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« Noémie dit oui » : la cinéaste Geneviève Albert s’engage contre la prostitution adolescente

« Noémie dit oui » : la cinéaste Geneviève Albert s’engage contre la prostitution adolescente

Geneviève Albert Noémie dit oui Style : Cinéma Date de l’événement : 26/04/2023

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LillelaNuit a rencontré la cinéaste québécoise Geneviève Albert pour Noémie dit oui. Dans son premier long-métrage, Geneviève Albert filme Noémie, jeune fille de 15 ans, contrainte à la prostitution par son petit ami. Fort, parfois éprouvant, remarquablement écrit et réalisé, Noémie dit oui fait découvrir au public français une comédienne impressionnante : Kelly Depeault. Geneviève Albert a parlé à LillelaNuit de sa comédienne, de son regard sur le proxénétisme, de sa façon de représenter la prostitution à l'écran. Passionnant, comme le film !

Geneviève Albert. Photo : Dariane Sanchez.

Vous prenez à bras-le-corps un sujet extrêmement complexe : le proxénétisme, la prostitution de jeunes filles mineures. Pourquoi avoir traité de ces sujets dans votre premier film ? 

Geneviève Albert : C'est une réalité qui me bouleverse depuis que j'en ai pris conscience, depuis mon adolescence. Je n’ai pas compris. Ça a suscité une indignation forte qui ne m'a pas quittée. C'est un sujet très très fort pour moi. J'ai l'impression d'avoir passé ma vie à débattre de prostitution avec plein de gens. Ce sujet est tellement fort que, finalement, c'est presque lui qui m'a choisi plutôt que l'inverse. En cours de parcours, ça a été compliqué à écrire. Le financement a été compliqué. Vu que c'est un premier long métrage, les institutions me disaient “ Vous êtes sûre de pouvoir réaliser ça ?” Je répondais : “Je suis capable de le faire !” Il a fallu les convaincre. Parfois je me disais que franchement, pour un premier film ça aurait pu être plus simple. Mais bon, voilà, on y est parvenu !

J'ai voulu filmer ces scènes sans reconduire la banalisation de la prostitution, son esthétisme, son érotisation.

Geneviève Albert

La jeune comédienne de Noémie dit oui, Kelly Depeault, est impressionnante. En plus d'être formidable, elle semble d'une maturité impressionnante. Comment vous l'avez trouvée ?

Geneviève Albert : J’ai découvert Kelly dans son premier film La Déesse des mouches à feu dans lequel elle tenait le rôle principal. Je ne voulais travailler avec aucune autre actrice. J'ai eu un élan et une intuition très forts. Je ne lui ai pas fait passer d'audition. Je lui ai offert le rôle alors elle a lu le scénario. Puis on s'est rencontrés. Elle m’a dit “Ton scénario est formidable, c'est très fort, mais je ne peux pas jouer le rôle”. Je comprenais, évidemment. Les scènes de sexe ont été difficiles à écrire. J'ai repoussé le moment de l'écriture pendant très longtemps. C'était compliqué pour moi d'être graphique dans mon écriture. Donc, je lui ai dit “ Je comprends. Je vais t'expliquer ma vision. Je vais t'expliquer mon rapport à la prostitution. Je vais t'expliquer comment je vais tourner ces scènes puis tu me diras si ça change ta perspective.” On s'est parlé pendant 1h durant laquelle je lui ai expliqué que, contrairement, à de nombreux films ou séries télé, dans lesquels les actrices sont sexualisées, avec une certaine érotisation même, avec une façon de filmer très frontale, je n’allais pas du tout être dans cette esthétique-là. Ce que j'ai choisi pour la mise en scène, c'est de tourner ma caméra vers les clients. “Contrairement à ce que tu peux t'imaginer en lisant le scénario, il va y avoir très peu de sexe. Tu seras rarement nue. On filme un sein à un moment donné, mais sinon le nu sera presque toujours hors champ”.

C'est d'autant plus violent. 

Geneviève Albert : C’est intéressant que vous souligniez ça. J'aime beaucoup Michael Haneke, qui joue énormément avec leur hors-champ. Ses films dans lesquels il traite de la violence, sont hyper violents. Mais tout se passe dans la tête des spectateurs. Je me suis dit : “Comment filmer la violence ? Parce que, pour moi, la violence est inhérente à la prostitution. Peu importe si le client est gentil, beau, sympathique. Il y a quelque chose de  violent dans le système prostitutionnel de par le déni de la personne qui est devant soi et de par la répétition. C'est aussi quelque chose que j'ai exploré dans le film. J'ai donc décidé de jouer sur le hors-champ, de mettre le personnage de Noémie hors-champ, de tourner ma caméra vers les clients, et qu'on perçoive les actes par le son. Ces images donnent un visage, de la chair aux clients. C’est quelque chose que je n’ai jamais vu dans un film. J'ai voulu filmer ces scènes sans reconduire la banalisation de la prostitution, son esthétisme, son érotisation.

