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Dälek + Moodie Black au De Kreun

Rien ne pousse dans le désert. Ou presque. Ne s'y épanouissent que des organismes trouvant la force de s'adapter. Sachant modifier leur métabolisme pour pouvoir survivre à ce milieu stérile. Telle une xérophyte, Moodie Black s'est ainsi extrait de l'aridité de son Arizona natal. Une bien drôle de plante. Hybride et mutante. Élaborant un mélange monstrueux et déviant de Stoner, de Hardcore, de musique industrielle et de Hip Hop.

Signé sur l'excellent label Fake Four Inc, étroitement lié au Hip Hop expérimental indie (Sole, Astronautalis, Busdriver, Sadistik, Bleubird...), le trio offre au public du De Kreun un voyage certes peu touristique mais mémorable vers un gouffre sonique d'une noirceur fascinante. Mitraillant sans ménagement ses morceaux, enchaînés et fondus les uns aux autres dans un implacable maelström d'intensité et de terreur sourde. Une musique à l'image de l'environnement dont elle s'est extirpée. Sèche, rocailleuse, hostile. Brûlée par une pesante canicule mais se nourrissant principalement de la froideur des nuits désertiques. Les compositions du groupe sont portées par un jeu de batterie minimaliste, martial et des nappes de guitare toute en lourdeur et en épaisseur. Au milieu de ce fracas, Chris Martinez dont le flow possédé et venimeux semble prêcher une apocalypse imminente, crache chacun de ses mots. Encapuchonné et se démenant comme un diable, il est de tous les regards et écrase la foule de ses maléfiques incantations balancées avec les tripes à l'air. Une performance radicale et sous haute tension.

Dälek est probablement la seule formation à avoir joué aux trois endroits que le De Kreun a pu occuper dans Courtrai. Ayant également été tête d'affiche pour une des premières éditions du Sonic City Festival organisé en son sein chaque année, il n'est donc pas étonnant de voir ce groupe faire son retour dans cette salle après une absence scénique et discographique de 8 ans.

Le producteur et beatmaker Oktopus ayant choisi de s'envoler vers de nouvelles aventures sous les cieux berlinois, c'est avec un nouveau line-up, composé de DJ rEk (en fait le DJ originel du groupe) aux platines et de Mike Swarmbots aux samples et aux effets, que le lyriciste MC Dälek a décidé de repartir au combat. Et tel le Phénix contrôlant de mieux en mieux le feu à chaque résurrection, son projet atypique ne trahit aucun signe de faiblesse.

Continuant de naviguer sur les extrêmes et de refuser tout formatage artistique, la musique de Dälek demeure insaisissable. Tout à la fois Hip Hop, par la configuration scénique, Noise, par la dureté de la démarche, et Doom, par l'impressionnante lourdeur qu'impose la prestation. D'ailleurs, dans la salle, on remarque des fans de ces différentes castes musicales, pourtant habituellement très refermées sur elles-mêmes.

Assister à un concert de Dälek reste, malgré les années passées, une expérience fascinante. Un instant borderline. Un plaisir presque masochiste. Fait de bruit blanc et de fureur, de sonorités poisseuses et malsaines, de boucles agressives et de stridences lancinantes. Une décharge de décibels faisant ressentir physiquement, comme autant de coups pris en plein ventre, le moindre beat, le moindre break, la moindre distorsion... Où la violence musicale le dispute au sinistre verbal. Plus proche de la déclamation que des scandements habituels du Hip hop, l'oralité anguleuse de Dälek se fraie un chemin dans des déflagrations bruitistes. Se pare d'une colère sèche et rentrée qui fait claquer rageusement les mots pour leur donner un pouvoir hypnotique et percussif.

L'énergie qui se dégage du set renvoie à des groupes fondateurs: Public Enemy, Nine Inch Nails, My Bloody Valentine... Tous porteurs d'une vision personnelle de leur art. Ne s'interdisant aucun domaine, assumant pleinement ses contrastes, Dälek convoque en live, par un tour de force magistral, tout le danger que peut engendrer la musique. Impose une atmosphère à la fois étouffante et envoutante, presque planante, qui excite les sens. Susceptible de plonger une personne atteinte de synesthésie, percevant des couleurs en réponse à des sons, dans des tableaux aux couleurs sombres, aux formes brumeuses et terrifiantes mais d'où se dégagerait une certaine beauté. Celle du chaos.

« Il y a des gens qui peignent l'infini en bleu, d'autres en noir » écrivait Flaubert. Il ne fait aucun doute que Dälek est devenu maître en la matière.

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