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« Spectateurs ! », l’hommage du Roubaisien Arnaud Desplechin au 7e art

« Spectateurs ! », l’hommage du Roubaisien Arnaud Desplechin au 7e art

Arnaud Desplechin Spectateurs ! Style : cinéma Date de l’événement : 15/01/2025

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Cette semaine l'interview cinéma de LillelaNuit fait son focus sur Spectateurs ! Le nouveau film d'Arnaud Desplechin (Un Conte de Noël, Trois Souvenirs de ma Jeunesse, Roubaix, une Lumière...), qui navigue entre fiction, témoignages et documentaire, rend hommage aux acteurs dans l'ombre du cinéma : les spectateurs. Entretien avec un enfant de la région,  Arnaud Desplechin, originaire de Roubaix.

 

Spectateurs ! est-il une façon de rendre au cinéma ce qu'il vous a donné ?

Arnaud Desplechin : C'est une commande et en même temps, le film est outrageusement personnel. C'est le paradoxe du film. On m'a souvent posé la question : "Pourquoi faites-vous ce film maintenant ?". Évidemment que ça a attrait à mon âge. J'ai reçu tout ça, et maintenant, j'ai envie de le donner à des gens. Je pense à des jeunes gens, mais aussi à des gens moins jeunes. Peu importe l'âge. On ne sait pas l'âge des spectateurs. Ils entrent dans la salle, ils sont anonymes. J'avais envie de rendre quelque chose sur l'émerveillement que j'ai pu recevoir des films. Des émerveillements parfois austères. Comme, par exemple, le chapitre sur Shoah de Claude Lanzmann. Tout ce que le cinéma a pu m'apporter dans la vie, j'avais envie de le rendre aux spectateurs. Ce que le cinéma m'a donné, je veux l'offrir et montrer comment il m'a émerveillé. Je sais qu'il y a des réalisateurs qui ne sont pas des réalisateurs-cinéphiles et ce sont des réalisateurs que j'admire infiniment. Mais moi, si je n'avais pas été spectateur de films, je n'aurais jamais fait de films. J'avais envie de parler des spectateurs et pas des grands artistes ou des grands créateurs, comme les films-hommages merveilleux que Martin Scorsese a pu faire sur le cinéma italien ou sur le cinéma américain. Je n'avais pas envie de parler des maîtres. J'avais envie de parler de nous, peuple des salles obscures. À chaque fois, on nous dit que faites-vous dans les salles de cinéma ? Que faites-vous devant votre télé ? Voilà ce qu'on fait. Et ce qu'on fait, c'est passionnant. On a l'air passif. On ne l'est pas du tout, passif, devant un écran. On est extrêmement actif. J'avais envie de décrire cette activité des spectateurs.

J'avais envie de parler de nous, peuple des salles obscures.

Arnaud Desplechin

Dans cet hommage aux spectateurs, il y a des archives filmées, des photos, des extraits de films, des interviews de spectateurs qui parlent des films qu'ils aiment, de leur genre préféré, du cinéma d'horreur et du cinéma de fiction. Comment vous avez organisé toute cette matière ? 

Arnaud Desplechin : C'était un long travail. J'ai été aidé par Fanny Burdino, au scénario. Elle m'aidait, parce que je voulais que le film ne soit pas un labyrinthe. Enfin, qu'il soit un peu un labyrinthe, mais qu'il soit plutôt comme une maison. Parce qu'une maison, c'est plus accueillant qu'un labyrinthe. Ce que je voulais, c'est que les spectateurs puissent visiter les pièces de cette maison. Et on s'est dit, au tout dernier moment, que les spectateurs allaient être perdus. J'ai alors pensé à un réalisateur qui m'était très cher, Wes Anderson. Je me suis dit : "on va faire des plans à la Wes Anderson". Le héros de chaque scène se présente au spectateur, regarde la caméra avec une focale plutôt courte, avec un petit travelling avant comme chez Wes Anderson. Le personnage est entré et on visite la pièce. Ce système de chapitrage est arrivé comme ça, comme si chaque personnage du film venait prendre le spectateur par la main en lui disant : "Ne vous inquiétez pas, c'est juste le salon." Et puis un autre personnage vient vous prendre par la main. Et le chapitre suivant commence.

