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Christian Scott Atunde Adjuah + La Palma à l’Aéronef

Quelques semaines après l’inoubliable concert de Hugh Coltman, L’Aéronef s’est de nouveau parée de ses plus beaux atours pour se métamorphoser en très classieux club de Jazz. Et ainsi offrir de parfaites conditions d’écoute à un public de mélomanes qui n’avaient peut-être pas encore franchi le seuil de cette salle incontournable de la métropole lilloise. Une volonté de décloisonnement, d’ouverture vers d’autres esthétiques que l’on ne peut que saluer. Surtout quand elle s’accompagne d’une programmation de haute volée avec la venue, dans les mois qui viennent, de pointures telles que Snarky Puppy et Thomas De Pourquery ou d’étoiles montantes comme GoGo Penguin ou Cécile McLorin.

Natif de La Nouvelle-Orléans, le trompettiste Christian Scott fait partie de cette nouvelle génération de Jazzmen. Même si lui préfère parler de Stretch Music. Un style qui lui est propre où il développe une astucieuse fusion musicale qui puise aux sources de divers genres, hip-hop, le funk-rock et même parfois la musique électronique, sans se revendiquer de l’un d’entre eux en particulier. Un jazz très ouvert donc.

En première partie, l’histoire d’un retour. Celle de La Palma, après cinq ans de silence. Autrefois trio, la formation lilloise se présente aujourd’hui sous une configuration peu banale : celle du duo piano-batterie. Capable de dégager une énergie furieuse comme de laisser s’exprimer une sensibilité d’une infinie délicatesse, le set de Matthieu Harlaut (au piano) et Éric Navet (à la batterie) se révèle incroyablement fascinant. En l’absence de basse, les deux musiciens réussissent en effet à créer un espace sonore complet. Où le vocabulaire pianistique de l’un, ses harmonies et son sens du phrasé, emmènent l’autre dans d’incroyables envolées percussives d’une rare finesse. Une musique fusionnelle, guidée par un lien que l’on qualifierait presque de télépathique, qui illustre parfaitement ce que le Jazz nomme l’interplay : le jouer ensemble.

Faisant se dialoguer atmosphères mélancoliques et ambiances trépidantes, dans un mélange de force et de pureté, la musique de La Palma, avec ses morceaux aux titres souvent hispanisants, donne à voir et à ressentir. Sans cesse en mouvement, elle chemine dans des paysages aux coloris et aux reliefs changeants. Une musique suggestive qui se vit comme un road-trip. Tout simplement envoûtant.

Quand Christian Scott arrive sur scène avec son imposante carrure de basketteur, son sweat capuche, sa chaîne en or et sa dégaine de rappeur mal embouché, il ne fait aucun doute que le Jazz est désormais à mille lieux des clichés qui peuvent encore, malheureusement, lui coller à la peau : ceux d'une musique poussiéreuse, académique, élitiste, intello, austère ou bourgeoise... Une impression renforcée par la présence d'un gang de très jeunes musiciens (moins de 30 ans au compteur) que l'on croirait échappés d'une incarnation actuelle du Sly And The Family Stone et qui méritent d'être tous cités : Elena Pinderhugues à la flûte, Lawrence Fields au piano, Max Mucha à la basse , Logan Richardson à l'alto sax et Cory Fonville à la batterie.

Le départ est fougueux, sans round d'observation, et le son immédiatement puissant et électrique. La set-list, elle, est imprévisible : Christian Scott fait en effet le choix de ne jouer en majorité que des titres inconnus du public. Des morceaux qui figureront sur ses trois prochains albums (oui, oui, trois !) dont la sortie est prévue en 2017, à l'occasion du centenaire du premier enregistrement de Jazz. Une belle manière de rompre les attentes et d'effacer les repères. Cette plongée dans l'inconnu est tout simplement étourdissante.

Au fil des morceaux se dessine une musique qui cultive le paradoxe. A la fois accessible et exigeante ; délirante et éclairée ; fine et subtile un instant, agressive à un autre. On bouscule les conventions. On transgresse les règles. Pourtant, l'ascendance de Miles Davis ou de Dizzy Gillepsie n'étant jamais très loin, le passé n'est jamais renié : on s'efforce de le réinventer et de le faire évoluer. Devant ce magma incandescent de créativité, le spectateur en vient à perdre son vocabulaire. A ne plus avoir les idées claires.

Une chose reste néanmoins certaine : l'excellence des musiciens qui, s'ils sont pour la plupart issus des plus prestigieuses écoles de Jazz américaines, ne tombent jamais dans le travers de la virtuosité gratuite, de la « musique pour musiciens ». L'excitation de jouer est palpable. On tente, on improvise, on expérimente, mais jamais au détriment du groove ou de la mélodie. Impossible de ne pas écarquiller les tympans devant ce jeu de flûte qui réussit à superposer de superbes envolées sur des rythmiques extrêmement complexes. Impossible de ne pas être soufflé par les mesures improbables soutenus par le batteur et son jeu multidirectionnel. Impossible de ne pas plier le genou devant les attaques hallucinées et hallucinogènes de l'alto sax. Ces chercheurs en afro-physique développent un langage extra-terrestre tout en réussissant, par on ne sait quel miracle, à se faire comprendre des profanes. Offrant ainsi à Christian Scott un matériau imprévisible et cohérent sur lequel sa trompette peut s'épanouir selon un beau nuancier de couleurs. Proche de ses musiciens, à qui il ne tire jamais la couverture, leur laissant une incroyable liberté, le maestro, très loquace, n'hésitera pas, pendant plus d'un quart d'heure, à les présenter un par un, à vanter leurs qualités particulières et à raconter moult anecdotes très amusantes. Comme sur la manière dont Corey Fonville, alors encore adolescent et bien trop jeune pour partir en tournée, ne cessait de le harceler quotidiennement, lui ou sa grand-mère, au téléphone pour être accepté dans son groupe.

Au final, de la belle musique, vraie, exigeante, surprenante, intense et portée par de très grands musiciens. Ce vieux monsieur qu'est le Jazz a beau avoir presque 100 ans dans les pattes, il reste bien vigoureux.

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