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La Déclaration – Interview du chorégraphe Sylvain Groud

La Déclaration – Interview du chorégraphe Sylvain Groud

Sylvain Groud La Déclaration Style : Danse / Musique Date de l’événement : 07/03/2019

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Dans La Déclaration, Sylvain Groud, le nouveau directeur du CCN collabore avec Naïssam Jalal et son quintet Rhythms of Resistance. Ils proposent “un véritable échange entre cinq danseurs et cinq musiciens”. Au delà de leur rencontre, c’est aussi la rencontre de deux disciplines artistiques : la musique et la danse que l’on va pouvoir découvrir au Colisée de Roubaix. En attendant le 7 mars, Sylvain Groud nous raconte sa collaboration avec Naïssam et son quintet, sa manière de bousculer les habitudes et les barrières du langage, sa Déclaration au vivre-ensemble...

Le travail de Sylvain Groud

Vous êtes le nouveau directeur du Centre Chorégraphique National de Roubaix depuis mi-avril 2018, comment s’est passée cette première année dans vos nouvelles fonctions ?

J’ai l’impression d’avoir couru un sprint pendant un an sur l’aspect émotionnel. C’était aussi d’une extrême intensité sur l’aspect physique. Le leitmotiv était la nécessité d’établir le contact le plus en profondeur possible avec tous les acteurs locaux, et contextualiser la singularité, la force, la particularité de ce territoire, aussi bien celui de Roubaix, que celui du quartier de l’Epeule, que celui de la métropole lilloise, de la région des Hauts-de-France… C’est une année de reconnaissance, de compréhension des règles du jeu.

La Déclaration

La Déclaration, 5 danseurs et 5 musiciens en harmonie sur le plateau

Vous semblez très attaché à démocratiser la danse dans des lieux où les gens n’y sont pas forcément sensibles ou n’y ont pas forcément accès, pourquoi cette démarche est si importante pour vous ?

Cette démarche m’oblige à repenser ma conception de la danse. C’est vraiment pour moi une démarche très pertinente pour rester vivant, neuf… Parce qu’il faut que je reparte d’un contexte, que j’aille vers ce corps qui ne sait pas et donc que je fasse tellement attention à comment je transmets, qu’est-ce que je transmets, qui je suis pour transmettre ça, est-ce que c’est bien intéressant… Descendre du plateau, c’est vraiment se mettre en danger, relever le pari. Je suis alors pleinement dans mon rôle de créateur et de chorégraphe.

Dans plusieurs de vos spectacles vous vous êtes associé à différents artistes : plasticiens, musiciens, comédiens et une romancière. Qu’est-ce que cela apporte dans les créations ?

C’est effectivement un des trois actes de mon travail. Les autres étant le rapport live à la musique, et les projets participatifs inclusifs. Le rapport à un alter ego, c’est pour moi, une question de me mettre au diapason. Je rencontre quelqu’un, je m’adresse à quelqu’un parce qu’il me fascine, parce que dans sa discipline, j’ai le coup de foudre, j’ai envie de me mesurer à lui que ce soit sur le plateau ou dans une création, dans une aventure artistique, parce que son univers me semble primordial dans l’histoire de l’art contemporain. Je me mets tout mon être pour être à la hauteur de cette personne que j’apprécie tant. C’est aussi un moyen quand j’ai un sujet de n’oublier aucun aspect de ce questionnement en le faisant passer par le prisme d’un autre créateur.

La Déclaration, une véritable rencontre entre la musique et la danse

Votre dernier spectacle La Déclaration qui sera présenté le 7 mars au Colisée de Roubaix est le fruit d’une collaboration avec la musicienne Naïssam Jalal et son quintet Rhythms of Resistance. Pourquoi ce désir de travailler avec elle et son quintet ?

