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« Le Système Victoria » : Après « De Grandes Espérances », le nouveau Sylvain Desclous

« Le Système Victoria » : Après « De Grandes Espérances », le nouveau Sylvain Desclous

Sylvain Desclous Le Système Victoria Style : cinéma Date de l’événement : 05/03/2025

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Cette semaine, LillelaNuit vous propose de découvrir Le Système Victoria, le dernier film de Sylvain Desclous (réalisateur de De Grandes Espérances) avec Damien Bonnard et Jeanne Balibar. Le Système Victoria met en scène la relation professionnelle et passionnelle entre Victoria, une ambitieuse DRH d’une multinationale, et David, à la tête du chantier d’une grosse tour en construction à La Défense. Entretien avec Sylvain Desclous, réalisateur de ce thriller social.

Vous avez deux excellents comédiens Jeanne Balibar et Damien Bonnard. Pourquoi avez-vous pensé à eux pour Le Système Victoria ?

Sylvain Desclous : Le choix de Damien s'est imposé très rapidement, quasiment dès la décision d’adapter le roman. Je l’ai tout de suite imaginé dans le rôle du chef de chantier. Il avait déjà joué dans trois de mes courts-métrages, ainsi que dans mon premier long-métrage, Vendeur, où il tenait un petit rôle. Il correspondait parfaitement à ce personnage : un homme costaud, solide, terrien, un bonhomme, mais en même temps avec des failles… Il n’y avait finalement pas beaucoup d’autres acteurs qui me semblaient aussi évidents pour ce rôle.

Pour Victoria, c’était plus complexe. Son personnage est à la frontière de la caricature, notamment dans le roman et les premières versions du scénario. On aurait pu l’imaginer dans la lignée d’une femme de pouvoir façon Basic Instinct, une grande manipulatrice, une femme fatale hollywoodienne. Mais ce n’était pas ce que je recherchais. Je voulais quelqu’un capable de déjouer ces clichés et d’apporter une vraie finesse au rôle, une complexité qui enrichit le film. Il fallait une actrice qui puisse incarner cette DRH redoutable tout en explorant une palette d’émotions plus nuancée et offrir aux spectateurs une performance singulière, loin d’un personnage binaire.

Dans cette perspective, Jeanne Balibar s’est imposée. Je trouve qu’elle est la seule à pouvoir jouer ce type de rôle avec autant de subtilité. En la choisissant, je me suis aussi rendu compte qu’elle était plus âgée que Damien, et loin d’être un obstacle, cela a ajouté une nouvelle lecture qu'on peut faire de leur relation.

Le film pose des questions sociales, politiques, éthiques. C'était déjà le cas dans Vendeurs et dans De Grandes espérances. Est-ce fondamentalement votre façon d'aborder le cinéma ? Est-ce important pour vous ? Enfin, pourriez-vous vous en détacher ?

Sylvain Desclous : Je ne sais pas si c'est important pour moi. Je ne sais pas jusqu'à quel point c'est conscient pour moi. En tout cas, c'est vrai que si vous prenez ces trois films, et même si on prend La campagne de France, qui est certes un documentaire, je me rends compte que ces problématiques sont présentes.

Je dois me rendre à l'évidence que je suis attiré par une certaine complexité et un certain entrelacement des liens entre l'intime, le professionnel, le social et le politique.

Sylvain Desclous

Pourrais-je m'en détacher ? Je ne sais pas, je vais voir. Est-ce que j'aimerais m'en détacher ? Oui. J'aimerais bien arriver à évoluer vers une écriture plus simple, moins sociale. J'aimerais bien aller vers un petit peu plus de passion, un peu moins de social. Vais-je y arriver ? Ça je ne sais pas. C'est quelque chose qui était déjà présent dans le roman, c'est aussi pour ça que ce roman ne vient pas par hasard. En plus, quand je le lis en 2011, je suis au tout début de mon parcours de réalisateur, donc je suis d'autant plus impressionné et quelque part avide d'histoires comme celle-ci. C'est vrai que le bouquin d'Éric Reinhardt m'a tout de suite fait penser à ceux de Michel Houellebecq, par exemple, dans le regard extrêmement lucide, clinique, enfin moins clinique chez Éric que chez Houellebecq. Et c'est vrai qu'à l'époque, je gagnais ma vie dans le monde de l'entreprise, en organisant des séminaires à la défense, donc c'est un monde que je connaissais très bien, intimement. Et c'est vrai que j'ai été totalement attiré par la lumière du bouquin d'Éric.

