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« Peter von Kant » : François Ozon adapte l’artiste culte Rainer Werner Fassbinder

« Peter von Kant » : François Ozon adapte l’artiste culte Rainer Werner Fassbinder

François Ozon Peter von Kant Style : Cinéma Date de l’événement : 06/07/2022

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LillelaNuit a rencontré François Ozon. Jamais là où on l'attend, Ozon surprend une fois encore avec Peter von Kant, réadaptation d'une pièce et d'un film du génial et scandaleux Rainer Werner Fassbinder. Dans Peter von Kant, Denis Ménochet incarne un alter ego de Fassbinder, fragile tout autant que monstrueux, soumis, dominant et dominé. Peter von Kant est un grand film sur l'amour, le cinéma, l'amour du cinéma, également interprété par Isabelle Adjani, Hannah Schygulla, Khalil Ben Gharbia, Stefan Crépon et Aminthe Audiard. Moteur !Après Goûtes d’eau sur pierres brulantes en 2001, vous adaptez de nouveau Rainer Werner Fassbinder. Dans Peter von Kant, vous remplacez les personnages féminins du film original,  Les larmes amères de Petra von Kant (1972) par des personnages masculins. Même si vous êtes un cinéaste rompu, célébré, admiré...

François Ozon : Vilipendé (rires) !

Non non, non non ! De moins en moins en tout cas. Aviez-vous une charge à réadapter cette œuvre ?

François Ozon : Ah oui ! Parce que, quand j'ai fait Gouttes d'eau sur pierres brûlantes, il y a 20 ans, personne ne connaissait la pièce. C'était une pièce inédite que Fassbinder avait écrite à 19 ans, et qui n’avait jamais été adaptée. Enfin, elle avait été adaptée un peu au théâtre, mais au cinéma, on ne l'avait jamais vue. Fassbinder ne l’avait pas fait. M'attaquer aux Larmes de Petra von Kant, qui est un film culte, faire un remake, c'était plus compliqué. J'ai fait Frantz qui, au départ, est un film de Ernst Lubitsch (et aussi un texte de Rostand). Mais ce n'était pas le chef-d'œuvre de Lubitsch. Ce n'était pas comme si je refaisais To be or not to be. Les larmes amères de Petra von Kant fait partie des films cultes pour les fans de Fassbinder, donc je m'attaquais quand même à un gros morceau. Et en même temps, depuis un moment, j'avais l'intuition que Fassbinder parlait de lui. En fait, cette histoire, c'est une forme d'autoportrait déguisé. J’en ai parlé avec Juliane Lorenz, qui est sa veuve, sa monteuse, qui a monté tous ses derniers films et je lui ai dit, “Est ce que Rainer ne parlerait pas de l'une de ses histoires d'amour ?” et elle me l'a confirmé : “Bah évidemment, il parle de son histoire d'amour avec Günther Kaufmann", son acteur qui joue dans Querelle. C’est un acteur noir qui joue dans plusieurs de ses films, dans sa troupe, et dont il était fou amoureux, pour qui il a eu une passion dévorante. Il lui offrait tout le temps des rôles pour l'avoir près de lui. Sauf que Günther Kaufmann était hétérosexuel, avait une femme, des enfants. Donc, c'était compliqué. Fassbinder a écrit cette pièce, qui est devenue un film, où il parle de façon déguisée de son histoire avec Günther Kaufmann. Quand elle m'a dit ça, ça m'a libéré. Je lui ai dit, “est-ce que tu crois que si je transforme…" Elle m’a dit “Mais vas-y, Fassbinder aurait adoré !" Donc ça m'a un peu soulagé. Et puis aussi, l'idée était de faire un peu comme un metteur en scène de théâtre qui prend un texte classique. Vous prenez un Tchekhov, un Marivaux, et puis vous en donnez une vision complètement différente. Si vous voyez un Tchekhov monté par Chéreau ou par un autre metteur en scène de théâtre, ça devient différent. Donc, je me suis approprié cette histoire, j’y ai injecté des choses personnelles.

Justement, vous en donnez votre propre vision. Le film de Fassbinder se déroule dans le monde de la mode. Vous vous faites un plaisir de transposer cette histoire dans celui du cinéma. Peter von Kant est un film sur l'amour qui vous dévore, et, en même temps, sur l'amour du cinéma. Le cinéma, ça dévore ? 

