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« Youssef Salem a du succès » : interview de Baya Kasmi, de Michel Leclerc et de l’acteur Oussama Kheddam

« Youssef Salem a du succès » : interview de Baya Kasmi, de Michel Leclerc et de l’acteur Oussama Kheddam

Baya Kasmi, Michel Leclerc, Oussama Kheddam Youssef Salem a du succès Style : Cinéma Date de l’événement : 18/01/2023

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LillelaNuit fait le choix du second film de Baya Kasmi : Youssef Salem a du succès. Après Je suis à vous tout de suite, la scénariste/réalisatrice retrouve Ramzy Bedia pour l'histoire d'un écrivain dont le roman va chambouler la famille, à l'échelle d'une secousse sismique. Dans cette comédie très drôle, on retrouve tout le talent et la générosité des auteurs du Nom des gens et de La Lutte des classes. Rencontre avec Baya Kasmi, le scénariste Michel Leclerc et le comédien Oussama Kheddam.

Quelle est l'origine du sujet au cœur de Youssef Salem a du succès :  le pouvoir qu'a la littérature, de bousculer des vies ? 

Baya Kasmi : Au début, il y a eu le projet de parler de ce qu'on prend à la vie pour écrire, de ce qu’est la démarche d'écrire, l'autobiographie que l’on brasse forcément avec de la fiction pour que ça ait un sens. Après, ça a un effet boomerang : comment la fiction ou un roman rejaillit sur la vie à son tour ? L'idée était aussi de rester ambigu et d'avoir une famille qui a des secrets, des tabous, une famille que ça bouscule énormément mais qui reste malgré tout unie par une sorte de tendresse. Même s’ils ne sont d'accord sur rien, même s’ils sont tout le temps fâchés les uns avec les autres, il y a une espèce de fil invisible qui les garde ensemble. Nous l’avons vécu à notre petite échelle parce que, quand on écrit des films ou quand on les réalise, on se pose ces questions-là et ça rejaillit sur nos proches, d’autant plus qu’on a écrit de l'autobiographie. Mais c'est vrai qu’à la fin, durant l'écriture d'un film, on est quand même protégé par les acteurs. Quand il s’agit d’un livre, c'est d’autant plus violent parce qu'il n’y a qu’une personne et ses mots. Il y a pas mal de livres comme ça qui ont créé la zizanie. Même encore aujourd’hui, il y en a eu un dans le dernier Goncourt, un livre de Cloé Korman, Les Presque Sœurs, qui s'inspirait de sœurs qui ont existé et qui elles-mêmes se sont fâchées.

La comédie, c'est ce petit pas de côté qui permet de dédramatiser, de voir un sujet tabou totalement autrement et de se rendre compte de la folie dans laquelle on vit.

Baya Kasmi

Vous sautez à pied joint dans des sujets que personne n'oserait aborder dans le cinéma français. La comédie est-elle vraiment essentielle pour parler de choses qu'on n'aborde pas forcément ?

Baya Kasmi : Que ce soit Michel ou moi, on a toujours envie d'écrire sur les sujets qui fâchent, sur les choses qui nous angoissent, on a toujours envie de mettre les pieds dans le plat. Sinon pourquoi écrire ? Ça n’aurait pas d'intérêt.

Michel Leclerc : Je pense qu'on a tous les deux un côté sale gosse. On a toujours au-dessus de la tête quelqu'un qui nous dit « Ça, tu ne dois pas le faire ». Ah ouais ? Bah on va le faire.

Baya Kasmi : Après ce qu'on aime bien aussi, c'est mélanger des problématiques qui génèrent de l'angoisse au sein des familles et au sein de la société. Parce que c'est hyper transversal ce qu’il se passe dans les histoires des gens, chez les individus, dans les couples, au sein des familles… C'est traversé aussi par toutes les tensions qui traversent la société. Et c'est vrai que les tabous, le rapport à l'identité, à l'Arabie, il suffit d'allumer la télé pour trouver des tas de gens qui en parlent en permanence. Donc, essayons d’analyser ça au cinéma, de voir comment on est regardé, comment on se regarde. Essayons de raconter l'histoire de quelqu'un qui essaie de s'inventer tandis que les autres essaient, eux aussi, de trouver leur liberté là-dedans, avec ce qu'on leur impose, la case dans laquelle ils sont, ce que leur demandent leurs parents, ce qu’ils espèrent atteindre, ce qu'ils désirent vraiment… A partir de là, la comédie, c'est ce petit pas de côté qui permet de dédramatiser, de voir un sujet tabou totalement autrement et de se rendre compte de la folie dans laquelle on vit.

Ramzy Bedia, Oussama Kheddam, Melha Bedia, Caroline Guiela Nguyen

Sans la comédie vous ne pourriez pas aborder ces sujets ? 

Baya Kasmi : Non, je trouve que c'est ça qui fait le sel de ces sujets-là. Il y a cette question : « Est-ce que la comédie c'est réaliste ? ». Dans la vie, quand on parle de tous les tabous familiaux, quand on parle des tensions identitaires qu'il peut y avoir entre les uns et les autres, je trouve que c'est extrêmement tragi-comique et complètement fou ce qui se raconte. J'ai l'impression que la comédie, on la voit tout le temps. Je trouverais ça dommage de ne pas le faire en comédie. Il y a d'autres sujets où je n’arrive pas à trouver comment faire de la comédie. En ce moment, j'écris et je trouve que ce n’est pas faisable tout le temps, mais sur ce sujet je trouve que c'est top.

