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Bob Dylan & Mark Knopfler au Zénith de Lille

Deux légendes pour le prix d'une. Deux grands noms qui, pour des raisons différentes, ont imprégné de leur empreinte indélébile l'Histoire du Rock. Le guitariste surdoué Mark Knopfler et le Menestrel du Minessota, Bob Dylan.

Si ces deux mythes ont déjà eu l'occasion de se croiser sur disque, Mark Knopfler a dégainé la six-cordes sur l'album Slow Train Coming du grand Bob en 1979 et a produit, en 1983, Infidels, ils feront ce soir bande à part. Chacun jouera son set de son côté. Divisant la soirée en deux temps bien distincts.

Et scindant également le public en deux camps opposés à chacune des prestations. En effet, le show se transforme très vite en véritable guerre de tranchées. Aucun des deux artistes ne faisant l'unanimité.

Mark Knopfler est le premier à s'y coller. Première constatation: la page Dire Straits est définitivement tournée. Le chanteur-guitariste n'interprètera, en guise de rappel, qu'un seul morceau de son ancien groupe: 'So Far Away'. « Si loin de moi » chante-t-il donc avec malice. Le message ne peut pas être plus explicite. Le taciturne écossais veut que l'on fasse le deuil de cette période musicale. Elle fait partie d'un passé qu'il ne veut pas raviver.

Il ne se consacre ainsi qu'à sa carrière solo. Une seconde constatation s'impose. Les années n'ont pas eu de prise sur sa manière de taquiner son instrument fétiche. Aucun signe d'arthrose à l'horizon. Le toucher est toujours aussi magique. On retrouve ce jeu nonchalant, sans esbroufe, inspiré du groove laid-back de JJ Cale, et cette limpidité qui font sa marque de fabrique. Mark Knopfler fait partie de ces guitaristes dont on reconnaît la patte instantanément, dès le premier pincement de cordes. Les notes et les accords ruissellent avec harmonie, dans un mélange de tranquillité et de tension, les rythmiques sont complexes, pleines de contre-temps et de syncopes, et les soli font preuve d'une grande recherche mélodique.

Malheureusement le Rock et le Blues qui habitaient Mark Knopfler à ses débuts ont laissé place au Folklore. Beaucoup de compositions tirent leurs racines de musiques traditionnelles. La Country ('Corned Beef City'), la musique Cajun ('Done With Bonaparte'), la musique irlandaise ('What It Is', 'Sailing To Philadelphia', 'Haul Away'). Le tout à grands renforts d'accordéon et de flûtes. Ces dernières agissent, d'ailleurs, sur une grande majorité du public de la même manière que les mélopées du joueur de flute sur les rats de la ville d'Hamelin dans le conte des frères Grimm. Les charmant. Les caressant dans le sens du poil. Les entraînant dans leur sillage.

La prestation est élégante. Néanmoins, cela reste de la musique en costard. Proprement repassé dans un pressing de luxe. Mais exhalant des odeurs de boule à mites. De naphtaline. On est en droit de préférer les effluves d'un jean sale, sentant la sueur et la bière, renversée dessus négligemment en faisant la fête dans le Bus Tour. Mark Knopfler, lui, roule désormais en Mercedes. Et ne fait plus la fête. Il interprète la musique qu'un retraité embourgeoisé joue pour ses petits enfants au coin de sa cheminée dans un cottage trois étoiles de la lande Ecossaise. Il la joue très bien, certes. Mais, cela reste de la musique de vieux...

Reproche que l'on ne pourra pas faire à Bob Dylan. Plus sale gosse que jamais, à 70 ans passés, il refuse de jouer une musique bien proprette. Lissée à en gommer toutes les aspérités.

