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« Trois fois rien » : Nadège Loiseau, Nadège Beausson-Diagne, Antoine Bertrand, Philippe Rebbot, Côme Levin

« Trois fois rien » : Nadège Loiseau, Nadège Beausson-Diagne, Antoine Bertrand, Philippe Rebbot, Côme Levin

Nadège Loiseau, Nadège Beausson-Diagne, Antoine Bertrand, Philippe Rebbot, Côme Levin Trois fois rien Style : Comédie Date de l’événement : 16/03/2022

Nadège Loiseau, originaire de Roubaix, avait surpris son monde avec son premier film Le Petit Locataire. Elle est de retour avec Trois fois rien, comédie sur trois SDF raflant le pactole au Loto. Mais comment toucher l'argent quand on n'a, ni domicile fixe, ni compte bancaire ? Drôle, touchant, abordant un vrai problème de société, Trois fois rien ose aussi l'irrévérence. LillelaNuit a rencontré, pour un large entretien, la réalisatrice Nadège Loiseau, la comédienne Nadège Bausseau-Diagne, les comédiens Philippe Rebbot et Côme Lévin !

Avec Trois fois rien, l’idée était-elle de réaliser une comédie italienne en France ?

Nadège Loiseau : C'est marrant parce que je n'ai pas une grande culture de la comédie. Mais ce n’est pas la première fois qu'on évoque le sujet. Ma comédie est peut-être plus tournée vers l'Angleterre et la Belgique. Mais je crois qu'il y a de ça, et je suis en train de découvrir que peut-être mon cinéma est cousin avec l'Italie. J’ai très envie maintenant de m'ouvrir au cinéma italien parce que je vais y trouver des trucs qui vont me parler. Je ne suis pas écrasée par les références. Donc j'ai un cinéma à trouver, qui est le mien. En tout cas, je sais que pour les cinéphiles, les gens qui aiment le cinéma intrinsèquement, c'est un beau cinéma que la comédie italienne.

Trois fois rien présente un trio. Vous vous connaissiez pour avoir joué dans Le petit locataire. Cela vous a-t-il aidé pour construire la relation de ces trois SDF, qui sont un peu des pieds nickelés ? On pourrait tomber dans une forme de caricature, de mépris, qui pourrait les desservir, mettre mal à l’aise les spectateurs. 

Antoine Bertrand : Amour, amour pour les personnages, c'est impossible qu'ils soient caricaturaux, parce qu'on les aimait. C'était impossible qu'ils soient caricaturaux parce que Nadège les a filmés avec amour. Et c'est impossible parce que nous trois, ensemble, on s’aime. Ça transparaît à l'écran. J'avais envie d'être avec ces trois SDF. J’ai l’envie de passer au moins une soirée avec eux, l'espace d'un film. Donc si c'est rempli d'amour, on part avec une base. On s’écarte un peu du danger. Des pièges que vous venez de mentionner.

Philippe Rebbot : Casquette, c’est moi ! Antoine, c’est Brindille ! La Flèche, c'est Côme ! C'est à dire que c'est écrit sur mesure. On ne prend pas tellement de distance. On n'a jamais joué la comédie en jouant les personnages. Moi, je le connais intimement Casquette. Je crois que ce qui nous relie, c'est qu'en réalité, on est des gentils, comme dans la vraie vie. Ces mecs-là, de toute façon, se seraient rencontrés. Ces personnages, c'est nous ! C'est là où c'est bien écrit. Je peux devenir Casquette demain pour de vrai. Je vois où est sa fragilité. Nous, on a pris tout de suite très au sérieux. Ce film, ce sujet, les partitions qu'on avait à jouer.

Côme Levin : La question que vous posez, on se l'est évidemment posée 25 000 fois avant et pendant le tournage. Ensuite, Nadège au montage, se l'est posée à plein d'endroits. On a été sur la ligne de crête tout le long, mais on n'est jamais tombé du mauvais côté. C'est la meilleure des récompenses pour nous et pour notre travail car c'est ce qu'on a vraiment essayé de faire.