Au départ, je questionnais la capacité du corps à traduire l’émotion. Fort des expériences que j’avais dans l’espace urbain, en performance à l’hôpital… assez régulièrement revenait le constat que le danseur arrivait à créer un dialogue, à être dans un profond et sincère échange avec ces gens avec qui on ne peut plus parler, communiquer, qui ne veulent plus être touchés... Pourquoi quand la danse entre, elle renoue le lien avec ces gens ? Je me suis donc questionnés sur tous ces moments de vie que j’ai la chance de partager avec des autistes, des personnes qui n’avaient pas la parole… Tous ces gens avec qui je ne peux pas m’embarrasser du verbe, de verbaliser et intellectualiser les choses, comme on est en train de le faire en ce moment, ça passe par le prisme direct de l’instinct, du corps, du langage non verbal. J’étais donc dans cette quête de réflexion : comment faire un spectacle qui expliciterait cette capacité qu’aurait le corps à traduire des émotions, ou à rentrer en dialogue sans la parole ?

Et parce que c’est un des axes forts de mon travail, il y avait aussi très rapidement la question de la musique live. La directrice de production avec qui je travaillais à l’époque connaissait un des membres de Rhythms of Resistance et m’a invité à aller les voir en concert à La Villette. J’ai eu un coup de foudre pour ce groupe, sa générosité, l’amour qu’il y avait entre eux… Comment après deux cents dates d’un même concert, lorsqu’il y en avait un qui faisait son solo, l’autre pouvait le regarder en ayant la larme à l’oeil, être ému de la force de ce que son partenaire était en train d’offrir. J’ai trouvé ça incroyable. Je suis donc allée voir Naïssam, je lui ai expliqué mon propos sur La Déclaration, ça a bien matché, elle m’a donné carte blanche. J’ai donc composé d’une façon énergétique ce spectacle avec bien sûr son accord. Pour moi, c’était évident qu’ils étaient absolument toujours au plateau,  et que je pouvais profiter, jouir de l’impact qu’avaient les tracks. Je pouvais les mettre dans l’ordre que je voulais. J’ai donc essayé d’être le plus instinctif possible.

Les cinq musiciens sont musiciens mais à un moment donné, ils dansent avec nous. C’était pour moi indispensable de venir parler de l'égalité des corps. A ce moment là, les dix nous font face comme autant de visions du monde.

Sylvain Groud à propos de La Déclaration

Le lien entre musique et danse est un motif récurrent dans vos créations, je pense notamment à Cordes, Collusion, Héros ordinaires et également La Déclaration. Qu’est-ce qui diffère avec ce nouveau spectacle ?

C’est la nature de la musique. Il y a énormément d’improvisation avec le jazz. Ça oblige dès le départ dans l’écriture à garder une liberté dans la durée mais aussi dans l’énergie, dans le récit quand les instruments de jazz se répondent. C’est complètement nouveau pour le danseur. Avec La Déclaration, je me nourris totalement de la liberté, de la musique jazz, de cette alliance entre instruments classiques et arabes, des teintes, des timbres et des textures différentes…

Les musiciens évoluent sur la scène avec les danseurs et font parfois presque parti intégrante de la chorégraphie. Qu’est-ce que cela change ?

Ils en font même complètement partie pour moi. Mais je n’ai pas voulu penser à la manière dont les musiciens allaient chanter, la manière dont les danseurs allaient danser. Chacun a son rôle parce que justement il est question de dialogue et de traduction. Pour traduire, il faut un récit, et des personnalités. Les cinq musiciens sont musiciens mais à un moment donné, ils dansent avec nous. C’était pour moi indispensable de venir parler de l'égalité des corps. A ce moment là, les dix nous font face comme autant de visions du monde.

Pourquoi avoir pris le parti d’une qualité de mouvements en spirale, en rondeur, empruntée au derviche ?

Je n’y peux rien, c’est la musique, c’est tout l’intérêt de ces rapports à l’autre. Ils viennent vous déformer. Ils s’imposent à vous et c’est délicieux de se faire détourner. Les danseurs répondent instinctivement, organiquement à ce que la musique propose, et c’est juste un mariage. Je m’en suis rendu compte après. Même avec Mickaël Dez qui signe la lumière et la scénographie de ce spectacle, on s’est rendu compte que beaucoup de créations étaient sur le carré, et là tout était rond. Mais c’est la forme esthétique de la musique de Naïssam qui s’imprègne en nous. Peut-être que si elle l’avait fait avec quelqu’un d’autre que moi, ça aurait été différent.

