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Spain + Italian Boyfriend à l’Aéronef

L'Italian Boyfriend est léger et estival, primesautier et sautillant. Un peu décontenancé par le public encore clairsemé, sans doute retardé partout à cause d'inondations qui.ont coupé les routes par endroits. De toute façon on est en formule club. Ça tranche évidemment terriblement avec les tensions attendues de la part de Spain. Encore un peu inexpérimentés live, on les retrouvera plus tard avec plaisir. Ils font preuve de beaucoup d'humour et de distance, ironisant gentiment sur la médiocre qualité des tee shirts de leur merchandising mais ils sont belges, sympas et pas chers au dire du chanteur. De belles séquences au milieu de nappes synthétiques très French pop 80's. Très sympathiques en tout cas et en plein devenir. Leur premier album est disponible. Pas évident d'ouvrir pour un groupe de cette stature dans un registre aussi différent.

Arrivée ultra classieuse de Josh Haden, le Spain en chef et de ses deux acolytes sur quelques dissonances choisies. Les trois hommes posent immédiatement un climat sublime, lent et tendu. C'est instantanément parfait: chœurs éthérés magnifiques, son profond et clair, puissance sourde et retenue. Comme beaucoup de groupes qui jouent lentement c'est très prenant quand ça joue fort. On commet souvent cette erreur d'écouter les groupes qui jouent low tempo à bas volume. Le live permet de se laisser totalement envelopper par le son. On commence par le nouvel album, Carolina. Le son est parfait, les équilibres et les tensions sont parfaitement maîtrisés. Haden joue d'une basse compressée et tendue, Kenny Lyon tisse des motifs extrêmement personnels, héritier de Hendrix autant que de Wes Montgomery dont il a emprunté la manière très spéciale de lâcher subtilement les accords, ni tout à fait en arpèges, ni tout à fait giflés, ni tout à fait jazz, ni tout à fait rock. Un guitariste très intéressant qui a probablement autant écouté Wes que les gâchettes lourdes du rock sous Marshall. Même nuances à la batterie, on passe des roulements martiaux aux frontières du frôlement jazz en rayant doucement les cymbales avec la clé de la caisse claire. Le trio sonne de manière très étonnante, totalement personnelle. On sait que Spain n'a qu'une identité constante depuis ses débuts, celle de Josh Haden, mais cette formule fonctionne à merveille.

La voix est pleine et vibrante. Elle se mêle aux échos réverbérés et aux accords diffus. C'est terriblement groovy quoiqu'on en dise. Évidemment pas à la façon de Sly and the family Stone mais dans un rebond lent et permanent, doux et suave. Le tout est teinté d'une tristesse affleurant sans cesse, comme de longs sanglots retenus. On tient le coup, à peine, tout juste, et parce qu'on joue, tout en donnant l'air de rien une leçon de jeu en trio dans la répartition des espaces libres et à occuper. Ça transpire littéralement l'intelligence à tous niveaux. Musicalement et humainement, c'est très dense. Haden est sobre et concentré.

Lors d'un morceau joué à très faible volume, on se rend compte que personne ne parle, qu'on n'aperçoit pas la fenêtre bleutée d'un portable. Rien. Le respect total, on entend même très distinctement un gobelet tomber entre deux morceaux. Quelques lumières orangées pour tamiser la scène évitent le dépouillement total. On songe à un déhanché lent en robe longue et noire, quand on croit qu'il n'y a plus d'invités et qu'on danse en solo. Le groupe égrène le splendide Station 2la Setlist est très classe, Sargent place est l'album oublié... un titre seulement.

On entame le long rappel sur une digression tendue et bruitiste. On comprend aussi dans le traitement du son que Haden a quelques références en matière de basse et que Papa s'appelle Charlie, pionnier du Free Jazz aux côtés d'Ornette Coleman. Très amusant aussi de les entendre recommencer le décompte d'un tempo trois fois avant de laisser faire le batteur voire de reprendre un morceau mal embarqué après quelques mesures. C'était cérébral, intense et fiévreux, organique et humain, comme un songe ténébreux qui nous sort d'une torpeur lourde et qu'on balaie d'un revers de drap teinté de lune. 

On sort et.. on tombe sur Kenny Lyon,qui se fume une petite clope tranquillement et qui lâche cette phrase étonnante et drôle "Je ne fume que quand je bois et je ne bois que quand je travaille". Il dira à quel point il a aimé la session au caf&diskaire, reconnaît des fans présents l'après midi. On aura tout le temps de discuter de Wes Montgomery, de Jimi Hendrix et il évoquera aussi Ernest Ranglin, un guitariste jamaïcain qui mixe le jazz et le reggae, qu'il nous invite à écouter. On repartira sous les ailes repliées de l'Aéronef avec ces trésors intangibles à l'esprit. Intensément classe.

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