Oussama Kheddam : Il n’y en a pas beaucoup qui peuvent se permettre de mettre de la poésie dans de la comédie. Il y a des scènes complètement hardcore mais très drôles, que ce soit dans ce film, dans La Lutte des Classes ou encore dans Le Grand Bazar, dont le sujet de fond est très dur. Mais on est morts de rire, et c'est comme ça aussi dans la vie. Des médecins, des policiers qui arrivent sur des scènes de crimes, qui se font des vannes entre eux alors que la situation est horrible.

Oussama, quelle a été votre réaction quand vous avez lu le scénario ?

Oussama Kheddam : J'ai beaucoup ri et je me suis reconnu dans énormément de situations, notamment quand sa famille monte le voir à Paris et qu'avant de partir, elle dit « Bon, on prend ça pour la nièce de… ».

Ramzy Bedia et Melha Bedia.

Ramzy Bedia et Melha Bedia, ça donne quoi sur un plateau ? 

Baya Kasmi : [rires] La même chose que dans le film : ils se tapent et ils s’adorent !

Oussama Kheddam : Les deux sur un plateau, c'est beaucoup d'amour. Dans la scène de la voiture, je ne vois que de l'amour, même s'ils se rentrent dedans, ça se clash  etc. Ils sont comme ça tout le temps : derrière la patate, il y a un « je t'aime ».

Baya Kasmi : Ils sont très pudiques aussi, ils ne se mêlent pas de la vie privée de l'autre mais, en même temps, il y a une grande proximité. C’est important, d’autant plus quand on est sur un plateau ensemble et qu’ils se croisent dans le travail. Moi ça m'a hyper émue au quotidien. Ramzy a l'habitude de faire le clown quand il va sur un plateau, d'en faire des caisses. S’il va dans l’émission Quotidien avec Benoît Poelvoorde, ils vont faire la compétition de celui qui sera le plus drôle. Tandis qu’avec Melha, on sent une générosité, il lui laisse la place d’être drôle et il se tait. Dans la scène de la voiture, il ne faisait rien, il la regardait, il était là, mais elle était épatante. Et puis c'est vrai que Youssef est un personnage qui regarde et ça, Ramzy l'a compris assez vite après une semaine, dix jours. En plus du scénario, je devais le filmer en train de regarder les autres pour qu'on sente aussi de quoi il fait le sel de son écriture, que c'est de la bienveillance mais, qu’en même temps, c'est son activité obsessionnelle favorite. Il regarde les autres, il a ce petit recul. On se dit qu’il est amoureux de leur folie, de leurs disputes, de tout ça et il ne pense qu'à ça. Et, en même temps, il s'en sert aussi.

Noémie Lvovsky et Ramzy Bedia.

Serait-il possible que vous pensiez réaliser un film et qu’au dernier moment, vous vous disiez « Ben non, on permuter en fait, c'est toi qui vas le faire » ? Et pourriez-vous réaliser ensemble ? 

Baya Kasmi : J’crois pas, non !

Michel Leclerc : Non, je crois pas. Je crois qu'on se prendrait trop la tête. Ce serait trop un spectacle pour les comédiens, ça serait très difficile !

Baya Kasmi : [rires] Ce serait atroce !

Michel Leclerc : Non mais par exemple si on faisait une série, on pourrait se la partager. C'est sûr qu'il y a une connivence d'esprit très forte, j'adore la façon dont elle a mis en scène ce film, par exemple. Mais par contre on ne verrait pas l’utilité de le faire à deux.

Baya Kasmi : C'est surtout que c’est un plaisir solitaire, la réalisation.

Michel Leclerc : Cependant, j'ai de plus en plus envie de la faire jouer dans mes films. J'ai envie de lui donner des rôles de plus en plus grands dans des comédies.

Baya Kasmi  : Mais ça m'a plu aussi de te faire jouer. C'est vrai que ça change parce que du coup, il y a une présence sur le plateau de temps en temps qui est géniale et qui fait qu’on fait vraiment partie du film. En tout cas, c'est l'impression que j'ai eue quand j'ai joué dans La Lutte des Classes ou dans Les Goûts et les couleurs. J'avais l'impression de ne pas être exclue du moment du tournage, ce qui n’était pas toujours le cas avant et, en même temps, de pas du tout être dans la même place que lui de réalisateur. En revanche, on se donne des avis sur tout. Quand il a un doute ou quand moi j’ai un doute, on peut en parler. Après le fait d’être seul à la réalisation peut faire qu’on est pas du tout d’accord ou qu’on décide d’écouter. Si on nous n’avions pas ça, je pense qu’on ne saurait plus qui fait quoi ou alors on se disputerait tout le temps pour avoir raison. Pour ce qui est du scénario, on peut se disputer longtemps mais finir par arriver à un consensus fort.

Les Infos sur Youssef Salem a du succès

Synopsis : Youssef Salem, 45 ans, a toujours réussi à rater sa carrière d’écrivain. Mais les ennuis commencent lorsque son nouveau roman rencontre le succès car Youssef n’a pas pu s’empêcher de s’inspirer des siens, pour le meilleur, et surtout pour le pire. Il doit maintenant éviter à tout prix que son livre ne tombe entre les mains de sa famille…

Youssef Salem a du succès de Baya Kasmi
Scénario Baya Kasmi et Michel Leclerc
Avec Ramzy Bedia, Noémie Lvovsky, Melha Bedia, Caroline Guiela Nguyen, Oussama Kheddam, Abbes Zahmani, Tassadit Mandi, Lyes Salem, Vimala Pons
Musique : Alexandre Saada et Bachar Maar Khalifé

Visuels : Copyright Stéphanie Branchu - DOMINO FILMS/FRANCE 2 CINEMA - TANDEM DISTRIBUTION

Entretien réalisé à Lille le 11 janvier 2023
Entretien : Grégory Marouzé / retranscription de l'entretien : Élise Coquille
Remerciements : UGC Ciné Cité Lille

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