Le vivre-ensemble, un thème qui nous renvoie à l'actualité

Votre spectacle parle de l’amour de l’alter, de l’étranger. Vous souhaitez briser les frontières et sublimer le vivre-ensemble. Le spectacle est-il une déclaration d’amour pour l’Autre d’où le titre de la pièce ?

C’est ça ! La Déclaration, c’est tous les sens derrière ce mot : déclarer, la déclaration sur l’honneur, la déclaration d’impôt, la déclaration du chef d’état, la déclaration d’un dictateur, la déclaration d’amour pour le passage à l’acte. C’est la déclaration aussi parce que j’ai eu la chance de rencontrer Georges Aperghis qui a composé des partitions musicales à partir de mots français avant de les comprendre. Ça donne donc des poèmes musicaux pour lesquels il a pris les mots français pour leur valeur de notes. Quand tu es français, tu as une couche supplémentaire du sens que donnent ses mots. Il les a compris ensuite. J’ai eu la chance de le rencontrer chez lui, c’était extraordinaire. Il a énormément de titres comme récitation par exemple, mais il n’y avait pas la déclaration. Je lui ai donc demandé pourquoi, et il m’a dit qu’il n’en était pas encore là. Car pour oser dire “je te déclare quelque chose”, il faut avoir la confiance totale en l’autre, qu’il est à 100% réceptif sur ce que tu es en train de dire. J'aimais l'idée de ce spectacle qui pouvait être une déclaration, qui pouvait faire le pari d’une totale concentration du spectateur. A un moment donné dans la pièce, en silence total, Lauriane, l’une des interprètes vient à l’avant-scène. Les gens me rétorquent qu’ils ont l’impression de comprendre ce qu’elle dit. C’est ça que Karsten, l’un des musiciens vient traduire en musique par quelques notes de guitare amplifiée, saturée, et ça lance le morceau suivant. C’est donc une quête entre des déclarations, des traductions et des dialogues, ça devient alors quelque chose de collectif, et donc de rond.

Y-a-t-il des échos politiques avec ce qui se passe aujourd’hui, je pense notamment à la question des migrants ?

Bien sûr, c’est une question de territoires, de tendre vers, de fuir quelque chose. La pièce commence par un état de fait d’une extrême violence. L’autre n’est peut-être pas un migrant, mais un exilé. Il fuit quelque chose, il ne se déplace pas par choix. Il fuit la mort, le danger… ce n’est pas une migration comme pour les oiseaux migrateurs. Dans la pièce, on parle de ces dix qui sont dans un état de corps, qui tendent vers la migration, je n’en dis pas plus, mais c’est la flûte de Naïssam qui propose de quitter la berge, de traverser pour arriver ailleurs. Cet ailleurs, je ne le connais pas, quels sont mes outils pour apprendre à les connaître ? La danse, la voix, la musique, la rencontre…

Dans votre scénographie vous représentez grâce à un gros travail de la lumière le déroulement d’une journée complète et les artistes évoluent sur la scène avec du sable rouge sur le plateau. Pourquoi ?

Ça va évoluer. On ne va pas pouvoir le faire avec le sable. Il y a un inconfort énorme pour les musiciens, et notamment pour Naïssam. On va donc modifier cette scénographie. Pour la lumière, en effet, avec Mick, mon créateur lumière et ami de longue date, le but était de parler des différentes intensités de la journée, entre le soleil naissant du matin, entre la radicalité de l’axe zénithal, et puis cette douceur du soleil qui te caresse avant de disparaître, ça donne au moins déjà trois états de tension du corps. Je trouvais que c’était vraiment en adéquation avec mon ressenti de la musique de Naïssam.

La Déclaration
- Le 7 mars au Colisée de Roubaix
- Le 9 mars à la Philharmonie de Paris
- Le 11 mars à la Maison de la Culture d'Amiens

Photo : © Loïc Seron

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