Durant trois jours de Grand Prix de Formule 1, Noémie est enfermée dans un hôtel et a entre 12 et 14 clients par jour. A l'image, vous faites défiler des chiffres représentant le nombre de ses  clients. Parallèlement, on entend le bruit des voitures faisant les tours du circuit. Cela vous permet de mettre en scène la rapidité, l'intensité, la violence de la prostitution. Le spectateur le sait, mais le fait de voir ces chiffres défiler, d'entendre les bruits de moteurs, rendent les choses d’autant plus terrifiantes. Pourquoi avoir recours à ces procédés pour mettre en scène la prostitution ? Sommes-nous voyeurs ou courageux d’accompagner Noémie dans ce calvaire ?

Geneviève Albert : Je pense que vous êtes courageux parce que vous l'accompagnez. Le film ne sert pas à expliquer aux gens ce qu'est la prostitution. Ce qui m'intéresse, c'est d'aborder le film d'une façon sensorielle, c'est-à-dire de quitter le monde des idées pour plonger le spectateur dans le monde du concret. Parce que la prostitution, c'est concret, c'est pas un concept flou. Ce sont des corps qui entrent dans d’autres corps, c'est très concret. Comment faire ressentir l'horreur de la répétition, l'horreur de la prostitution ? Pour moi, quelque chose passe par la répétition. C'est l'aliénation qui suit les rencontres avec les clients qui m'intéressait. Moi j'avais envie que, quelque part, le public trouve ça insupportable. Tout comme les jeunes filles qui ont à faire ça.

Au sein du groupe, ils se prêtent les filles. Les filles sont là pour faire du sexe avec tout le monde, avec tous les amis qui se présentent.

Geneviève Albert

Le rapport que les jeunes hommes ont avec la sexualité, à laquelle ils sont confrontés très tôt, donne l’impression d’une déconnexion totale. Zach, le petit copain de Noémie, incite ses potes à avoir des relations sexuelles avec elle. Il dit à Noémie : “Ce n’est que du sexe”. Pensez-vous que ce rapport à la sexualité, très particulier, est principalement induit par la pornographie ? 

Geneviève Albert : Hum … (long temps de réflexion) Je vais me prononcer en prenant des gants blancs, dans le sens où je n’ai pas  étudié cette question en particulier. Ce que je peux dire, c'est que je pense qu’effectivement les jeunes, en ce moment, ont accès aux réseaux sociaux, à Internet, à Youtube, à toutes sortes de plateformes, qui les mettent en contact avec la sexualité très tôt. Pour le meilleur et pour le pire. Je pense qu'en vieillissant on trouve toujours que les jeunes font toujours l'amour plus tôt. On trouve ça un peu catastrophique. Bon, c'est vrai que les jeunes font l'amour plus tôt mais voilà, c'est comme ça. Si ça se passe dans des cadres sains, je n’ai pas de problème avec ça. Pourquoi pas ? Après, c'est vrai que dans le cadre de la prostitution, le fait qu’il y ait une banalisation de la sexualité de par les réseaux sociaux, de par les vidéos-clips, de par certaines stars, de par la pornographie, ça participe absolument au fait que c'est plus facile de convaincre des filles de se lancer là-dedans parce que ça fait vraiment partie du décor. Cette banalisation présente dans la société, les proxénètes l'utilisent pour banaliser la sexualité, la banaliser encore plus dans ces milieux. Et ça rend le recrutement plus facile. C’est plus facile ! Ce que je présente dans mon film. Toutes les filles qui sont dans les gangs de rue, sont des escortes. Les filles qui embarquent dans ces cercles, la plupart du temps, sont des escortes, c'est-à-dire qu'elles vont être utilisées à des fins sexuelles pour que les jeunes hommes, qui sont proxénètes, fassent de l'argent sur leur dos. Donc, la sexualité est hyper banalisée. Au sein du groupe, ils se prêtent les filles. Les filles sont là pour faire du sexe avec tout le monde, avec tous les amis qui se présentent. Puis, c'est vu comme étant cool, c'est vu comme étant quelque chose de formidable. Ça veut dire que tu es vraiment une fille ouverte et émancipée. Si tu fais ça, alors tu fais vraiment partie de la bande parce que tu as cette ouverture-là. Ils jouent là-dessus, donc c'est terrible. J’ai rencontré un proxénète de 17 ans, délinquant depuis qu'il a 7 ans. Son parcours m'a touché. Je ne le dis pas tout le temps parce que c'est dur à dire. Évidemment, les victimes, ce sont ces jeunes filles que les garçons font se prostituer. Mais ce jeune homme, qui est d'origine arabe, a vécu une enfance super difficile avec un racisme systémique qui empêchait ses parents de travailler. Ils vivaient dans une grande pauvreté et à un moment, il s'est aperçu qu'il en avait marre. “J'en ai marre, j'en ai marre d'être pauvre. Je vais m'organiser pour avoir des trucs. Donc, il a commencé à voler du chewing-gum, après il a volé des Nike, après il a volé des sound systems, après il a vendu de la drogue. Un jour, on lui a dit “Tu sais, c'est moins dangereux de pimper des filles que de vendre la drogue.” il s’est dit : “Cool !” Alors il s'est mis à pimper des filles. C'était moins dangereux. Ça, ça m'a fait halluciner. C'est moins dangereux pour les jeunes hommes qui sont dans les gangs de rue, d'être proxénète que de revendre la drogue, d'un point de vue juridique. Ils ont beaucoup plus de chances de se faire attraper par la police en vendant de la drogue, puis de se faire condamner pour ça, qu'en pimpant des filles. Ça me semble absolument problématique dans nos sociétés.

