Au sein des Bellrays, Lisa Kekaula a toujours su exciter les sens des amateurs de musique noire. Véritable bête de scène agressive, s'offrant sans jamais se donner, tour à tour lascive ou lionne rugissante, la charismatique chanteuse a constamment laissé planer une âme Soul sur les compositions furieusement Garage du gang originaire de Californie. Un groupe d'une efficacité exemplaire, particulièrement sur scène où sa réputation n'est plus à faire. L'alliage parfait de la Soul-Music de la Motown et du Proto-Punk du MC5.
Avec Lisa And The Lips, projet parallèle monté avec des musiciens espagnols et Bob Vennum, fidèle complice sur scène comme à la ville, la sauvageonne prend (enfin, diront certains) à bras le corps son statut de Soul Sister. En enregistrant un disque qui se déploie sur tous les fronts de la glorieuse musique noire américaine des années 1960 et 1970. Porté par un orchestre cuivré percutant. Où sa voix, trempée à la fois dans le miel et le whisky, se frotte à un répertoire qui passe sans complexe du Blues musclé au Funk groovy en passant par la ballade Country-Soul. Un fantasme devenu réalité. Que l'on avait hâte de découvrir en live.
Petit détour par la Suède en attendant. Avec Bror Gunnar Jannson. La révélation Blues du moment. Un drôle de mec. Un peu flippant. Et surtout inclassable. Parce lorsque l'on est Scandinave et que l'on joue la musique du Delta, on est de partout. Et de nulle part.
One-man-band (il joue de la guitare et de la batterie en même temps), Bror Gunnar Jannson chante un Blues du bas-côté. A la fois terrien et marécageux. Rural et urbain. Fidèle au Blues primitif. Tout en étant terriblement contemporain avec ses élans Post-Punk. Une musique hybride qui a la beauté des monstres. D'une élégance désuète, chemise blanche, gilet noir, feutre vissé sur la tête, le musicien ressemble d'ailleurs au Monsieur Loyal d'un Freak Show à l'ancienne. Exhibant ses chansons comme des bêtes de foire. Un Blues implosé, désossé, difforme. D'un onirisme curieusement aussi malsain que délicieux. Hanté par une voix envoutante, fiévreuse, d'inspiration vaudou. Décidément, le Diable se cache toujours où on ne l'attend pas.
Porté par le noyau dur des Bellrays, il va sans dire, malgré l'ambiance dominicale, que la revue menée par Bob et Lisa n'a rien de l'office du dimanche. Lisa And The Lips amènent le Rhythm'N'Blues vers des sommets rarement atteints. Ou du moins, depuis bien longtemps. La nature du tandem (un guitariste survolté et une chanteuse féline à la coupe afro en bataille) renvoie bien évidemment à Ike & Tina Turner. Mais ici, ce n'est pas le plus viril qui assène les coups. De sa voix ample et intense, la prédatrice distribue les uppercuts à l'estomac, fait plier les genoux et met tout le monde K.O. Éructant autant qu'elle chante, trépignant, provoquant, l'amazone monte le Funk et la Soul à cru et allume de véritables incendies grâce à son timbre exceptionnel.
Le show a des réminiscences rétro. Mais ne tombe jamais dans la parodie ni dans le pur exercice nostalgique. Bob Vennum et ses nouveaux compagnons de route s'amusent tout simplement avec les genres et les codes de la Great Black Music. Offrent un concert qui n'est qu'un irrésistible appel au corps et à la transe, célébrant le rythme et l'extase. Chaque chanson est un morceau de bravoure. Soul, Funk, Rythm'N'Blues, influences Rock (car on ne se refait pas) paraissent mélangés et chauffés à blanc, traversés d'éclairs de sensualité et parcourus par une frénésie sauvage hors du commun. Qualité des musiciens, du répertoire, exceptionnelle interaction guitares-basse-cuivres-clavier, agencement et timing des morceaux, le groupe a tout ce qu'il faut. Impossible de rester impassible devant un tel spectacle. De toute façon, de son regard noir, Lisa annihile toute volonté de résister. Harangue la foule pour que la fête soit autant dans le public que sur scène. « It's a saturday night show » ne cesse-t-elle de clamer. Pris par la fièvre, on la croit volontiers.
