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Katerine + Da Brasilians à l’Aéronef

Katerine se fout-il de notre gueule? C'est ce que certains semblent penser. Déjà agacés par le précédent album de l'artiste, Robots Après Tout, et le succès des titres « Louxor, J'Adore » ou « 100% VIP » programmés depuis lors dans toutes les soirées campings ou bals populaires de l'Hexagone comme dans les soirées branchouilles, le dernier essai du trublion, sobrement intitulé Philippe Katerine, a, pour eux, en effet, tout de la mauvaise blague. Une pochette volontairement laide, à l'imagerie très Deschiens, qui le montre poser avec une tête de Droopy ahuri en compagnie de ses parents, des morceaux courts d'une grande simplicité et des textes régressifs, où il se contente, par exemple, de réciter l'alphabet à l'endroit et à l'envers (« Les Derniers Seront Toujours Les Premiers ») ou d'énumérer les accords qui composent la mélodie (« La Musique »). Une vaste fumisterie, une pitoyable farce disent-ils. Dommage pour ses détracteurs, Katerine farce et attrape. L'Aéronef est plein à craquer ce samedi soir. On en voit même arriver déguisés pour l'occasion.

Malheureusement, pas de quoi rire avec Da Brasilians qui jouent en première partie et s'avèrent être un mauvais choix de programmation. Devant un parterre rigolard, le groupe, originaire de Saint-Lô, tente de faire revivre l'esprit du Folk américain de la fin des sixties, du début des seventies (Mamas And The Papas, Buffalo Springfield, Crosby, Still, Nash & Young). Les intentions sont louables. Mais les mélodies, banales, ne soutiennent pas la comparaison avec celles de leurs glorieux ainés et les harmonies vocales manquent cruellement d'élégance et de joliesse, ce qui est un énorme problème lorsque l'on s'attaque à cet héritage musical. Il ne suffit pas de le vouloir pour devenir les Fleet Foxes ou les Local Natives français. Seule une reprise d'un vieux tube Folk avec Katerine apportera un semblant d'intérêt à la prestation.

Alors que ses musiciens ont fait leur entrée sur scène, c'est derrière un écran blanc se relevant lentement au fond de l'estrade que Philippe Katerine fait son apparition, vêtu d'un sweat bleu flashy sur lequel est inscrit un gros BOOM et entouré de deux danseuses au look sportif coloré et vintage, répétant sans cesse les uniques paroles de la première chanson de son dernier album « Je M'Eloigne D'Autant Que Je Me Rapproche ». Incantation symbolisant parfaitement le côté insaisissable du personnage: chanteur, performer, clown, acteur, poète, humoriste, artiste subversif ou naïf? Philippe Katerine est tout cela à la fois. Et le prouvera en jouant presque intégralement et dans l'ordre (manqueront juste à l'appel, par pudeur peut-être, « Il Veut Faire Un Film » enregistré avec ses parents et « A Toi – A Toi » où figure sa fille Edie) son dernier disque, revendiquant ainsi l'aspect conceptuel (le Dark Side Of The Moon de la farce, en quelque sorte) et profondément réfléchi de ce manifeste. Le mot n'est pas trop fort. Car il s'agit réellement d'un manifeste artistique.

Tel Samuel Beckett (En Attendant Godot), dramaturge dont la langue maternelle était l'anglais mais qui écrivait en français pour réduire le langage à sa plus simple expression, Katerine fait le choix de restreindre à l'extrême son vocabulaire pour aller à l'essentiel. Car, de toute façon, tout n'est que « Bla Bla Bla ». Et puis, comment décrire les turpitudes de l'âme humaine autrement qu'en répétant « Je Vais Bien Je Vais Mal » ou déclarer son amour à sa dulcinée plus sincèrement qu'en lui disant « J'aime Tes Fesses » qui est le plus beau compliment que l'on puisse donner à une femme.

Tout acte artistique étant également un acte politique, Katerine, libéré du poids des mots, sait faire preuve de subversion. Alors que de trop nombreux artistes crient leur révolte en ouvrant des portes ouvertes avec des textes prétentieux et aussi agréables à entendre qu'un discours politique, le chanteur décrit la situation politique et économique française par un salvateur et lucide « Liberté, mon cul /Égalité, mon cul / Fraternité, mon cul! » (repris tel un hymne par le public), évoque le comportement inacceptable de certains dirigeants politiques en chantant avec un accent anglais ridicule « Je Suis La Reine D'Angleterre Et Je Vous Chie A La Raie » ou milite pour la paix en psalmodiant « Juifs / Arabes / Ensemble ». Beaucoup moins niais, avouons-le, qu'un « Heal The World ».

Cette attitude décomplexée vis-à-vis de la langue française s'accompagne d'une recherche d'épure musicale, avec des mélodies réduites à leur plus simple appareil, évitant tout superflu mais d'une redoutable efficacité et n'excluant pas la sensibilité et la beauté. Comment ne pas être ému devant la naïveté mélodique de « Vieille Chaîne », improbable chanson d'amour dédiée à une chaîne hi-fi hors d'usage. Certains détracteurs parlent de compositions enfantines. Et bien, donnons leur raison!. Katerine a écrit un album pour les enfants qui sont en nous et qui « veulent manger leur banane tout nus sur la plage ». Et c'est comme des gosses que réagit le public tout le long du concert, riant de bon coeur aux vannes absurdes de Katerine dont le jeu de scène rappelle la poésie maladroite du grand Pierre Richard, reprenant des paroles aussi débiles que « Vas-Y, Mets Ta Moustache », jetant des fruits sur scène quand le groupe entame « La Banane », gigotant en se moquant du regard du voisin... On verra d'ailleurs, sur les épaules de son père, une petite fille de 4-5 ans s'éclater comme une furie devant un tel spectacle. Comme départ dans la vie, c'est quand même mieux qu'un concert de Lorie ou un revival Chantal Goya!

Un pur moment d'hédonisme potache. Et le public, gourmand, se reprendra une bonne assiette de potache à l'occasion d'un rappel voyant Katerine et son groupe (les impeccables Gregori Czerkinsky à la batterie, Sébastien Moreau à la basse et Philippe Eveno à la guitare) reprendre des tubes plus anciens comme le jouissif « 20-04-2005 » (son brulôt sur la terrifiante Marine Le Pen), « Patati Patata », « Louxor J'Adore », « 100% VIP » ou « Excuse-Moi », prétexte pour le chanteur, à qui on a apporté une six-cordes pour l'unique fois de la soirée, d'entamer un solo enragé, la distorsion réglée au maximum, en caricaturant les gestes masturbatoires des guitaristes Métal.

Un concert autant qu'une performance qui ne convaincra pas les plus critiques. Mais à ceux-ci, on peut rétorquer, en citant Jonathan Swift, l'auteur des « Voyages de Gulliver »: « On reconnaît un génie à cela que les imbéciles se liguent contre lui ». Et toc !

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