François Ozon : Il y a un film de Fassbinder qui s’appelle La peur dévore l’âme. C’est le titre allemand de Tous les autres s’appellent Ali. Oui, parce que le milieu de la mode ne m'intéresse pas du tout ! J'adore le film de Fassbinder, mais je me demande pourquoi il a raconté ça dans le milieu de la mode. On sent que lui non plus, ça ne l'intéresse pas. Donc, à partir du moment où j'ai fait l'adaptation, je me suis dit que c'est du cinéma dont il fallait parler. Parce que le cinéma l’a tenu en vie. Son travail ! En fait, le film parle de l'amour, au sens global : l'amour des acteurs, l'amour des actrices, l'amour, l'amour passionnel mais aussi l'amour du travail. On sent que Fassbinder mélangeait tout, le travail et la vie privée. Il a couché avec ses actrices, ses acteurs, ses techniciens. Enfin bon, tout, tout, tout, tout se mélangeait. Il n’y avait pas de limites. Aujourd'hui, ça ne passerait plus du tout. (rires) Vous savez, Godard a dit cette phrase sur Fassbinder : “Comment voulez-vous qu'on ne meure pas à 37 ans quand on a fait un pan de toute l'histoire du cinéma ?” Une manière de dire qu’il est mort à cause de tout ce qu'il a créé. Et moi, je pense l'inverse. Je pense que Fassbinder a pu vivre jusqu'à 37 ans grâce à son travail. S'il n'y avait pas eu son travail, s'il n'y avait pas eu l'amour de faire des films, il serait mort plus tôt, et j'en ai parlé avec Hanna Schygulla, qui, forcément, le connaît. Elle m’a dit que Fassbinder est mort de la tristesse de ne pas croire en l'amour, de se dire que l'amour pur n'existe pas. C'est ça qui l'a tué.

Le film parle de l'amour, au sens global : l'amour des acteurs, l'amour des actrices, l'amour, l'amour passionnel mais aussi l'amour du travail. On sent que Fassbinder mélangeait tout, le travail et la vie privée.

François Ozon

Quelles furent les émotions d’Hanna Schygulla quand elle s’est retrouvée sur votre plateau ? Elle avait joué dans la version de Fassbinder.

François Ozon : Il faudrait lui demander ! Faudrait lui demander... J’avais tourné avec elle Tout s'est bien passé, mon film précédent. Quand j'ai travaillé donc sur Peter van Kant, je me suis dit que ce serait génial qu'Anna, comme on s'était bien entendu, accepte de jouer la mère de Fassbinder. Je lui ai envoyé le scénario et quand arrive le personnage de la mère (je ne sais pas d'où ça vient, si ça vient du scénario ou de la pièce originale), il y avait écrit “Une vieille cocotte liftée débarque : c’est la mère de Peter.”  Anna m'appelle, et me dit “ton scénario est très bien, mais je ne ferai pas ton film. Pourquoi tu as écrit "lifté" ? Moi, je n'ai rien fait à mon visage !” Je dis “Mais non, j'ai écrit ça, mais ça ne veut rien dire !” “Ah bon, d'accord. Bon, je vais peut-être le faire” Je pense qu'elle était amusée. Quand elle a vu Stefan Crépon, elle lui a dit  “C'est toi qui as le meilleur rôle. Tu ne dis pas un mot, mais tu vas tout ramasser." Denis Ménochet m'a raconté que, quand elle l'a vu arriver avec son costume blanc, elle a eu un moment de recul. Parce que, forcément, ça la renvoyait à toute son histoire. Mais je crois que l’histoire est très complexe entre elle et Fassbinder. J'ai essayé de lui poser des questions mais elle botte un peu en touche.

Le personnage de Karl, l'assistant de Peter von Kant, ne prononce pas un mot durant tout le film. Karl m’a fait penser à un mime ou un personnage du cinéma muet. Comment joue-t-on-ça ? C'est un défi quand même. 

François Ozon : Je crois que c'était perméable aux scènes, c'est-à-dire que je pense que Stefan Crépon s'est nourrit de Denis, d'Isabelle, de Khalil Ben Gharbia, de ce qui se passait. Il y a une scène où Stefan pleurait à chaudes larmes. Je ne l'ai pas montée. On en a fait une quand même, où il ne pleurait pas. Parce que je n’étais pas sûr. Après, c'est vrai qu’il y a une nouvelle écriture au moment du montage. On peut doser des choses. Mais après, c'est vrai que moi, j'avais envie d'une forme d'impassibilité dans des moments très dramatiques. Il est impassible quand Peter von Kant pète les plombs, lui demande de la coke. Il lui amène son truc, genre je m'en fous complètement. Et puis des moments des petits haussements de sourcils quand Amir lui montre qu'il est en photo dans un magazine. On sent qu'il s'en fout complètement.

Quand j’ai vu Isabelle Adjani, je me suis dit “Mais il les lui faut toutes !” (ndr : François Ozon a fait tourner les plus grandes comédiennes françaises, de Fanny Ardant, à Catherine Deneuve, en passant par Isabelle Huppert)

François Ozon : Il me manque qui ? (rires)

Il ne vous en manque plus ! 

François Ozon : Si, il m’en manque. (rires)

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Les infos sur Peter von Kant

Synopsis : Peter Von Kant, célèbre réalisateur à succès, habite avec son assistant Karl, qu’il se plaît à maltraiter. Grâce à la grande actrice Sidonie, il rencontre et s’éprend d’Amir, un jeune homme d’origine modeste. Il lui propose de partager son appartement et de l’aider à se lancer dans le cinéma.

Peter von Kant de François Ozon
D'après Les larmes de Petra von Kant de Rainer Werner Fassbinder
Avec Denis Ménochet, Isabelle Adjani, Hannah Schygulla, Khalil Ben Gharbia, Stefan Crépon, Aminthe Audiard

Durée : 1H25
Sortie le 6 juillet 2022

Affiche et film-annonce : Diaphana distribution
Photos : Carole Bethuel

Entretien réalisé à Lille, le vendredi 24 juin 2022. Remerciements UGC Lille Le Majestic

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