Il faut d'ailleurs voir la tronche de certains spectateurs en l'entendant chanter. Parce que oui... La rumeur ne ment pas. La voix est effectivement dégueulasse en live. Demander à Dylan de chanter une berceuse à un bébé, c'est lui assurer une nuit de cauchemars où il s'imagine poursuivi par des Heckle et Jeckle, bouffés par un cancer de la gorge en phase terminale, lui courir après avec des machettes à la main.

Pour enfoncer le clou, à l'austérité folk des débuts, à la poésie minimaliste des années 60, il préfère développer un son cradingue, un Blues primitif et rural, âpre comme le bruit d'un tracteur qui démarre. Du haut de la montagne où on l'a érigé, habillé comme un Desperado, il fait mordre la poussière aux petits jeunes qui cherchent désespérément à le rejoindre (The Strange Boys, Ben Kweller ou le Beck de One Foot In The Grave et de Mellow Gold). Avec un plaisir sadique, il réarrange ses morceaux les plus connus ('Ballad Of A Thin Man', 'Highway 61', 'All Along The Watchtower', 'Like A Rolling Stone', 'Gonna Change My Way Of Thinking', …) pour les rendre presque méconnaissables. Parfaitement accompagné par son groupe, dont l'impeccable guitariste Charlie Sexton, que les jeux de lumières mettent particulièrement en avant, Bob Dylan réinterprète, en effet, son répertoire à la sauce Garage. A l'image d'un John Spencer revisitant de manière totalement déglinguée le Rockabilly et le Rock Sixties, avec son projet judicieusement nommé Heavy Trash. Ou du travail de sape qu'effectue Jack White sur la grande musique populaire américaine.

Crime de lèse-majesté pour bon nombre de spectateurs qui, déçus, quitteront la salle et, en bons réactionnaires, retourneront à leurs vieux vinyles en criant: « Bob Dylan, c'était mieux avant ». L'ayant enfermé dans une image d'Epinal, ils oublient, dans leur cécité idolâtre, l'essence même du personnage.

Ils ne veulent pas  voir que Bob est un Judas. Insulte qui lui a été lancée en 1965, au festival de Newport, quand il a osé blasphémer en électrifiant sa Folk Music. Ils nient le fait que le poète, car Dylan est principalement un poète, ne souhaite pas qu'on le vénère. Qu'on voit en lui un messie. Un prophète. Un chantre du Flower Power et du Peace And Love. Le chanteur est avant tout un contestataire. Et il le rappelle brillamment.

Au lieu d'endosser la panoplie du barde Folk plein de sagesse, il préfère se comporter comme un vieux Punk de 70 ans qui emmerde tout le monde. Et refuse d'offrir un spectacle consensuel, d'utiliser sa légende comme un fond de commerce, de jouer au démago, de faire frapper le public dans les mains toutes les cinq minutes... Bref, de faire son Paul McCartney.

Le Bob Dylan des années 60 est mort. Ce que certains, dans un réflexe oedipien, refusant de voir le père mourir, ne réussissent pas à admettre. Mais le cadavre frappe fort. Sa prestation est savoureuse, pleine de hargne, de rage et de morgue. Malgré son mutisme, on sent le bonhomme très heureux d'être là. Il ne cesse de sourire à ses musiciens. D'un sourire, bien évidemment, en forme de couteau sanguinolant. De prendre ironiquement la pose derrière son micro. Et, même, d'esquisser quelques pas de danse.

La force de Dylan est de ne faire aucun cas des admirateurs qui, pendant un demi-siècle, se sont jetés à ses pieds. « Si tu n'es pas occupé à naitre, tu es occupé à mourir » a-t-il déclaré. Ainsi, il se réinvente. Détruit sa propre image. Ne veut pas être une icône respectable. Incompréhensible, voire révoltant, pour une frange du public. Courageux et fascinant pour les autres.

Dylan est et restera un mystère. Un artiste à la fois chéri et détesté. Ne véhiculant jamais l'indifférence. Même après 50 ans de carrière. Qui peut en dire autant aujourd'hui ?

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