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« Le Mélange des genres » : Entretien avec le cinéaste Michel Leclerc

« Le Mélange des genres » : Entretien avec le cinéaste Michel Leclerc

Michel Leclerc Le Mélange des genres Style : Cinéma Date de l’événement : 16/04/2025

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Cette semaine, LillelaNuit vous propose de découvrir Le Mélange des genres, le nouveau long-métrage de Michel Leclerc, réalisateur de Télé Gaucho, Les Goûts et les Couleurs et Le Nom des Gens. Mettant en scène Léa Drucker, Benjamin Lavernhe et Melha Bedia, cette comédie sociale audacieuse slalome entre enquête policière, satire du patriarcat et déclaration d’amour aux hommes doux. Entretien avec Michel Leclerc.

 

À LillelaNuit, on aime presque tous vos films, mais là, on a eu un peu peur. Le Mélange des Genres, sur le papier, peut faire craindre le pire. On peut s’attendre à un film caricaturalement “woke”, tant vous touchez à nombre de sujets sensibles : féminisme, violences faites aux femmes, sororité, fausses accusations, patriarcat, police… Ça fait beaucoup. Et pourtant, à l’arrivée, ça fonctionne. Comment faites-vous ?

Michel Leclerc : Je slalome. C’est comme marcher sur une ligne de crête. J’essaie d’éviter tous les pièges. Fondamentalement, avec Baya Kasmi (co-scénariste), notre écriture est toujours centrée sur les personnages. À partir du moment où l’on cherche à les faire aimer, on trouve cette fameuse ligne : ils peuvent avoir de mauvaises pensées, être contradictoires, penser une chose et son contraire… et on se débrouille avec ça. Je ne sais pas exactement comment je fais. Prenons par exemple la scène où le personnage de Benjamin Lavernhe, persuadé d’être un homme déconstruit, rencontre une fausse Virginie Despentes. Il dit : “Je suis un mec super, je fais tout bien”, et personne ne le remarque. Il attend une sorte de récompense pour son comportement exemplaire. Et la fausse Despentes lui rétorque : “Arrête ton ouin-ouin. Le mouvement MeToo est plus important que tes petits états d’âme.” Moi, je pense les deux choses à la fois. Oui, en tant qu’homme, il m’arrive parfois de ressentir cette inquiétude, ce malaise, ce besoin d’être reconnu pour mon respect des femmes. Et en même temps, je me dis : “Arrête de pleurnicher.” La parole des femmes, leur libération, c’est bien plus important. Le film se situe exactement à cet endroit.

Ce scénario vous a-t-il demandé plus de travail que les précédents ?

Michel Leclerc : Oui, sans aucun doute. Il a nécessité énormément de réflexions, de discussions… bien en amont de l’écriture. Avec Baya, évidemment, mais aussi avec mes amis proches. On en a beaucoup avec Carine Tardieu. Depuis plusieurs années, ce sujet circule autour de moi. Depuis la fameuse soirée des César avec Adèle Haenel : “On se lève et on se casse”... Tout cela a nourri des discussions, parfois vives, parfois conflictuelles. Il n’est pas toujours simple, en tant qu’homme, d’expliquer son point de vue, de le faire entendre. Et ça a continué pendant le tournage, au montage… Parfois, on passait des heures sur une seule phrase, à décider si on la gardait ou non. Et aujourd’hui encore, lors des projections, le débat continue. Mais c’est ça qui est passionnant. La fiction est là pour susciter le débat, pas pour convaincre tout le monde.

La fiction est là pour susciter le débat, pas pour convaincre tout le monde.

Michel Leclerc

Michel Leclerc à Lille.

À propos de Benjamin Lavernhe, qui est formidable comme souvent, on a l’impression de le voir dans votre film en version jeune de Pierre Richard.

Michel Leclerc : Absolument ! Pierre Richard a été une vraie influence. Je pensais beaucoup au Grand blond avec une chaussure noire. Ce type qu’on désigne comme espion alors qu’il est juste naïf. Plus il semble innocent, plus on le soupçonne…
Avec Benjamin, on a beaucoup travaillé sur ça : dessiner un personnage burlesque dans un univers où on ne s’attend pas à ce ton, comme celui du mouvement MeToo. Il fallait qu’il soit ce naïf à la Pierre Richard, à qui on donnerait le bon Dieu sans confession. Et je lui disais constamment : “Tu ne t’énerves jamais. Tu es un homme doux.” Même quand, dans la vie, il m’aurait dit : “Là, je me serais vraiment énervé.”
Il a travaillé jusque dans sa démarche, ses expressions, son ton de voix. C’est un acteur très physique, formé à la Comédie-Française, et c’était passionnant de bosser avec lui.

Justement, ce personnage est profondément gentil. Ce qui, dans notre époque, est presque mal vu.

Michel Leclerc : Oui. Et c’est drôle, Karim Leklou a dit quelque chose de similaire aux César en parlant de son rôle : “C’est un personnage gentil.” Moi, je voulais montrer qu’un homme gentil n’est pas un homme faible. Au contraire, il y a plein de scènes où le personnage de Benjamin fait preuve de courage, mais sans passer par la force ou la colère. Il affronte, mais avec douceur.
Et puis il y a cette phrase à la fin du film, empruntée à Nancy Huston : “Il faudra apprendre à être doux.” Et Léa Drucker lui répond : “Et il faudra aussi, nous les femmes, apprendre à aimer les doux.” Pour moi, c’est la clé du film.