Nadège Loiseau sur le tournage de Trois fois rien. Photo : Justinien Schricke

Nadège Loiseau : C'est pour ça que ce film m'a fait peur tout le temps. Je savais que c'était dangereux. C'est pour ça qu'il fallait que je le fasse avec des gens que j'aime, et qui m'aiment, parce que notre combat, c’était le film. Tous ensemble, on s'est questionné à chaque endroit, bien sûr. Moi, j'écris pour eux. Après eux, ils ont une responsabilité qui est d'endosser les rôles et, évidemment, je veille au grain. Mais après, c'est leur partition. On a vachement discuté des personnages. Tu m'as vachement interpellé aussi (ndr : à Nadège Beausson-Diagne) parce que le personnage de Vénus, est gratiné. Là aussi, il faut y aller. Et là aussi, c'est prendre des risques et un risque pour elle, comme pour vous. Sur le plateau, je peux en demander beaucoup. En fait, je suis vigilante, mais je peux aussi parfois les encourager à aller encore plus loin. Voir jusqu’où ça tient.

Nadège Beausson-Diagne : Mais parce qu'il y a de l'humanité, en fait, et tant qu'il y a de l'humanité, ça fonctionne. A partir du moment où il y a de l'humanité et qu'il y a un regard, on entre vraiment dans ces histoires. On a discuté avec Nadège, mais au début, je n'étais pas tout à fait contente de ce personnage. Je suis engagé sur les questions de représentation et je me disais :  “la pute noire...”.*

Nadège Loiseau : Non mais c'était bien. Parce que tu as pu vraiment me questionner.

Nadège Beausson-Diagne : Et je te l'ai dit. J’ai dit à Nadège que je n'avais pas envie de le faire. En fait, ça ne m'intéressait pas par rapport à la position dans laquelle je me trouve. Après, on a trouvé comment aborder Vénus et je suis super contente de l’avoir fait, même si je n’ai pas encore vu le film. On a réfléchi. Qui est Vénus, qui est cette fille ? Quel est le lien qu'elle a avec le personnage de Philippe ? Il y a aussi dans le film une critique de la “société fucking capitaliste”, et patriarcale. Moi, j'avais envie de mettre ces choses là-dedans, alors elles sont vues, ou pas. En tout cas, moi je les ai mises et c'est ça aussi qui m'intéresse. Pour apporter ma pierre dans une aventure collective, portée par ces trois mecs qui sont des super acteurs. J'avais envie d'être là. Pour moi, c'est aussi un engagement d'être dans un film comme ça, parce qu'on peut faire rire, réveiller et éduquer. C'est à dire que ce n'est pas interdit. Ce film est utile.

Nadège Beausson-Diagne - Photo : La Fille du 12ème

Philippe Rebbot : Par rapport à la comédie italienne, Vittorio Gassman ne prenait pas de distance avec son personnage. Il n'y avait pas de cynisme quand il jouait, même quand il jouait  dans Nous nous sommes tant aimés. Quand il fait Le Fanfaron, Gassman devait être aussi con que le fanfaron. C’est ce que je veux dire en disant "Casquette, c'est moi !" Il y a une partie de moi. Pas con, mais fragile comme ce mec-là. J’ai vachement aimé l’introduction sur la comédie italienne. Je n’y avais pas pensé, mais c’est vrai. C’est exactement ça !

Antoine Bertrand: Et puis, comme dit Nadège, ils existent tous ces personnages. Ce sont des abîmés. Ça fait des personnages qui sont plus grands que nature. Je veux dire comme un schizophrène qui se parle à lui-même au milieu de la rue. Tu sais, c'est à la fois triste, puis il y a quelque chose de théâtral. Pus grand que  la vie.

Personnellement, de tous les films que j'ai faits, c'est sans doute le film qui a le meilleur goût. Il y a un truc qu'on ne peut pas décrire, on ne peut pas le décrire avec des mots. Il y a une finesse. Enfin, il faut voir le film pour se rendre compte de ça.

Côme Levin

Il y a aussi quelque chose d’intéressant dans Trois fois rien, c'est que vous jouez avec le mauvais goût. John Waters, aurait pu faire un film avec ce sujet.  

Côme Levin : Ça tombe bien, c’est mon réalisateur préféré. J’ai fait un film qui s'appelle RadioStars qu'on a présenté il y a plus de 10 ans. On était venu à Lille. Et à chaque projection qu'on faisait, les spectateurs nous disaient qu’il y avait quand même beaucoup de gros mots dans le film. Mais vous en dites des gros mots ? Le mauvais goût fait partie de la vie. Il fait partie des rapports.

Nadège Loiseau : Pourvu que le mauvais goût existe toujours. Il y a beaucoup de choses que je ne fais pas exprès mais il y a quand même beaucoup de choses que je fais volontairement. Voilà ! Il y a encore ses endroits, je me suis obligé. Je fais : “ Ah, ça me gêne”. Mais je le garde parce qu'en fait, ça fait partie des personnages, de cette histoire.

