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Secret Chiefs 3, Materia Prima et Joy As Toy à l’Aéronef

Secret Chiefs 3 fut fantastique.

Jeudi soir, une rencontre détendue entre les murs de l'Aéronef avec 4 membres (chant, batterie, violon et chef d'orchestre) des Secret Chiefs 3... Quelques titres sont joués, les discussions s'engagent après une présentation de chacun des musiciens. Formations, influences, historiques des différents projets, de quoi ravir les fans : saviez-vous par exemple que Mr Bungle fut aiguillé par un vieux professeur de musicologie à la fac de San Francisco, qui forma tout ce beau monde à une approche complètement empirique et spontanée du jazz ? La vie est bien faite !

La nature particulière de ce projet protéiforme est prégnante dans ces échanges, ainsi que l'immense classe de monsieur Trey Spruance : les autres musiciens s'accordent à dire que l'expérience est à la fois exigeante et magnifique, et pour cause : fondateur du mythique combo franciscain Mr Bungle, ami d'enfance de Mike Patton, Trevor Dunn, Bär McKinnon, collaborateur régulier de John Zorn (soit à peu près la crème de la crème de la musique avant-gardiste depuis 30 ans), ce multi-instrumentiste de génie sidère à chacune de ses saillies musicales. Après s'être payé le luxe d'être guitariste de Faith No More sur l'album King For A Day, Fool For A Life Time, Spruance fonde Secret Chiefs 3, et continue de multiplier les facettes de son oeuvre.

Groupe phare et obscur s'il en est, d'abord pensé comme une excroissance bungleienne sur l'album Disco Volante, le projet a depuis vu passer une bonne cinquantaine de musiciens de tous bords, et a été scindé en 6 entités, Ishraquiyun, Forms, Holy Vehm, Traditionalists, UR et Electromagnetic Azoth, exploitant respectivement des champs musicaux bien tranchés : musique orientale, marches funèbres, death metal, musique de film, surf rock et electroacoustique. Le groupe se produit live sous le nom de Secret Chiefs 3, corps articulés de ces six membres et organes ; chacune des prestations est complètement aléatoire, tant au niveau du personnel que de la setlist. Présents au Grand Mix il y a un an, le concert avait oscillé entre surf et musique indienne. Ce samedi, à l'Aéronef, ça jouera plus rentre-dedans, métal et oriental.

Car oui, l'Aéronef fait les choses bien, et propose un triptyque rencontre/concert/goûter-concert. A l'instar de Fishbone, qui vient souvent visiter nos contrées, Secret Chiefs est régulièrement en France, et comme leurs concerts ne se ressemblent jamais, le succès ne se dément pas.

On arrive donc à l'Aéro, agressé par une odeur de combustion non identifiée. Une petite note nous est communiquée : certaines scènes peuvent choquer, prenez garde etc. Etrange. Dans la cour, des hommes encapuchonnés, un cheval, des feux à même le sol, dont un scripte les lettres INRI... Sur les murs et au sol, des projections de runes et d'étoiles de David. Un autre papier nous rappelle que la soirée est la première HYBRIS (donc quelque chose comme démesuré ? avec une certaine notion de mysticisme ?) et qu'on va découvrir l'Aéro comme on ne l'a jamais vu... Ok ok. C'est donc la compagnie Materia Prima qui ouvre la soirée avec des performances visuellement assez impressionnantes. On comprend la mise en garde en entrant dans l'Aérobar : une carcasse de porc, des femmes nues couvertes de boue sur lit de feuilles mortes, on dirait une mauvais blague culinaire pour Hanouka, après les étoiles de David dans la cour. Dans la salle elle même, une autre performance est en cours : encore des paires de seins, des hommes nus avec des cornes (donc jeux obligés sur les symboles phalliques et autres licornes), plus un genre de prêtre sombre, enmasqué, qui déclame assez mal des élucubrations foireuses sur les concepts de vie et de mort.

Tout le monde se tait, à part nous. Ambiance religieuse. La performance, de même que l'art contemporain en général, comporte son lot de fumisterie pour quelques oeuvres géniales. Parfaite illustration ce soir : de la nudité "bizarre", des grandes phrases compliquées, des performers qui se cambrent et illustrent par force contorsions leur mal-être supposé, un son extrêmement fort. Les runes et le Inri à l'extérieur auraient du me faire tiquer plus vite, les références à la mythologie plus qu'obscures et les pattes de boucs me rendent à la réalité : on est dans un grand guignolesque foutraque où les multiples bruits, cris, assimilations et déclamations grandiloquentes ne servent qu'à noyer le poisson. On se croirait dans la messe noire d'une quelconque société néo-paganiste secrète. A l'Aéro. Pour Lille Fantastic. Voilà voilà.

Les pauvres Joy As Toy, coincés entre ce grand cirque et la puissance de Secret Chiefs, parqués sur une scène au fond de la salle, disposant glorieusement de 2 mètres carrés de plateau, ne disposaient évidemment pas des meilleures conditions pour jouer leur musique. Dommage, leur espèce d'indie gothico-morriconienne faisait plaisir aux oreilles, notamment leurs passages instrumentaux bien rentre-dedans à la fin. A revoir, pensée contrite pour eux.

Commence, enfin, le concert des californiens. Dur à décrire, comme d'habitude. Un passage acoustique magnifique au milieu du set, des musiciens impeccables, un son parfait. Mention quand même, pour l'impartialité, à la jeune femme aux colombes blanches qui intervint pendant le concert. Frais, inattendu et très joli. Sans doute l'événement musical de l'année, comme à chaque fois qu'ils passent.

Malheureusement, Lille 3000 et débauche de moyens oblige, les Secret Chiefs doivent faire avec un des pires publics imaginables. Les mêmes qui se tenaient cois et bouche-bée devant les cornes et les flammes se permettent de parler pendant les morceaux. On entend des "je ne m'attendais pas à ça", "c'était plus électro sur internet " (écoute plus de deux pistes, enfoiré), "c'est bizarre comme musique". Plusieurs bagarres évitées de peu entre les copains qui criaient "Holy Chiefs" entre tous les morceaux, remplaçant leur célèbre "Holy Shit" pour la circonstance et des abrutis qui recommençaient à discuter à voix haute dès que le morceau recommençait (et une harpe, même reprise, ça ne couvre pas un brouhaha général). Nous, on se taisait, on va voir Secret Chiefs 3 à chaque fois qu'ils passent, et nous n'étions pas là par hasard. Ecoeurés... Lille 3000, à trop s'accaparer la culture lilloise, crée des soirées incongrues qui, sur un concept intéressant (le "spectacle total"), dérive en une sorte de gala à grand spectacle, théâtre d'une mondanité hype qui ne respecte rien, et surtout pas les artistes présents.

 

 

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