Aujourd’hui14 événements

Anthony Joseph & the Spasm Band à la Maison Folies Wazemmes – Jazz En Nord

Sacré personnage que ce Anthony Joseph, qui se définit lui-même comme un « intellectuel funky ». Difficile de faire entrer cet artiste né à Trinidad mais exilé en Angleterre dans une seule case tant il possède de cordes à son arc. Écrivain reconnu (il possède à son actif un roman et trois recueils de poésie), il est considéré comme l'une des plus fines plumes britanniques actuelles, a été élu comme l'un des écrivains noirs ayant apporté une contribution majeure à la littérature anglaise contemporaine et son oeuvre est au programme dans certains établissements scolaires de son pays d'adoption. Conférencier, essayiste, professeur de littérature, Anthony Joseph met de la vie dans ses rimes en mettant en musique ses poèmes avec son groupe The Spasm Band dont le nom fait à la fois référence aux orchestres de rues décrits par Louis Armstrong dans son autobiographie et aux spasmes provoqués par les cérémonies vaudous dont il fut le témoin dans sa jeunesse à Cuba.

Un des organisateurs du festival Jazz En Nord, cadre dans lequel le chanteur et son groupe se produisent ce soir à la Maison Folie de Wazemmes, préfère prévenir le public, venu nombreux, en présentant l'artiste avant sa montée sur scène: « Il s'agit de la dernière date de la tournée d'Anthony Joseph & The Spasm Band  et ils sont très motivés! ». Et quand l'anglo-caribéen fait son apparition, dans un ensemble pantalon-tunique vert flashy et aux motifs psychédéliques, l'image poussiéreuse que l'on peut se faire d'un poète vole en fumée. Se servant un verre de ce que l'on devine être du rhum ambré (la bouteille ne survivra pas à la soirée sans que cela ne semble perturber ses facultés), il invective directement les spectateurs confortablement installés dans les gradins et les invitent à venir se rapprocher de la scène. La fosse se remplit en quelques instants. La transe peut commencer.

Le concert se divise (entracte à l'appui) en deux sets bien distincts. Le premier présente des morceaux du nouvel album à venir et qui s'annonce aussi bon que son prédécesseur Bird Head Son tandis que le second s'articule autour de morceaux plus anciens. Magicien des mots, Anthony Joseph se révèle être également une bête de scène, pleine de vie et de légèreté, déclamant de sa voix grave et profonde ses textes avec la même puissance expressive que The Last Poets ou Gil Scott-Heron, artistes afro-américains qui au début des seventies, en mélangeant Spoken Words et sonorités Jazz, ont préfiguré le mouvement Hip Hop. Ou plaçant des lignes de chants, bienvenues car empêchant une linéarité monotone de s'installer, d'inspiration Soul des plus réussies. Le tout en utilisant son corps comme un instrument, un outil lui permettant de transmettre son langage poétique et de renforcer la puissance de ses mots.

Musicalement, le groupe (Andrew John à la basse, Christian Arcucci à la guitare, Colin Webster au saxophone, Michel Castelannos à la batterie et Williams Cumberbach aux percussions) est au diapason et brasse une multitude de sonorités, unifiant toutes les musiques noires, qu'elles soient originaires d'Afrique, des Caraïbes ou d'Amérique: Free Jazz, Funk, Soul, Calypso, Afro-Beat. Anthony Joseph qualifie d'ailleurs sa musique comme « la bande originale de la diaspora noire ». Une musique placée sous la liberté de ton, envoûtante, invitant à la danse, faisant succéder longues introductions et accélérations progressives pour créer une alternance et une tension positives, sources de pulsations jubilatoires. Le nom du groupe prend ainsi tout son sens. L'approche musicale est spirituelle, quasi-mystique.

Plus qu'un chanteur ou un poète, Anthony Joseph, sur scène, a tout du chaman ou du griot, conteur d'histoire dans la vieille tradition africaine. Le public, ensorcelé, ne le laissera d'ailleurs pas quitter la scène si facilement. Ce n'est qu'au bout du second rappel, concluant deux heures de concert endiablées et carnavalesques, que les spectateurs daigneront quitter le temple, le sourire aux lèvres et l'âme en paix.

 

Revenir aux Live report Concerts
A lire et à voir aussi
206 queries in 0,384 seconds.