Au sein du film, il y a des lignes de pouvoir, il y a les rapports charnels, qui sont importants. Est-ce que ce film, peut être une métaphore des rapports hommes-femmes, de manière plus générale ?

Sylvain Desclous : Oh, je n'espère pas. Je ne pense pas. Je ne pense pas que le film soit une métaphore des rapports hommes-femmes. Déjà, je ne suis pas sûr que ce soit une métaphore, je dirais plus que c'est une fable. C'est marrant, j'étais au téléphone avec une journaliste qui me disait que c'était un théorème. En tout cas, je pense qu'il part du postulat qu'on peut encore se parler, vivre des choses quand on est issu de deux bords totalement différents et, à priori, antagonistes. Qu'il est possible de vivre quelque chose quand on est une DRH, évidemment, de droite, ultra-libérale, cynique, tout ce que vous voulez, et un architecte de gauche idéaliste. Non seulement on peut se parler, non seulement on peut se confronter, on peut se disputer, mais on peut vivre quelque chose. Le livre raconte ça très fortement et j'ai essayé de garder cet aspect-là des choses. Mais je ne pense pas qu'il puisse être métaphorique de quoi que ce soit dans les relations hommes-femmes.

A-t-on pu vous reprocher que le personnage de Victoria soit plus âgé que le personnage de David ?

Sylvain Desclous : Ah non, on ne me l'a pas reproché, on l'a plutôt souligné de manière positive et singulière dans le bon sens du terme. C'est que, quelque part, il y avait une certaine normalité, à voir au cinéma, une histoire d'amour entre une femme plus âgée et un homme plus jeune. C'est bien, ça évolue, dans le bon sens.

D'une manière peut-être inconsciente, des films Une Étrange Affaire (ndr : de Pierre Granier-Deferre, avec Gérard Lanvin, Nathalie Baye et Michel Piccoli), que traversent des personnages très particuliers, ambigus, ont-ils pu se mettre en miroir avec Victoria ?

Sylvain Desclous : Sûrement, c'est marrant que vous me parliez de ce film, on m'en avait beaucoup parlé au moment où j'ai fait mon premier long-métrage Vendeur. Le président de la commission d'Avance sur recettes de l'époque, l'éditeur Paul Otchakovsky-Laurens, m'avait beaucoup parlé de ce film, que je n'avais pas vu à l'époque. Évidemment, je l'ai vu dans la foulée et je l'ai adoré ce film. Je ne sais pas s'il a bien vieilli. Et peut-être que ça a joué très inconsciemment. En tout cas, si ça a joué à un endroit, c'est sûrement celui-ci.

C'est que même la pire crapule, un grand acteur ou une grande actrice nous la rend absolument délectable.

Sylvain Desclous

C'est intéressant à voir, parce que moi je vois beaucoup de films et je serais bien incapable de déterminer de manière consciente ou inconsciente ce qu'il en reste. Mais sûrement qu'il reste beaucoup de choses. Au montage du Système Victoria, je me suis dit, « Ah tiens, on a fait ça » , « Ah tiens, je n'avais pas vu ça comme ça ». Le premier repas entre David et Victoria dans le restaurant chinois, quand on la voit arriver à travers des miroirs, est exactement le même plan que j'avais fait dans mon premier court-métrage. Un personnage y est totalement fragmenté en quatre fois, par des miroirs qui se répètent. Ce n'est pas quelque chose qui m'a sauté aux yeux en faisant les repérages, au tournage, mais vraiment au montage. Je me suis dit :« Ah, incroyable ! ».