Vous dites que la salle de cinéma est votre maison.

Arnaud Desplechin : C'est vrai, j'avais trouvé ma nouvelle maison. C'est l'endroit où je suis chez moi. Je sais faire, j'ai l'impression que je suis devenu un spectateur pas mauvais, c'est-à-dire comme tout le monde. J'aime chaque seconde, acheter mon billet, regarder les programmes, hésiter, changer d'avis au dernier moment, ne pas changer d'avis à la séance du matin. Je préfère voir le film avec du public. Je sais changer d'avis sur le film, changer d'avis pendant le film, me laisser affecté par une critique, comprendre que je n'ai pas compris le film et qu'il est formidable. Me laisser affecté par les gens que je connais, qui me disent que je me suis trompé sur le film. Je change d'avis comme une girouette sur les films. Vous ne pouvez pas me faire changer d'avis sur un livre, c'est impossible. Sur les films tout le temps. Donc, je crois que je suis un spectateur pas mal.

La salle de cinéma est l'endroit où je suis chez moi.

Arnaud Desplechin

Quand Paul Dédalus, le personnage qui vous représente, va au cinéma pour la première fois avec sa grand mère (interprétée par Françoise Lebrun), il découvre Fantômas. Le Fantômas d'André Hunebelle, avec Louis de Funès, Jeran Marais et Mylène Demongeot, est-il réellement le premier film que vous ayez vu au cinéma? 

Arnaud Desplechin : Oui ! Tous les souvenirs sont extrêmement enjolivés, c'est à dire que ma vie était beaucoup plus terne que celle que j'e raconte dans Spectateurs !. Et ce n'est pas le film qui m'a le plus passionné. Le film qui m'a le plus passionné, c'est Le Livre de la Jungle (de Wolfgang Reitherman), produit par Walt Disney. Même si je préfère nettement Merlin l'Enchanteur et Dumbo, évidemment, qui est supérieur. Mais à l'année où je l'ai vu, j'étais passionné par Le Livre de la Jungle. Ce n'est pas un film formidable, mais il m'intéressait politiquement. Tandis que le film de Hunebelle ne m'a pas laissé un grand souvenir. Ma grand-mère m'a laissé un grand souvenir.

Vous êtes de la région, où alliez vous voir ces films avec votre grand-mère ?

C'était au Colisée de Roubaix. Mais le Colisée est devenu une salle de danse et de spectacles, donc on ne pouvait plus filmer. On a eu la chance de trouver une salle de cinéma qui n'avait pas bougé à Avion (Pas-de-Calais), Le Familia, chez Madame Foldi, qui nous a accueillis. On a eu de la chance, car l'espace entre l'écran et le premier rang était suffisamment large pour qu'on puisse avoir ce plan que je rêvais de faire depuis 25 ans. Le plan quand le gosse regarde Cris et Chuchotements (d'Ingmar Bergman). On s'approche et on tourne autour de lui. Il nous fallait une grue télescopique pour passer au-dessus, donc il nous fallait une fosse suffisamment large pour qu'on puisse installer la grue. Chez Madame Foldi, ça marchait. Cette salle avait ce charme-là. Mais c'est un cinéma où il y a très peu de marches, tandis qu'au Colisée, il fallait marcher pour atteindre la salle de cinéma. Le Colisée de Roubaix est une salle plus grande.

D'après vous, qu'est ce que le cinéma a de supérieur aux autres arts ?

