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Jeanne Herry et Sandrine Kiberlain – Elle l’adore

Jeanne Herry et Sandrine Kiberlain – Elle l’adore

Jeanne Herry et Sandrine Kiberlain Elle l'adore Style : Comédie / Thriller Date de l’événement : 24/09/2014

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Jeanne Herry, vous le savez peut-être, est la fille de l’actrice Miou-Miou et du chanteur Julien Clerc. A Lille La Nuit, nous ne faisons pas dans le people mais en ce qui concerne cette jeune réalisatrice et son premier long-métrage, cela a sa petite importance. Dans Elle L’Adore - qui réunit Sandrine Kiberlain et Laurent Lafitte - Jeanne Herry règle ses comptes à la célébrité, ses ravages (surtout sur les proches) et imagine la rencontre improbable entre une sorte de clone de Patrick Bruel et une fan farfelue, obsessionnelle et légèrement mythomane.

Si le film peine un peu à démarrer et souffre de petites faiblesses de rythme, il n’en demeure pas moins une belle surprise dans le genre ultra balisé de la comédie française. Elle l’adore se frotte au film noir, d’angoisse et au thriller tout en faisant preuve de belles qualités d’écriture et de réalisation. Des raisons qui ont donné l’envie à Lille La Nuit de rencontrer Jeanne Herry et Sandrine Kiberlain, une fois de plus époustouflante après son triomphe mérité (César de la meilleure actrice) dans 9 Mois Ferme

Synopsis : Muriel est esthéticienne. Elle est bavarde, un peu menteuse, elle aime raconter des histoires souvent farfelues. Depuis 20 ans, Muriel est aussi la première fan du chanteur à succès Vincent Lacroix. Avec ses chansons et ses concerts, il occupe presque toute sa vie. Lorsqu’une nuit Vincent, son idole, sonne à la porte de Muriel, sa vie bascule. Elle est entrainée dans une histoire qu’elle n’aurait pas osé inventer.

Ce qui est très étonnant, c’est que c’est un film un peu inquiétant, pas si confortable qu’on pourrait l’imaginer au départ. En tout cas dans le cinéma français. Il y a un côté film noir, thriller fortement prononcé. Ce n’est pas le film auquel on pourrait s’attendre. Il y a un ton très particulier qui se dégage du film. Est-ce que c’était quelque chose qui était déjà présent à l’écriture et qui vous a séduit ?

Jeanne Herry : C’était présent à l’écriture, oui. Et est-ce que ça t’a séduit (à Sandrine Kiberlain) ?

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Photos © Alex Marouzé/AMview

Sandrine Kiberlain : Oui, j’aime toujours ce qui est insolite et particulier. D’abord Je trouve la mécanique de l’histoire extrêmement bien ficelée, bien dialoguée. Je tiens à dire que j’étais assez épatée de lire un scénario pareil, avec des personnages qui existent tous individuellement, qui ont leur mode de discours très personnel. On sent une volonté d’être très précis avec un sujet pareil et un retournement de situation pareil. On ne s’attend à rien tout au long de l’histoire, on découvre en même temps que le spectateur ce que vivent les personnages. J’ai trouvé ça très fort à lire, donc je me suis dit que cela serait très fort à voir.

Et oui, il y a effectivement toujours un problème dans le cinéma français de vouloir appartenir à un genre, tout comme les acteurs quand on est au conservatoire : c’est une actrice comique, c’est une actrice tragique... Or pour ma part je me suis toujours battue et je continuerai à me battre parce que les acteurs que j’ai le plus aimé dans ma vie ce sont les acteurs insolites, qui ne ressemblent à personne, qui ont leur façon à eux d’inventer quelque chose. Et les films que j’ai aimés – qui peuvent être de genre ou pas – sont les films les plus insolites, avec un ton nouveau. Quand j’ai lu le film de Jeanne, je me suis dit : il y a quelqu’un derrière, quelqu’un d’habité par son histoire, qui la raconte autrement, qui arrive à rester haletante tout au long de l’histoire tout en étant drôle par moment, tout en étant dans une vraie sincérité de ses personnages, c'est-à-dire que Muriel (le personnage de Sandrine Kiberlain NDLR) n’est pas gratuitement drôle à un moment du film, son caractère qu’on a découvert dès le début, elle s’en sert après dans un moment de difficultés. Ce qui a pu être un handicap pour elle, une façon d’embellir sa vie, de rajouter toujours du piquant à toutes ses aventures, même une épilation, d’un seul coup quand elle est en garde à vue et qu’elle doit sauver sa vie, devient sa force.

