Aujourd’hui19 événements

Le cinéaste Arnaud des Pallières pour son film Captives

Le cinéaste Arnaud des Pallières pour son film Captives

Arnaud des Pallières Captives Style : Cinéma Date de l’événement : 24/01/2024

Site Web

LillelaNuit a rencontré Arnaud des Pallières pour Captives. Dans ce film d'époque, se déroulant en 1894, à l'Hôpital de la Salpêtrière, Arnaud des Pallières aborde des questions et problématiques plus que jamais d'actualité (la psychiatrie, la violence exercée sur les femmes). Dans cette œuvre esthétiquement somptueuse, des Pallières, alterne les ambiances, et filme de sacrées comédiennes (Mélanie Thierry, Josiane Balasko, Marina Foïs, Carole Bouquet, Yolande Moreau, Dominique Frot, Elina Lowensöhn, Solène Rigot, Miss Ming). Entretien avec l'un de nos grands cinéastes.

Qu’est-ce qui vous porte vers un univers féminin ? C’était déjà le cas sur Orpheline.

Arnaud des Pallières : C’est à la fois une rencontre et le monde autour de nous, les générations d’aujourd’hui, voilà j’entends, je sens. J’ai une fille de 15 ans et moi qui me croyais féministe depuis mes 20 ans, ça me réinterroge encore plus profondément. Il se trouve que c’était la raison pour laquelle j’ai demandé à ma co-scénariste Christelle Berthevas de me rejoindre sur l’écriture de Michael Kohlhaas, où je sentais qu’il n’y avait pas de personnage féminin à la hauteur dans la nouvelle de Kleist. Je lui ai dit qu’il fallait absolument qu’on remonte des personnages féminins parce je ne voulais pas faire le millième film d’homme, même si j’avais très envie de faire une adaptation de cette nouvelle. Je lui ai donc proposé de venir m’épauler à l’écriture (c’était sa première co-écriture de long-métrage de cinéma), pour m’aider à développer dans Kohlhaas le personnage de la petite fille et de sa femme. Et de fil en aiguille, ensemble, en compagnonnage, on s’est de plus en plus passionnés pour la création de personnages féminins, alors que pendant très longtemps c’était des personnages que j’avais très peu, voire pas du tout abordés parce que je ne me sentais pas. Ce n’était même pas un problème de légitimité. Je ne savais pas de quoi partir pour penser avec un peu de justesse et de finesse des personnages féminins.

J’ai une fille de 15 ans et moi qui me croyais féministe depuis mes 20 ans, ça me réinterroge encore plus profondément.

Arnaud des Pallières

Mélanie Thierry et Yolande Moreau.

Vous jouez sur les contrastes de mise en scène, mais aussi de genres. Le film est anxiogène, c’est une sorte de thriller. Le final, avec ce que l’on appelle "le bal des folles" a presque un côté giallo. Et puis il y a une douceur, quand Fanny chante. Est-ce que passer d’un genre à une autre, d’une ambiance à une autre, c’est quelque chose qui fait partie de votre ADN de cinéaste ?

Arnaud des Pallières : Je ne pense pas tellement en termes de genres. J’aime bien que les films que je fais, contiennent de la contradiction. Je trouve qu’il n’y a rien de plus excitant et de plus intéressant que la contradiction. À la fois dans les personnages, mais même dans un film. Parce que les forces contraires créent de l'énergie. Quand on a des forces contraires, au moins il se passe quelque chose. Et d’une certaine manière, en tant que spectateur, il faut que l’on se positionne. Moi, j’adore qu’un personnage, qui est donné comme un bon personnage, commette de mauvaises actions, et j’adore qu’une méchante, une mauvaise ou un bourreau etc, dévoile une forme de fragilité, de mauvaise conscience ou de tendresse. Et ça fait des choses complexes comme dans la vie. Je m’estime trop souvent pris comme un imbécile au cinéma en tant que spectateur. Et j’ai envie de faire des films qui s’approchent le plus possible de la vraie complexité du monde. Donc, je ne pense pas du tout en termes de genres. Ma vie n’est dans aucun genre. Et pourtant j’ai des moments de comédie, des moments de tragédie, de stress, d'inquiétude, et il y a de la place pour tout, il peut même y avoir tout en même temps. Notamment dans ce film, que je trouve à la fois drôle, et où il y a des moments complètement tragiques. Émilie, qui est joué par Dominique Frot, est à la fois drôle et profondément tragique. Moi ce qui me remue, ce qui me fait vibrer ,c’est quand il y a tout en même temps, quand on a à la fois envie de rire et de pleurer. Par exemple, je voulais que le film soit joyeux, donc il fallait qu’il y ait de l’énergie. Il n’y a rien de pire qu’un film sombre dans lequel on est dans une espèce d'effondrement, pour moi le plus intéressant c’est la gestion de l’énergie, faut qu’il y ait toujours de l’énergie. Ce qui est passionnant quand on a plein de personnages, c’est qu’il y en ait toujours un qui détonne, qui apporte la contradiction, qui ne va pas dans le même sens que les autres, qui fait rebondir. Voilà, c’est du boulot, mais c’est plus intéressant.

J'ai envie de faire des films qui s’approchent le plus possible de la vraie complexité du monde.

Arnaud des Pallières

Marina Foïs et Mélanie Thierry.