Comment cela s'est-il passé sur le plateau entre Damien Bonnard et Jeanne Balibar ? Et quels acteurs sont-ils ?

Sylvain Desclous : Alors, ils se connaissaient un peu. Enfin, ils se connaissaient même carrément, amicalement. Je pense que ça fait des années qu'ils se connaissaient. Donc, ils s'aiment bien. Donc, ça a fait gagner beaucoup de temps à la fabrication du film et la fabrication de ce couple. Et notamment la fabrication des scènes de sexe. La confiance, l'intimité, ont fait que ces scènes ont pu être tournées de manière vraiment très agréable. Et pour un résultat que j'aime bien, je suis content. Quels acteurs sont-ils ? Ils sont assez différents. Je dirais, pour entrer dans les clichés, que Jeanne est géniale. Vraiment. C'est une actrice incroyable. C'est une Formule 1, ou un Stradivarius. Enfin, toutes ces métaphores un peu à la con, sont opérantes. Parce que j'ai vraiment eu la sensation d'avoir quelqu'un dans toute la plénitude de son talent, de son intelligence et avec qui on pouvait travailler vraiment dans les nuances. Tout en la dirigeant, vraiment, et c'est ce que j'ai fait. Je dirais que Damien est plus une matière, une matière qu'on malaxe, et qui aime être malaxée, et qui aime s'abandonner. Enfin, qui est très généreux dans ce qu'il donne au film. Que ce soit dans son investissement de travail. Mais aussi dans ce qu'il décide, dans ce qu'il abandonne au film et au travail. Parce que c'est quelqu'un qui n'a absolument aucun problème avec la nudité, il la donne au film. C'est quelqu'un qu'on peut diriger pendant la prise, il aime ça. Ceux ne sont que des impressions, qui sont étayées par le tournage. Mais voilà, j'ai vraiment cette sensation d'un instrument de très haute précision avec Jeanne. Et d'une matière à boxer avec Damien.

Vous avez du plaisir à filmer le travail ? Parce que vous filmez le travail.

Sylvain Desclous : Je ne m'en rends pas compte.

Vous filmez le travail. Dans De grandes espérances, vous filmez des gens au travail et là aussi.

Sylvain Desclous : Oui, on m'a posé la question de filmer le travail. Je ne sais pas si je filme le travail. En tout cas, comme vous dites, je filme des gens qui travaillent.

Dans beaucoup de films français, on a parfois l'impression que les gens n’ont pas de travail.

Sylvain Desclous : Ils vivent dans des grands lofts, on ne sait pas comment il sont payés. Disons que... Je pense qu'avant de faire du cinéma, mon parcours social et professionnel a nourri tout ça. Je n'ai pas la prétention de savoir ce qu'est le travail ou de connaître tous les métiers. Les différents métiers que j'ai occupés ont été des postes d'observation extrêmement intéressants qui m'ont permis de voir vraiment comment on travaille. Comment est-ce qu'on parle du travail. En quoi consiste le travail, quels sont les mots du travail, et ça m'a permis de me rendre compte que c'est central dans la vie des gens. Et que non seulement c'est central dans la vie des gens, mais que ça construit les personnages, que ça leur fait faire des choses ça leur interdit d'autres, c'est parfois même moteur de fiction, de dramaturgie. C'est vrai que ça m'est très compliqué d'accepter quand je vois des films que le mec n'ait pas de travail, ou que je ne comprenne pas son travail, ça me pose un réel souci. Je suis allé voir La Pampa, je ne sais pas quel est le travail de Damien Bonnard. Arthus, je ne sais pas ce qu'il fait. Le film a des qualités, mais je ne comprends pas ce qu'ils font. Quand on voit Jouer avec le feu, on comprend que Vincent Lindon a un travail, ça s'inscrit dans les relations, c'est physique, ça existe. C'est vrai que moi je suis plutôt de cette école, d'avoir cet ancrage vraiment relié au réel.

Cette proposition que fait David à Victoria, d'aller dans un club échangiste, était une façon pour lui de montrer qu'il pouvait partir dans une forme d'originalité qu’elle ne pouvait pas soupçonner ? Et lui laisser sa trace, comme les autres pouvaient le faire, ou avaient pu le faire ?