Le rapport chanteur/fan est aussi toujours montré d’une manière caricaturale, voire péjorative, et là c’est un rapport qui existe entre les quelques grands chanteurs qu’on a en France ou ailleurs et les quelques fans qui se comptent sur les doigts d’une main ayant un rapport privilégié au chanteur. C’est être fan qui n’implique pas être seule, folle, hystérique, dépressive, menaçante, etc. Elle est fan, mais elle n’est pas malheureuse dans sa vie. Elle est dans un moment de vie où elle n’a pas la garde de ses enfants ça n’a pas l’air d’être la joie à cause de ça. Mais elle est esthéticienne, elle a des amis, elle a une vie, elle a eu un homme dans sa vie puisqu’elle a des enfants. Ce n’est pas une psychopathe. Et d’ailleurs même les flics ne sont pas des flics communs dans le film. Ils vivent une histoire d’amour très importante. L’amour a sa part très importante dans le film. Et donc tout ça fait que ça ne ressemble à aucun autre film, et jusqu'à la fin, qui m’a laissé stupéfaite.

Jeanne Herry : Voilà, fin de la conférence de presse ! (rires)

Sandrine Kiberlain : (rires) Pardon ça prend un temps fou mais c’est pour dire exactement ce qui m’a plu ! Ce qui nous pousse à aimer un film c’est surtout qu’on aime être embarqué dans une histoire, avec l’envie de devenir ce personnage et qu’on n’a pas envie que ce soit une autre qui le joue.

Vous ne choisissez pas la facilité pour un premier long-métrage. Au niveau de l’écriture on sent que c’est très travaillé, vous naviguez d’un genre à un autre, vous avez un casting important… Au niveau de la mise en scène, qu’est ce que vous vouliez à tout prix réussir et à tout prix éviter ?

Je voulais raconter cette histoire le mieux possible, et que le plaisir du spectateur, que ce soit dans la tension ou le rire, soit garanti et préservé.
Jeanne Herry - Elle l'adore

Jeanne Herry : Je voulais raconter cette histoire le mieux possible, et que le plaisir du spectateur, que ce soit dans la tension ou le rire, soit garanti et préservé. Quand on fait des personnages qui mentent en permanence, on met le spectateur dans une position active et, normalement, de plaisir, parce que c’est trop bien de savoir des choses que les personnages ne savent pas. On a d’abord un coup d’avance, puis deux coups de retard…

Après je voulais aussi que les scènes que j’avais envisagées comme des scènes agréables à jouer pour les acteurs soient denses et fortes entre Muriel et Vincent. Puisqu’il y en a peu, je voulais qu’elles soient bonnes et chargées. J’avais énormément soigné mon découpage technique, on avait fait du très bon travail avec les collaborateurs qui étaient plus chevronnés que moi, j’étais très bien entourée. Une fois qu’on a tout bien préparé, sur le tournage y’a plus qu’à jouer. Ils sont dans les bons décors, les bons costumes, ils savent où ils vont. Il n’y a plus qu’à aller récupérer ça, prendre ce nectar là. Et placer la caméra là où on a envie. Réussir la deuxième écriture du film, c’est-à-dire l’écriture en images.

Jeanne Herry sur le tournage. Photos © Studio Canal


On parle aussi beaucoup du mensonge, de la mythomanie. Est-ce une parabole du métier d’acteur ?

Sandrine Kiberlain : Pour moi non, pas du tout. L’acteur est en permanence dans une sincérité d’un personnage, qui raconte son histoire vraie. Il ne ment pas le personnage, sauf si on décide de le faire. Faut être très, très sincère pour jouer un personnage. Ce qui vous fait rire ou pleurer, c’est justement des choses qui nous échappent au moment où on le joue, sinon on est foutu. J’ai l’impression d’être au plus sincère de moi-même quand j’incarne un personnage.

Jeanne Herry : C’est un film pour les acteurs, mais ça n’est pas une parabole du métier de comédien.

Sandrine Kiberlain : En plus quand Muriel baratine un peu, embellit les choses, elle s’amuse elle-même mais ça n’est pas pour avoir des spectateurs. Elle est juste soucieuse des vibrations. Je pense qu’elle a un petit manque de confiance en elle. Alors c’est peut-être ça le rapport avec l’actrice. Et ce petit manque de confiance en elle dans la vie, elle le comble par une envie d’être plus spectaculaire, de jouer des personnages, de rajouter des petits détails croustillants, parce qu’elle pense qu’elle ne vaut pas forcément la peine d’être entendue ou écoutée.

