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Jamie Cullum + Sophie Maurin à l’Aéronef

Drôle de petit bonhomme que ce Jamie Cullum.

 

Sur lequel on pourrait facilement se méprendre. Ou faire bien peu de cas. Car avec sa petite gueule d'ange, aux cheveux savamment ébouriffés, ses faux airs de Pete Doherty, sans les chicots et les fripes, et un côté séducteur qui plait autant aux jeunes filles en fleur qu'aux MILF, le chanteur a tout de l'image irritante du gendre idéal. 

De plus, en faisant naviguer ses mélodies aux confluents du Jazz et de la Pop, le pianiste semble prédisposé à rejoindre la longue liste de marins d'eau douce évoluant dans les flots tièdes et sirupeux d'un Jazz vocal consensuel. Pourtant, même s'il n'évite pas toujours les clichés, l'anglais se situe bien au-dessus du lot des musiciens de Jazz blanc pour lounge de fin de soirée.

Loin d'avoir le cul entre deux tabourets, Jamie Cullum est un équilibriste. Marchant sur le mince fil qui sépare la musique populaire, au sens noble du terme, de la variété la plus basique. Érudites, connaissant leurs classiques sur le bout des touches, ses compositions, secouées d'une saine énergie et traversées de refrains craquants, sont de celles que l'on écoute comme on savoure un milk-shake en été, pour le plaisir gourmand d'un geste tout con, la fraîcheur, le fruité, le sucré, le fondant. Et comment ne pas trouver hautement sympathique un artiste qui, dans ses interviews, cite pêle-mêle Frank Sinatra, Bill Evans, Tribe Called Quest ou encore Madlib?

C'est avec une facilité déconcertante que Sophie Maurin, ouvrant pour le britannique, s'assurera également la sympathie du public. Ses compositions élégantes, sa voix sensuelle font mouche. Puisant autant dans le classique, le Ragtime que dans le music-hall, celle qui fut architecte dans une autre vie a su se construire un univers alerte, raffiné et faussement naïf. En osmose avec des textes gorgés d'humour et de poésie où planent les mots de Boris Vian et de Jacques Prévert, dont elle reprend le poème Cortège. Ancienne élève du conservatoire, Sophie Maurin a le talent d'éviter l'écueil de la rigidité. Accompagnée par le percussionniste-clarinettiste Pablo Pico et le violoncelliste Sébastien Grandbambe, elle ponctue en effet sa musique de moult petits détails facétieux (kalimba, percussions, claquements de ciseaux...). Encensée par la critique lors de la sortie de son premier album, coup de coeur de l'Académie Charles-Cros et lauréate du FAIR, c'est sous un tonnerre d'applaudissements qu'elle quitte la scène. Nul doute, que pour elle, un bel avenir se profile.

Boum. Badaboum. Du haut de ses 1m65, le petit lutin malicieux débarque en sautillant sur les planches de l'Aéronef. Baguettes à la main, il se déchaîne sur  une caisse claire. Le très percussif 'The Same Things', morceau d'ouverture du dernier album, Momentum, lance le concert. Instantanément, un sentiment indicible de bien-être parcourt la salle. Quelques mesures, quelques roulements de tambour suffisent pour que l'anglais se mette le public, venu en masse, dans la poche. Impressionnant. Du charisme à l'état pur.

Très vite, il laisse tomber la veste de costard pour monter sur son piano et sauter dans tous les sens. Son énergie scénique lui a valu, Outre-Manche, le surnom de « Frank Sinatra en baskets » . Joli sobriquet. Néanmoins quelque peu réducteur. La filiation avec les grands crooners de l'après-guerre est évidente, la petite teigne d'Hoboken en tête mais aussi Dean Martin, Tony Bennet  ou encore Nat King Cole. Même goût pour les ballades suaves, même attitude charmeuse. Mais Jamie Cullum a l'intelligence de renouveler le style. Il n'est pas dans l'imitation, à la manière un peu pataude d'un Harry Connick Jr.

Si quelques morceaux joués ce soir ('Everything You Did'nt Do', 'You're Not The Only One'...) jouent un peu trop sur la corde sensible et ne dénoteraient pas sur la bande originale d'une énième mièvrerie avec Hugh Grant, l'anglais n'a pas peur de s'éloigner des sentiers battus. Cultivé, mélomane, piochant ses influences dans divers registres musicaux (Jazz, Swing, Pop, Funk, Soul, Electro...), Jamie Cullum, qui plus jeune avait l'habitude d'officier en tant que DJ, prend plaisir à étonner son public en opérant de surprenants mélanges. Comme avec cette magistrale reprise du standard de Cole Porter, 'Love For Sale', chanson écrite en 1930, qu'il emmène très haut vers les cimes d'un Trip-Hop hallucinant que ne renierait pas le groupe Massive Attack.

Explosif, impulsif, légèrement déjanté, le trublion fait le show. N'hésitant pas à descendre dans le public. Une attitude Rock N'Roll diront certains. Ce serait oublier qu'à la grande époque du Swing, des Jazzmen tels que Lionel Hampton ou Sidney Bechet, pour enflammer leurs spectateurs, agissaient de même. Fin musicologue, sa musique est un pont entre différentes décennies, entre différents courants. Ainsi, quand l'artiste se lance dans une démonstration de Beatboxing au détour d'une chanson, c'est autant pour se référer au Hip Hop actuel qu'au Scat des années 30 et 40 où des chanteurs comme Louis Armstrong ou Cab Calloway s'illustraient par leurs improvisations vocales où des onomatopées remplaçaient les mots.

Véritable amoureux des musiques populaires, Jamie Cullum s'amuse comme un gamin surdoué. Brillant pianiste, il maltraite son instrument, grimpe dessus, le détourne en utilisant le couvercle comme une simple percussion, ou les cordes comme s'il s'agissait d'une basse. Il y a du génie dans son jeu. Mais aucune prétention, aucune volonté d'épater. Cette virtuosité, toujours au service de la musique, de la mélodie, du groove, n'est jamais gratuite, ne vire jamais à la démonstration purement technique. D'ailleurs, refusant de tirer la couverture à lui tout seul, l'artiste se fait rejoindre, le temps d'un duo (le fantasque 'Far Away') par Sophie Maurin, et cède de nombreuses fois la place à son impeccable quatuor de multi-instrumentistes, qui le temps de plusieurs solos deviendront à leur tour les vedettes du show. De même qu'à un gamin de 14 ans dont c'est l'anniversaire, repéré dans le public par le chanteur, invité à jouer du piano et qui bluffera son monde avec un solo de Jazz incroyable.

Générosité, spontanéité, plaisir seront les maîtres mots d'un concert réellement exceptionnel de plus de deux heures. Qui se terminera, de la plus belle des manières, en piano-voix avec le morceau 'Gran Torino', émouvant générique final du sublime film du même nom. Un moment magique pour les fans du grand Clint Eastwood. 

Pour définir un certain type de cinéma, celui qui par sa fraîcheur, son humanité, son humour, sa tendresse réchauffe les coeurs et rend béatement heureux, les critiques américains ont inventé une expression: les feel-good movies. Une formule qui peut être appliquée à Jamie Cullum. Car avec lui, il ne s'agit pas de Jazz ou de Pop. Juste de feel-good music. Comme pouvaient en témoigner les innombrables sourires croisés à la fin de cette très belle soirée.

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