Sylvain Desclous : C'est totalement ça. C'est marrant que vous disiez ça parce que là aussi je me rends compte que c'est une scène qui pose question dans pas mal de retours, pas de spectateurs, mais des retours de la presse. Parce que j'ai les premiers retours et il y a beaucoup de journalistes qui posent des questions dans le sens que cette scène n'est pas comprise, voire même, est rejetée. C'est une scène qui n'existe pas dans le livre, ou bien elle arrive beaucoup plus tard, quasiment à la fin et elle est vraiment collée à l'issue tragique. Mais c'est totalement ça, la volonté qu'il a de l'emmener dans ce club c'est de trouver un endroit où elle n'a pas été, c'est de lui témoigner le fait qu'il peut être à la hauteur de son inventivité, de sa liberté. Lui prouver que lui aussi peut oser et que quelque part, comme c'est un truc qu'elle n'a jamais fait, elle le fera avec lui et, qu'effectivement, ça laissera une trace. Parce qu'elle a tout fait avec les autres.

L'auteur du livre, Éric Reinhardt, m'a dit : "Vas-y, fais ce que tu veux".

Sylvain Desclous

Et que pense l'auteur, qui joue d'ailleurs dans le film, que pense Éric Reinhardt, de l'objet fini ? Accepte-t-il d'être, peut-être d'une certaine façon trahi, accepte-t-il que le cinéma donne un autre objet que le roman ?

Sylvain Desclous : Oui il accepte totalement. Mais il en était très demandeur. C'est quelque chose qu'il recherche, il l'a recherché quand il a donné L'Amour et les Forêts à Valérie Donzelli. Quand je lui ai dit que je voulais faire le film mais à conditions de procéder à des gros changements, ça l'a ravit. Il n'est pas du tout quelqu'un qui a essayé de protéger l'intégrité de son bouquin. Au contraire, une fois qu'il a accordé sa confiance, il m'a dit : "Vas-y, fais ce que tu veux".

Que vous a-t-il dit sur le film ?

Sylvain Desclous : Le film ressemble beaucoup à la dernière version de scénario. Il n'est pas tombé de sa chaise, il a lu les deux ou trois versions de scénarios intermédiaires. Je pense que sa grosse surprise a été quand même lorsqu'il a lu la première version de scénario. Il y avait des choix qui étaient faits, qui étaient drastiques. Je pense qu'il a  du plaisir en voyant le film terminé. Pour répondre à la question, le premier mot qu'il m'a dit, au-delà du plaisir qu'il avait, est qu'il était content, que le film était réussi. Il m'a dit que ça remplissait pleinement son objectif, que c'était à la fois totalement différent du livre et en même temps totalement semblable. Ça me rappelle la citation de Godard qui dit :"Quand on fait un film, on fait exactement l'inverse de ce qu'on avait prévu de faire, et au final, ça ressemble à ce qu'on avait en tête". C'est peut-être aussi ça que je voulais exprimer tout à l'heure.

Les infos sur Le Système Victoria

Le Système Victoria de Sylvain Desclous

Scénario : Sylvain Desclous et Laurette Polmanss
Avec Damien Bonnard, Jeanne Balibar, Cédric Appietto

Sortie : le 5 mars 2025
Durée : 1h41

Synopsis : Directeur de travaux, David est à la tête du chantier d’une grosse tour en construction à La Défense. Retards insurmontables, pressions incessantes et surmenage des équipes : il ne vit que dans l’urgence. Lorsqu’il croise le chemin de Victoria, ambitieuse DRH d’une multinationale, il est immédiatement séduit par son audace et sa liberté. Entre relation passionnelle et enjeux professionnels, David va se retrouver pris au piège d’un système qui le dépasse.

Entretien réalisé à Lille le 10 février 2025 par Grégory Marouzé.
Retranscription de l'entretien par Enora Simon.

Visuels et film-annonce : The Jokers
Remerciements : UGC Ciné Cité Lille

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