Antoine Bertrand : Mais tu ne commences pas par le mauvais goût. Seulement quand les gens sont installés, avec nous. Une fois de temps en temps, ça se peut qu'on pète, ça se peut qu'on soit gênant. Mais d'abord, il y a cette connexion-là.

Nadège Loiseau : C'est vrai, je n'attaque pas direct.

Côme Levin : Personnellement, de tous les films que j'ai faits, c'est sans doute le film qui a le meilleur goût. Il y a un truc qu'on ne peut pas décrire, on ne peut pas le décrire avec des mots. Il y a une finesse. Enfin, il faut voir le film pour se rendre compte de ça.

Nadège Loiseau : C'est hyper intéressant parce que je me suis questionné beaucoup là-dessus. J'avais envie de me déranger un peu.

Côme Levin : Mais oui, mais on a envie de choquer le bourgeois. C'est le sujet du sujet !

Nadège Beausson-Diagne : C'est ça. Qui regarde qui ? Comment la personne est regardée ? C'est l'histoire de ça en fait.

Antoine Bertrand : Mais dès le départ, je me rappelle, quand on a commencé les répétitions, on aurait pu jouer safe, ces trois-là, il y avait déjà de la matière. Nadège a dit : “Je veux des moments où, si on passait à côté de ce trio-là, on a envie de changer de trottoir.”

Côme Levin, Antoine Bertrand, Philippe Rebbot

C’est la magie du cinéma aussi, parce qu’après 1h30, on a envie de les suivre mais dans la vie, soyons honnête, on n’aurait sans doute pas envie de le faire. 

Nadège Loiseau : Non mais bien sûr ! Je fais ce film-là, parce que je me questionne.

Philippe Rebbot : Ouais mais je suis d'accord. C'est vraiment ça la comédie italienne. SI demain, on fait un film sur les SDF en bas de chez moi, à Montreuil, je n’aurais sûrement pas envie de les suivre. Certains n’ont pas de dents, sont agressifs, sont dégueulasses. Le cinéma sert à ça : sublimer quelque chose pour en parler.

Nadège Loiseau : Ah mais moi je ne voulais pas que le film soit angélique !

Philippe Rebbot : C’est sublimé par Nadège Loiseau. C’est sublimer de choisir Antoine, de choisir Côme. Ecrire un scénario, ça sublime, on n'y peut rien. On ne va pas se mentir. Sinon, tu fais un film tragique sur des SDF. Et là, tu te rends compte que tes producteurs disent “Personne va venir”. On sert à ça, à sublimer des situations. C'est ça, la littérature !

Antoine Bertrand : Ceci étant dit, sans avoir envie de devenir SDF demain matin en regardant un documentaire, s'il est bien fait, t’es témoin quand même d'un moment d'humanité et de drôlerie aussi. C'est quand même possible.

Philippe Rebbot : Bien sûr. C’est pour ça que je basculais en fiction parce que les docus, oui, Depardon les a faits. T'as la tendresse pour des fous. Tu les aurais croisés dans la vie, t'aurais pas eu la tendresse. Donc je me demande plutôt à quoi sert la fiction ? On ne va pas faire semblant qu'on est des vrais SDF. En revanche, on va sublimer ce monde-là, pour que des gens puissent se dire “ Et si je regarde les SDF, si je prends le temps de les regarder, je vais découvrir qu’ils sont aussi beaux qu’Antoine Bertrand, aussi beaux que Nadège, aussi beaux que tout le monde.”

* Nadège Beausson-Diagne est membre du Collectif 50/50

Les infos sur Trois fois rien

Synopsis : Brindille, Casquette et La Flèche vivent comme ils peuvent, au jour le jour, dans le bois de Vincennes. Mais leur situation précaire devrait changer du tout au tout le jour où ils gagnent au Loto. Encore faut-il pouvoir encaisser l’argent, car sans domicile, pas de carte d’identité à jour et sans compte bancaire, pas de paiement !

Trois fois rien de Nadège Loiseau
avec Philippe Rebbot, Antoine Bertrand, Côme Levin, Nadège Beausson-Diagne

Sortie le 16 mars 2022
Durée : 1h37

Visuels : Le Pacte

Entretien réalisé à Lille le 7 mars 2022
Remerciements UGC Ciné Cité Lille

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