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Jeff Beck world tour à l’Ancienne Belgique, Bruxelles

Quand on ne peut pas se promener à Lille La Nuit, il nous arrive d’être à Bruxelles, le soir. Quand je n’ai pas brisé les règles au moins dix fois par morceau, je n’ai pas l’impression d’avoir fait mon travail, du Jeff Beck dans le texte. Quand on sait que l’homme a été marié… six fois, on peut lui faire confiance.

Quand il débarque sur la scène, épurée et nue, comme s’il s’agissait de ne pas entrer dans la moindre considération extra musicale, on sait que l’on va se faire bouger et que le temps de coller une étiquette sur la musique que produit El Becko, il faudra en imprimer une autre en urgence. C’est à cette démonstration de l’incroyable mobilité de l’univers musical de Jeff Beck à laquelle on assiste médusé.

L’homme ne tient pas en place, on sait qu’il est strictement incapable de jouer dans un groupe constitué depuis plus de 40 ans et que toutes les expériences menées dans ce sens après le bien nommé Jeff Beck Group ont été calamiteuses : abandon du groupe de Rod Stewart en pleine tournée et un disque outrageusement raté (Flash) pour une fois qu’il avait décidé de faire des concessions.

C’est un loner absolu, un solitaire, vêtu comme d’habitude d’étonnants pantalons galonnés rentrés dans ces boots et de bracelets scintillants sur gilet sans manches. Beck. On se perdrait vite en conjectures et en redites quant au jeu de guitare de ce rule breaker : effectivement, absolument rien n’est ordinaire, classique, attendu. Beck ne joue pas de la guitare, il utilise la guitare pour développer son discours musical, comme tous les musiciens qui transcendent leur instrument : ça devient véritablement un simple prolongement de son expressivité, un medium, comme il l’a dit on ne peut plus clairement sur l’album sobrement intitulé Jeff : What the voice don’t say, the guitar will play ! CQFD. On ne peut pas dire que les rares interventions vocales de cette soirée à l’Ancienne Belgique convainquent de leur utilité, Beck n’a quasiment pas de voix et va chercher un micro sur le côté quand il en a besoin. Rhonda Smith, ex bassiste de Prince, très sensuelle, chante juste et bien mais on a du mal à comprendre dans quelle mesure ça sert à quoi que ce soit.

L’Ancienne Belgique chauffe sérieusement et le sol se charge d’humidité comme l’air. Beck déroule son jeu furieux et maîtrisé, tire sur les cordes, joue le sustain, pédale à toute allure sur une gamme calée au millimètre sur le temps avec les passages, admettons-le, un peu ardus liés au caractère strictement instrumental de l’ensemble et à la dimension très électrique du set. On est chez Jeff Beck en premier mais en plein territoire fusion, autrefois appelée honteusement Jazz-Rock au moment où il sortait consécutivement deux des pierres angulaires de sa discographie : Blow by Blow et surtout Wired. L’Ancienne Belgique, finalement bondée sans même un nouveau disque en soutien, transpire et encaisse.

Les musiciens sont prodigieux, Rhonda Smith est beaucoup plus qu’une bassiste, on dira plutôt qu’elle est chargée par Jeff Beck de la gestion des fréquences graves, elle joue de tout et creuse le son en profondeur. On ne juge pas ici d’un niveau technique, ce n’est pas un concours de performances et on sait à quel point les shredders ont fait des dégâts à force de concours de vélocité complètement creux mais quand même, tout le monde plane à des hauteurs hallucinantes. On surprend des petits sourires entendus après tel ou tel passage, parfois peu perméables au public, avouons le.

Beck puise tranquillement dans son immense discographie et se sert de ce groupe là pour modifier un peu la donne : ce n’est plus tout à fait le même répertoire qu’avec le groupe précédent. D’instinct, il remodèle la set list pour l’adapter au nouveau groupe : on retrouve des titres de Jeff Beck’s guitar Shop, de Jeff, de Wired. Certains n’ont pas été joués depuis longtemps, certains sont immuables, ses célèbres adaptations de Little Wing et du Day in the life des Beatles, stupéfiantes. Les faux Rod Stewart, plutôt mal clonés, rugissent d’aise dans la fosse.

Ça envoie du très lourd, quasiment sans intermède, on n’est pas là pour parler, ce qui n’empêche pas Jeff Beck de sourire beaucoup et de manifester une complicité réelle avec son groupe. On ne serait pas excessivement surpris de le savoir beaucoup plus souriant guitare à la main que dans la vie, on sent que c’est son espace, son langage, qu’à 70 ans dans quelques jours, il n’a aucune envie de se répéter. Quand on lui demande pourquoi il ne produit pas d’album en ce moment, il répond très laconiquement qu’il ne publie jamais rien quand il n’a rien de nouveau à dire. Sic.

Ce qui frappe au final, c’est l’incroyable expressivité du jeu de Beck. Il s’est adjoint, pour une rare fois depuis Jennifer Batten, un guitariste, Nicolas Meier qui tient un rôle extrêmement particulier. Il n’est pas du tout dans une posture rythmique classique, il est relié à des tas d’effets, de machines diverses et il joue rarement de la guitare au sens ou on l’entend classiquement. Il sonne comme un guitariste de jazz et fait beaucoup penser à Pat Metheny dans son jeu, nourri d’influences assez peu classiquement rock. Quant à Jonathan Joseph, il montre lui aussi une culture musicale phénoménale dans son jeu, du Jazz aux musiques latines en passant par tous les plans classiques du rock, du blues, etc.

A l’issue du concert, on a eu le sentiment que ces gens là se servent dans l’immense réservoir de leurs possibilités techniques et usent du meilleur ingrédient pour construire le morceau avec Beck et son jeu si spécial, tout au pouce, la guitare quasiment portée par son côté droit. Depuis le temps qu’on dit que Jeff Beck est unique, on se dit en sortant qu’on ne peut qu’ajouter ceci à cette constatation : Jeff Beck est surtout seul dans ces contrées qu’il a choisi de défricher au milieu des années 70. C’était énorme, étourdissant, un peu épuisant. Bref, on a vu Jeff Beck en concert. L'homme qui ne joue pas de guitare, l'homme qui chante avec. On sort secoués et émus, Emotion and Commotion.

 

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