 

 

 

 

 

 

Quand on voit votre film, on pense à notre monde, à ce que vivent les femmes. Vous filmez des femmes opprimées, violentées, enfermées, oppressées. Vous dites que Mélanie Thierry a un jeu très contemporain. Dans quelle mesure la modernité de son jeu, donne l’impression que l’on ne regarde pas qu’un film d’époque ? 

Arnaud des Pallières : Peut-être que vous avez raison, peut-être que vous avez répondu à votre propre question. Moi j’ai fait deux choses avec elle dont j’avais besoin pour son personnage. Je l’ai ralentie et je l’ai adoucie. Ce n’est pas une douce Mélanie. Et moi, j’avais besoin de cette douceur, j’avais besoin d’une délicatesse, et d’une idée de la féminité de l’époque. Et ça, je sais que c’est moi qui suis allé le chercher ! Je lui ai fait cette violence-là, elle était très contente hein, mais ce n’est pas sa nature. C’est vraiment une bagarreuse, c’est un petit soldat Mélanie. Donc, je pense que je me suis mis à accepter et aimer pleinement ce qu’elle proposait. Mais j’ai essayé d’aller chercher quelque chose dont j’avais besoin en plus, et dont j’étais convaincu que le personnage et le spectateur avaient besoin. Elle ne pouvait pas juste être une fonceuse qui cherche sa mère, et qui se bagarre. On avait aussi besoin de ce qu’était l’idée d’une femme d’origine bourgeoise du XIXe siècle. Il fallait le manifester d’une manière ou d’une autre. D’autant plus que le monde autour d’elle était suffisamment dur pour qu’on puisse avoir accès à sa douceur à elle.

Josiane Balasko.

Ce que vous ne filmez pas, ce qui n’est pas dans votre cadre, est-il aussi important, voire plus important, que ce que vous y mettez ? 

Arnaud des Pallières : Oui, oui, je suis d’accord. Surtout sur un film comme celui-là. C’était déjà un peu le cas sur Orpheline. À partir du moment où vous considérez qu’en tant que cinéaste je ne suis pas omniscient, que j’accepte de me limiter aux œillères du regard, du savoir, des perceptions et de la compréhension du personnages principal, ce qui est formidable c’est ce qu’on ne vit pas et ce qu’on ne montre pas ! C’est aussi important, voire parfois plus, vous avez raison, pour les histoires de tensions, de danger et d'inquiétude. On ne sait pas d'où peut venir le danger et il peut venir, évidemment, de partout où la caméra n’est pas posée. C’est ce qui prévaut à toutes les arrivées du personnage de La Douane (ndr : Marina Foïs). Chaque fois qu’on est concentré sur quelque chose La Douane arrive, on ne l’a pas vue venir parce qu'on est sur Fanni et ses interactions avec les autres personnages. De toute façon, un de mes projets en tant que metteur en scène, un de mes désirs les plus profonds, ce n’est pas de faire du cinéma pour tous, mais de faire un film pour chacun. Si on ménage dans un film suffisamment de non-montrés, de non-dits, d’évoqué, de suggéré, de caché, comme aucun spectateur n’a le même imaginaire, il va reconstituer la partie manquante de la même manière qu’un autre spectateur. Et je pense que plus le spectateur agit avec son imaginaire, plus le film s’imprime profondément en lui parce qu'il le prend à l’intérieur de lui pour en faire quelque chose qui a affaire avec son imaginaire et son désir. C’est pour ça que je trouve, qu’il n’y a rien de pire qu’un film qui montrerait tout, qui me ferait comprendre tous les espaces et qui donnerait une espèce de point de vue divin pour qu’on maîtrise l’espace. Pour moi, si le personnage est perdu dans l’espace, il faut que le spectateur soit perdu dans l’espace. C’est beaucoup plus excitant ! C’est un espace que chacun reconstruit à sa façon.

Un film qui montre tout, c’est l’angoisse ?

Arnaud des Pallières : Oui, on apprend ça chez le cinéaste Robert Bresson.

Les infos sur Captives

Synopsis : Paris, 1894. Qui est Fanni qui prétend s’être laissée enfermer volontairement à l’Hôpital de la Salpêtrière ? Cherchant sa mère parmi la multitude des femmes convaincues de « folie », Fanni découvre une réalité de l’asile toute autre que ce qu’elle imaginait, ainsi que l’amitié inattendue de compagnes d’infortune. Le dernier grand bal de la Salpêtrière se prépare. Politiques, artistes, mondains s’y presseront. Dernier espoir d’échapper au piège qui se referme…

Captives d'Arnaud des Pallières
Scénario : Arnaud des Pallières et Christelle Berthevas
Avec : Mélanie Thierry, Josiane Balasko, Marina Foïs, Carole Bouquet, Yolande Moreau, Dominique Frot, Elina Lowensöhn, Solène Rigot, Miss Ming.

Durée : 1h50
Sortie le 24 janvier 2024

Film-annonce et affiche © Wild Bunch distribution -  Photos © Cécile Burban / Prélude
Entretien réalisé le mardi 16 janvier 2024 par Grégory Marouzé - Retranscription de l'entretien par Camille Baton

 

Revenir au Mag Interviews
À lire aussi
210 queries in 0,277 seconds.