Arnaud Desplechin : Pour moi, il y a plusieurs choses. Mais il y a une chose où je le trouve imbattable, c'est qu'il n'y a pas d'échelle de valeur. Je vais prendre un exemple, avec deux hommes que j'ai connus. Ce n'est même pas un exemple sur les œuvres, il n'y a pas besoin d'avoir vu leur film. Je pense à deux personnes qui s'apprécient énormément, qui se sont aidées l'un l'autre et qui pensaient faire le même métier. C'est Quentin Tarantino, dont je considère Once Upon a Time... in Hollywood comme l'un des cinq chefs d'œuvre de la dernière décennie, et Claude Lanzmann, qui a fait Shoah, l'un des chefs-d'œuvre du siècle. Et ces deux hommes s'entendaient super bien. Tarantino trouvait que Shoah, c'était super et Lanzmann trouvait que Inglourious Basterds, c'était super. Ils se téléphonaient, s'envoyaient des mots doux. Ils pensaient qu'ils faisaient absolument le même métier. Il n'y a qu'au cinéma où vous pouvez dire que Bruce Willis est aussi génial qu'un acteur shakespearien. Et que c'est la même chose, il n'y a pas d'échelle de valeur. Je trouve ça merveilleux comme promesse. Le populaire et le savant sont une seule et même chose. Je trouve ça incroyable.

Au cinéma, le populaire et le savant sont une seule et même chose.

Arnaud Desplechin

Avec Spectateurs!, on comprend qu'avant le cinéma, il y avait déjà le cinéma. Avec la peinture. Mais très vite, l'idée est contredite par une théorie d'un intervenant de votre film. Il dit que le cinéma serait arrivé avec les chimistes. Vous nous perdez un peu. On ne sait plus trop. Ainsi, vous maintenez le mystère du cinéma. 

Arnaud Desplechin : Il y a un mystère dedans. Il y a une phrase très provocante de l'écrivain et philosophe américain Stanley Cavell qui dit "moi, je connais très bien la date d'invention du cinéma, c'est Une maison de poupée de Henrik Ibsen. Pourquoi ? Parce que c'est l'émancipation des femmes et que le cinéma a été inventé pour enregistrer l'émancipation des femmes. Donc, la première fois qu'on a joué Une maison de poupée, le cinéma a été inventé." Il ne restait plus qu'à inventer la machine. Le cinéma, est-ce que c'est du théâtre ? Est-ce que c'est de la peinture ? Est-ce que c'est de la chimie ? C'est un mélange de tout ça. C'est une synthèse de tout ça. C'est un peu la thèse du film. Du Bellay, Ronsard,  Montaigne n'ont jamais parlé de l'ennui, ça n'existait pas pour eux. Baudelaire, lui, ne parle que de ça. C'est le diable qui a inventé ça. C'est le monde moderne qui a inventé l'ennui. C'est totalement une illusion qu'on s'ennuie, que le monde est terne, que le monde est décevant. C'est une illusion moderne. Pour l'âge moderne, il fallait inventer une machine prouvant que le monde est absolument passionnant. Et cette machine, on l'a un peu attendue. Edison l'a presque inventée. Et Lumière l'a performée. Après cette invention, on s'est dit "que je suis bête, la vie est formidable. La vie est absolument formidable." On n'a plus de problème. On peut se connecter avec les gens du 16e, du 14e siècle, du 5e siècle. On se souvient à quel point on a un appétit du monde. Pour moi, le cinéma, c'est ça. Peu importe la technique.

On se souvient à quel point on a un appétit du monde.

Arnaud Desplechin

Synopsis : Qu’est-ce que c’est, aller au cinéma ? Pourquoi y allons-nous depuis plus de 100 ans ? Je voulais célébrer les salles de cinéma, leurs magies. Aussi, j’ai suivi le chemin du jeune Paul Dédalus, comme le roman d’apprentissage d’un spectateur. Nous avons mêlé souvenirs, fiction, enquêtes… Un torrent d’images qui nous emporte.

Les infos sur spectateurs !

Spectateurs ! de Arnaud Desplechin

Avec Mathieu Amalric, Dominique Païni, Clément Hervieu-Léger

Musique : Grégoire Hetzel

Scénario :  Arnaud Desplechin
Distributeur : Les Films du losange

Sortie : 15 janvier 2025
Durée : 88 min

Photos et film-annonce : Les Films du losange

Entretien réalisé à Lille le 17 décembre 2024 par Grégory Marouzé.
Retranscription de l'entretien par Ambre Labbe.
Remerciements : UGC Ciné Cité Lille

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