraphie créée en 1985. Je vais travailler très prochainement avec l’actuel directeur du Ballet du Nord, Sylvain Groud pour sa prochaine création Adolescent.

Jay de Yohann Baran
Samedi 15 juin à 14h au Grand Studio du Ballet du Nord.

Photo : © JBrody

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