Problématique mais pas illogique dans le sens où nos sociétés sont encore grandement tenues et organisées par des hommes. 

Geneviève Albert : Absolument ! On est d'accord, on est d'accord. Par exemple au Canada, la prostitution, c'est illégal, c'est criminel. On ne criminalise jamais les personnes prostituées. Ce sont les proxénètes et clients qui sont criminalisés. Mais dans les faits, il n’y pas d'arrestations. Personne n’est arrêté, donc c'est une loi qui ne sert à rien.

Je n’ai aucun problème avec les hommes, mais j'ai beaucoup de problèmes avec les clients de la prostitution.

Geneviève Albert

Vous dites avoir été touchée par ce jeune homme. Or dans votre film, Zach, qui prostitue Noémie est parfois émouvant. Jusqu'au moment où on n’arrive plus du tout à avoir de compassion pour lui.  Si, en tant qu’homme on ne se sent pas visé, on sort quand même de votre film, en n'étant tout de même pas vraiment fier d'en être un. 

Geneviève Albert : Je suis contente que vous ne vous soyez pas senti visé. Moi, je n’ai pas de problème avec les hommes. J'aime les hommes ! J'ai un père extraordinaire ! Je n’ai aucun problème avec les hommes, mais j'ai beaucoup de problèmes avec les clients de la prostitution. Je ne comprends pas cette relation là. Je la refuse ! En fait, j'ai envie qu'on vive dans un monde où il y a moins de prostitution, qu’on établisse des rapports différents entre les hommes et les femmes, entre les femmes et les femmes, ou entre les hommes et les hommes. C'est vrai que dans mon film, tous les rôles d'hommes sont assez terribles. Cela étant dit, j’ai vraiment tenu à ne pas les rendre plus terribles qu'ils ne le sont.

SYNOPSIS : Noémie, une adolescente impétueuse de 15 ans, vit dans un centre jeunesse depuis trois ans. Lorsqu’elle perd tout espoir d’être reprise par sa mère, Noémie fugue du centre en quête de repères et de liberté. Elle va rejoindre son amie Léa, une ancienne du centre, qui l’introduit dans une bande de délinquants. Bientôt, elle tombe amoureuse du flamboyant Zach qui s’avère être un proxénète. Fin stratège aux sentiments amoureux ambigus, Zach incite Noémie à se prostituer. Récalcitrante au départ, Noémie dit oui.

Noémie dit oui  de Geneviève Albert
Avec Kelly Depeault, Emi Chicoine, Myriam De Bonville

Durée : 113 min
Sortie le 26 avril 2023

Entretien réalisé par Grégory Marouzé le 27 mars 2023 à Lille.
Remerciements UGC LILLE LE MÉTROPOLE
Visuels : Wayna Pitch

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