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GoGo Penguin + Thomas Grimmonprez Trio à l’Aéronef de Lille

Grande soirée, très grande soirée, la musique au sommet, le grand Art, Tout. On sent d'excellentes vibrations dès l'arrivée dans la salle, il y a du monde dès 20 heures et le grand Aéro est ouvert pour GoGo Penguin, ce trio hallucinogène de Manchester. Relayés par le monde des platines, chouchou de Gilles Peterson, remixés par les gens de la scène électro, samplés par les Casseurs Flowters (Si.), on a bien compris que les Pingouins ont largement dépassé le cercle des amateurs de jazz. Tout est plaisir en arrivant, découvrir ce monde, la belle exposition photo en place en attendant celle des photographes de Lille La Nuit... Sur les murs, David Bowie et Paul McCartney se font presque face sous l’œil de Kurt Cobain.

A l'arrivée du Thomas Grimmonprez Trio, le public avance nettement et c'est toujours bon signe. Thomas ouvre son poignet gauche d'un geste d'une souplesse et d'une dextérité qui respire le travail, l'aisance technique, la fluidité des grands batteurs de jazz. C'est immédiatement très musical et on reconnaît les titres du dernier album qui tournait ici en boucle en alternance avec celui des Penguin, KaléidoscopeGrand disque, il faut le chercher et il faut le trouver. On se répète, c'est clair, mais à les écouter jouer, on se demande encore ce qui vaut au jazz cette réputation de musique cérébrale c'est au contraire ici lumineux, groovy, étincelant. Jérémie Ternois joue du Fender Rhodes et du piano, le toucher à la contrebasse de Christophe Hache est superbe. Morning running  est là pour nous rappeler que le dynamisme et la tension sont constamment au cœur du jeu, que les relances sont magnifiques. Thomas a de l'humour, c'était classe, court, percutant. On a même évité les longs solos démonstratifs. Belle ovation pour conclure.

C'est l'effervescence absolue quand Le trio mancunien déboule sur scène, très sobrement. C'est Nick Blacka, le contrebassiste, qui va poser le climat sous les très belles lumières de l'Aéro. On sort l'archet et on installe le son, une dynamique folle entre les trois hommes, pas de solos, pas vraiment de chorus, un jeu à trois plutôt qu'en trio au sens classique du terme, on ne se quitte pas d'un rivage musical et on arrive même à prendre des appuis rythmiques forts, ensemble, au beau milieu d'une longue plage musicale. C'est superbe à voir, cette façon de ne pas se quitter, d'être aussi denses, unis, de frôler l'énergie des Who (si.) comme la subtilité d'une vraie poésie. On entend beaucoup d'influences qui ne viennent pas du jazz et on se rappelle qu'à eux trois, après leur premier album, ils citaient Aphex Twin, Mu-Ziq, Four Tet, Ustad Alla Rakha et Zakir Hussain, Acoustic Ladyland, Radiohead, Polar Bear Portishead et  Lamb. Scuba and Burial. Björk comme influences. Pas un jazzman. Rien que ça.

Il y a de la grâce et de la gravité, de l'alchimie et de la fusion, le feu et la grâce tout de suite. On scande et on répète et on libère enfin le mélodique. On se rejoint ensuite et le morceau décolle. Tous les points de tension de la musique viennent s'échapper et se libérer dans de très beaux espaces et des respirations savantes, complètement dessinées par le trio. On n’étouffe jamais. Chris Illingworth vient tout aérer au piano, presque sagement, Rob Turner est un batteur hors norme, vraiment. On peine à décrire l'incroyable foisonnement de son jeu, son utilisation complète des ressources de la batterie, c'est stupéfiant.

L'accueil est d'un enthousiasme fou. Nick Blacka fait tout ce qu'il peut pour parler français et quand on le voit, on se rappelle la beauté des mains qui courent pendant un long chorus sur une contrebasse. Leur son d'ensemble est inimitable, et leur inouïe virtuosité se fait totalement oublier. C'est déconcertant, pour notre plaisir le plus subtil, pas une once de pose, de frime, music first. On pose des motifs mélodiques, qu'on fait mine d'oublier et qu'on reprend dans une pulsation énorme qui nous rappelle qu'ils parlent d'eux mêmes de musique électronique déconstruite.

Le groove de Manchester est là et nul doute qu'on leur aurait souhaité bienvenue à l'Haçienda, le club mythique de Tony Wilson. Les structures rythmiques sont très complexes et parfaitement gérées. La fusion est présente dans le public aussi, ni tout à fait le public habituel du jazz ni celui du rock, beaucoup de musiciens. L'ombre de Keith Jarrett vient planer de temps en temps. La basse chante et gronde, terrienne comme chez Charles Mingus, on a l'impression que la scène va avancer d'un mètre ou deux tant on nous marche dessus, c'est  une secousse sismique permanente. Avouons tout, c'est un trip génial, on décolle, on est ailleurs. Comme on l'entendra au merchandising pris d'assaut malgré des prix peu attractifs, dans la bouche d'un jeune gars de vingt ans maximum qui faisait signer son étui de portable par le trio très disponible, C'était le feu, grave cool. Un concert authentiquement phénoménal. 

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