En tout cas, elle nous embarque, comme les comédiens, comme vous, à un moment dans cette scène incroyable de l’interrogatoire chez les flics où elle raconte quelque chose qu’on croit totalement, comme on croit totalement à ce que vous jouez. A un moment on est persuadé en tant que spectateur, comme les flics, que ce que vous racontez, c’est la vérité.

Muriel, quand elle ment, est hyper sincère. C’est ça aussi qui fait qu’elle n’est pas complètement mythomane.
Jeanne Herry - Elle l'adore

Jeanne Herry : Muriel, quand elle ment, est hyper sincère. C’est ça aussi qui fait qu’elle n’est pas complètement mythomane.

Sandrine Kiberlain : Elle a de la candeur. Même quand elle se défend, quand elle est au pied du mur, à chaque fois elle se laisse deux minutes de réflexion, pour être au plus sincère de sa réponse. Et elle sent bien qu’en étant totalement spontanée, elle va être désarmante. Elle a spontanément cette intelligence, cette répartie qui fait que les bras leurs en tombent, ça les déconcerte. Elle n’est jamais sur la défensive dans sa posture au final.

Jeanne Herry : C’est ça qui me plaisait à l’écriture, et qui m’a beaucoup ému au tournage. C’était tellement concret cette personne dont on connaît la situation, elle se débat mais n’en montre pas les signes extérieurs. Elle se bat avec son cerveau, avec ses armes à elle qui sont l’invention, la fantaisie. Elle est en train de sauver sa vie, et de se sortir de la mouise pas à pas, avec son cerveau. Et moi je trouve ça hyper bouleversant.

Vous trouvez que vous vous exprimez davantage quand vous écrivez seule un roman (NDLR : 80 étés, Gallimard), ou quand vous travaillez sur un film, ce qui est un travail collectif ?

Jeanne Herry : Les deux. Je suis vraiment dans l’expression de moi-même dans les deux moments. Et j’adore cette phase solitaire qui est aussi valable pour l’écriture de scénario. Là c’était beaucoup de solitude aussi, toute seule face à mon bureau. Après c’est vrai, que tout d’un coup on est entouré de mille personnes, j’ai trouvé cela très euphorisant, très agréable, j’ai adoré.

Sandrine Kiberlain : Surtout que cela doit être agréable de sentir que de gens adhèrent à ton travail.

Sandrine Kiberlain alias Muriel, au concert de son idole Vincent Lacroix, joué par Laurent Lafitte. Photos © Studio Canal


Jeanne Herry :
C’est génial, tout d’un coup il y a des gens qui arrivent et qui te disent « on va la raconter avec toi cette histoire ». J’ai eu un petit coup d’interrogation sur ma personne au moment où on a vraiment fait ce que j’avais écrit, c’est-à-dire quand on a mis des gants roses de vaisselle à Laurent, qu’on a enroulé un faux cadavre dans une couverture. Et il était debout à côté d’un cadavre avec des gants roses de vaisselle. Et je me suis dit, mais qu’est ce que je fous ? Pourquoi j’ai pensé à ça ? Comment j’ai fait pour mettre ce mec dans cette situation là ? On se retrouve confronté à ce qu’on a écrit et c’est drôle.

C’est quoi votre rêve de grande fille ? En tant que cinéaste ? Puisque vous disiez qu’avec ce fillm, vous aviez réalisé votre rêve de petite fille.

Jeanne Herry : Je vais même dire mon rêve de femme. Je ne sais pas. Continuer, ça c’est sûr. Refaire des films, me remettre dans cette situation de pouvoir passer plusieurs mois comme je l’ai fait juste à pratiquer une activité qui m’enchante. Je ne sais pas encore quoi, je cherche. On aimerait bien retravailler ensemble, je cherche un projet pour Sandrine, mais pour le moment je cherche.

À la sortie du film, je me suis fait la réflexion que c’est un film qui pourrait être acheté par les Américains, qu’ils pourraient en faire un remake.

Jeanne Herry : Moi aussi, je voudrais avec George Clooney et Meryl Streep (plaisantant).

Sandrine Kiberlain : Sauf que Meryl ne voudra pas. Je vais le jouer en anglais. Je veux pas laisser mon rôle à Meryl (plaisantant).

On imagine très bien les Américains s’emparer de ce sujet.

Jeanne Herry : Mais je crois. Il me semblait qu’à Cannes il y avait eu une espèce de mini demande. Je trouverais ça tellement formidable !

Merci beaucoup !

Sandrine Kiberlain et Jeanne Herry : Merci à vous !

Propos recueillis par Grégory Marouzé. Retranscription interview Rémi Ménart.

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