Justement, Léa Drucker est formidable dans le rôle de Simone. Pourquoi elle ?

Michel Leclerc : Le personnage de Simone est infiltré dans un réseau féministe. Elle joue donc deux rôles : la flic aux idées conservatrices, et la militante. Il fallait une actrice capable de faire passer beaucoup avec très peu. Léa a ce talent incroyable : un simple regard, une inflexion, et on comprend tout, même quand elle dit le contraire de ce qu’elle pense.
Et face à Benjamin, qui est un peu l’Auguste burlesque, elle est son exact opposé. Elle incarne la subtilité, la précision. Il y a une scène où elle découvre que Benjamin est expert en serviettes hygiéniques… Son regard à ce moment-là, c’est tout le film. Elle se demande : “Mais qui est ce mec que j’ai accusé ?” C’est très difficile d’être la réplique sérieuse d’un clown.
Et puis Léa est aussi très forte en comédie. Elle n’en a pas tant fait, mais elle est brillante. On a eu beaucoup de discussions sur la dureté de son personnage au début du film. Elle méprise un peu les militantes. Mais Léa a cette capacité à évoluer, à devenir attachante malgré ses idées initiales. C’est un vrai bonheur de travailler avec elle.

On retrouve Judith Chemla dans un rôle inattendu. Elle a vécu des choses très dures dans sa vie personnelle, avec les violences portées par son ex-compagnon. Et dans le film, elle joue une activiste assez radicale, presque inquiétante…

Michel Leclerc : On se connaît bien, on avait déjà tourné ensemble, et on s’apprécie beaucoup. Judith a beaucoup d’autodérision. Elle sait faire la différence entre fiction et réalité. Ça l’amusait de jouer ce rôle. Et puis elle tenait à ce que certaines choses soient dites. Par exemple, dans le film, on dit clairement qu’il n’y a que 2% de fausses accusations de viol. Il y a aussi ce personnage de flic “woke”. Et elle a insisté pour qu’on montre que ce groupe féministe, les Hardis, a une utilité sociale. On la voit accueillir une femme agressée, l’écouter… Donc même si son personnage peut paraître rude, il est aussi porteur de choses importantes. Judith aime jouer avec ça, et elle l’a fait avec beaucoup de générosité.

Certains pourraient vous accuser de surfer sur une tendance, de manquer de sincérité… Que répondez-vous à cela ?

Michel Leclerc : C’est légitime, chacun peut penser ce qu’il veut. Mais moi, je ne surfe pas, je suis immergé dedans. Ce mouvement d’émancipation est partout depuis des années. J'en parle avec mes enfants, avec mes proches… Ce sont des sujets qui traversent la société, qui me traversent.
Ce n’est pas la première fois que je fais un film sur un sujet qui me travaille profondément. Le nom des gens, La lutte des classes, c’était pareil. Ce n’est pas une opportunité, c’est une nécessité. J’ai besoin de me libérer de ça à travers le cinéma. Et après, j’espère pouvoir parler d’autre chose.

Ce mouvement d'émancipation est partout depuis des années. J'en parle avec mes enfants, mes proches.

Michel Leclerc

Vincent Delerm, qui signe la musique, fait aussi une apparition dans le film…

Michel Leclerc : Oui, j’avais déjà travaillé avec lui sur La vie très privée de Monsieur Sim. On s’était très bien entendus. Pour Le Mélange des genres, j’ai tout de suite pensé à lui. Vincent incarne à mes yeux un “homme doux”, dans ses chansons, dans ce qu’il est. Et un jour, au moment où je me demandais qui allait faire la musique, j'ai vu passer un post sur internet sur les hommes doux, avec une photo de lui , où il citait justement cette phrase de Nancy Houston: “il faut aimer les doux”. J’ai vu ça comme un signe. Il a accepté immédiatement. C’est lui qui m’a proposé la chanson “Doux” de Jean-Jacques Goldman. Il trouvait qu’elle collait bien au personnage de Benjamin. Et de fil en aiguille, je lui ai proposé d’apparaître dans le film, comme un observateur, une sorte de troubadour discret qui commente l’histoire. Je crois que c’est la première fois qu’il apparaît dans un film… autre que le sien, où il ne joue même pas !

Les infos sur Le mélange des genres

Le Mélange des genres de Michel Leclerc
Avec Léa Drucker, Benjamin Lavernhe, Melha Bedia, Judith Chemla

Sortie : le 16 avril 2025
Durée : 1h43

Synopsis : Simone, une flic aux idées conservatrices, est infiltrée dans un collectif féministe qu'elle suspecte de complicité de meurtre. A leur contact, Simone s’ouvre progressivement à leurs idées. Mais lorsqu’elle est soupçonnée par le groupe d'être une taupe, elle se sert du premier venu pour se couvrir : Paul, un homme doux, inoffensif et respectueux des femmes qui vit dans l’ombre de sa moitié, faisant de lui, malgré elle, un coupable innocent. Simone, catastrophée de ce qu’elle a fait, tente de réparer sa faute... Comment Paul va-t-il réagir ?

Entretien réalisé par Grégory Marouzé le 14 mars 2025.
Retranscription de l'entretien par Camille Baton.

Photos : Stéphanie Branchu
Affiche et film-annonce : Le Pacte
Photo Michel Leclerc : Grégory Marouzé
Remerciements UGC Ciné Cité Lille.

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