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C.W Stoneking + Timber Timbre au Grand Mix

Festival de Blues itinérant, Les Nuits De L'Alligator font escale au Grand Mix de Tourcoing avec, à l'affiche, l'australien C.W. Stoneking et les canadiens de Timber Timbre. Des artistes abordant de manière radicalement différente cette musique née dans le delta du Mississipi et qu'on appelle la musique du Diable. Car la vocation de ce festival, qui fête sa sixième année, n'est pas de ne programmer que des bluesmen s'inscrivant dans la grande tradition du genre mais, plutôt, de montrer, à travers des approches artistiques différentes, comment le Blues peut irriguer de multiples courants musicaux. Se croisent ainsi, un peu partout en France, des univers aussi variés que le rock garage de Monotonix, le folk de Herman Düne et de Laura Veirs ou la pop conceptuelle de The Clues.

C.W. Stoneking est le premier, ce soir-là, à invoquer l'esprit du Blues. Cheveux gominés, costume blanc et noeud papillon, l'australien détonne. Il semble appartenir à une époque lointaine. Effet renforcé par le son nasillard de sa voix, semblant sortir d'un vieux gramophone. Une voix d'un autre temps pour une musique, elle-même, délicieusement rétro. C.W. Stoneking ne cherche pas à moderniser le Blues ou à le réinventer. Au contraire, il a choisi de ne jouer que du Prewar Blues, celui des années 30. L'histoire ne dit pas s'il a vendu son âme à Satan, ou si les esprits aborigènes lui ont été d'une quelconque aide, mais l'effet est saisissant. Pour un peu, on entendrait presque les craquements d'un 78 tours poussiéreux agrémenter ses compositions.

Jouant de la guitare et du banjo, accompagné d'un trompettiste, d'un joueur de trombone, d'un contrebassiste (également joueur de tuba) et d'un batteur, l'australien fait revivre la musique des bastringues de la Nouvelle-Orléans d'avant-guerre. Un blues mâtiné de Jazz, de Calypso voire même d'influences africaines qu'il qualifie de Jungle Blues (nom donné à son second album). Une musique qui ne souffre nullement d'arthrose et qui exhale une étonnante fraîcheur à nos oreilles peu habituées à ce genre de sonorités. Particulièrement lorsque le chanteur reprend un standard de Jimmy Rodgers, célèbre musicien des années 20-30 ayant laissé une empreinte considérable dans l'histoire du Blues américain par son chant particulier employant la technique du Yodeling.

La musique de Timber Timbre, elle, ne s'inscrit dans aucune période précise. Elle se distingue même par une certaine intemporalité. Et demande également un effort d'immersion. Le groupe, pour ne pas voir sa prestation parasitée, interdira les photographies et demandera la fermeture du bar afin d'éviter les allers et venues intempestifs. Dommage pour les péquins irrespectueux des artistes et des spectateurs voisins aimant à polluer de leurs commentaires et de leur attitude bruyante les concerts auxquels ils assistent. Tant mieux pour les autres.

Le concert est envisagé comme un cérémonial. Quelques projecteurs diffusent une lumière rouge et tamisée dans le fond de la scène. Les musiciens sont, eux, pratiquement plongés dans l'obscurité. Ils ne sont que des ombres. Une manière de dire que ce qui compte, ce n'est pas eux. Mais la musique. Et l'atmosphère qui s'en dégage. Une ambiance automnale. Où on sent une fin qui est proche. Le violon de Mika Posen a des accents funèbres, macabres. Les guitares étouffées de Simon Trottier et de Taylor Kirk se superposent sensuellement, s'enlacent comme des serpents s'accouplant. Dans cette pénombre, la voix particulière de Taylor semble sortir d'outre-tombe. On est très proches de certaines compositions de Tom Waits ou de Nick Cave.

Le chanteur et compositeur de Timber Timbre a fréquenté une école de cinéma. Ses chansons revêtent ainsi un aspect visuel fort. « Magic Arrow » renvoie à l'esthétisme du western, à des décors de cimetières indiens filmés en noir et blanc. Sur « Lay Down In The Tall Grass », l'humeur se fait plus Lynchienne. Viennent en tête les images d'introduction du film Blue Velvet où l'on voit, dans une pelouse d'un vert immaculé, des fourmis s'affairer autour d'une oreille humaine tranchée. La musique du groupe, d'ailleurs, entretient de nombreuses similitudes avec le cinéma de David Lynch. On y est entre rêve et cauchemar. Les repères n'existent plus. La chaleur glace le sang. Les ténèbres aveuglent. Le silence est un cri. Cette étrangeté en rebutera certains. Des spectateurs quitteront la salle. D'autres, acceptant de s'abandonner totalement, vivront ce concert comme une expérience mystique. La présence du diable, peut-être ?

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