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Stupeflip + Klakomaniak à l’Aéronef

La prophétie annoncée en introduction du premier album de Stupeflip en 2003 n'était pas à prendre à la légère: « le Crou ne mourra jamais ». Six ans après leur deuxième album, Stup Religion, après avoir été éjectés comme des malpropres par la Major qui les avait accueillis, après avoir subi critiques, quolibets, incompréhensions, le Crou le plus stupéfiant de la planète revient donner un grand coup de pied salvateur dans les conventions avec son troisième album, auto-produit, l'hypnotique et avant-gardiste The Hypnoflip Invasion. Une Ile Aux Enfants cauchemardesque et fantasque où l'on retrouve l'univers bien particulier de ce groupe et les fantomatiques personnages qui le hantent: King Ju, Cadillac, MC Salo et Pop Hip. Un monde de bric et de broc, mélange à la fois foutraque et maîtrisé de Hip Hop, de Rock radical , de Punk anarchiste, de variétoche désuète et synthétique aux sonorités 80's, de samples glauques et malsains où l'on « prend des petits bouts de trucs pour les assembler ensemble »... Un asile psychiatrique apocalyptique où le désespoir et la rage d'êtres asociaux côtoient le retard mental de patients coincés dans le monde de l'enfance.

N'en déplaise aux détracteurs, la Religion Du Stup n'est donc pas prête de s'éteindre. Tels des messies, Stupeflip est attendu par une imposante « réunion de fidèles pour créer l'étincelle ». L'Aéronef, en ce soir, du 2 avril 2011 est plein à craquer.

Les Klakomaniak ouvrent la messe. Ce groupe nordiste, formé en 2006, s'est fait remarquer avec son premier album sorti récemment, Massacres. Un disque frappadingue. La musique Metal s'y accouple avec des sonorités Electro et les paroles de chansons (« Grr Grr Une Cape Et Un Slibard », « Super Champion », « Monde De Merde », « Les Barbares A Papa ») y font preuve d'une grande loufoquerie. Une reprise décalée de « Poil Au Tableau », avec Richard Gotainer himself, figure même dans le tracklisting. La rencontre improbable entre Le Grand Orchestre Du Splendid et les expérimentations de Faith No More. Nix, le chanteur, apparaît sur scène torse nu, bedaine en avant, les guibolles enfoncées dans un seyant pantalon moulant et doré. Un diable hurleur dont l'énergie et le chant ne sont pas sans rappeler ceux de Reuno, le leader de Lofofora. Le set débute par le premier morceau de l'album: « Du Sable Dans Les Poches », ode joyeuse à la laideur (« Tant pis pour vous vous subirez ma laideur / Je ne veux pas changer parce que je vous fais peur / Je suis quelqu'un de bien dans sa peau dans sa tête »).

Le son est lourd. Bronsky XVI à la guitare, Digital Winns à la basse et Rony Veranda à la batterie assurent. Mais la foule réagit peu. Les slams et pogos restent timides pour un concert de musique dure. Le groupe a du mal à faire souffler le même vent de folie que sur l'album. Seul Nix, avec talent, fait le pitre et assure le show. Les musiciens derrière lui, avec leur tête de premier de la classe et leur polo, sont, eux, beaucoup trop sages et stoïques. Leur attitude ne motive pas à exprimer violemment son enthousiasme. De plus, les Klakomaniak oublient que dans le Metal, la musique ne se suffit pas à elle-même. Elle doit être enrichie d'un visuel fort pour créer une atmosphère particulière et embarquer le public avec elle. Ce qui, malheureusement, n'est pas le cas. Le décor se limitant à un énorme et unique K en contre-plaqué placé sur la scène et une lampe cosy. Pourquoi ne pas reproduire l'ambiance de gentlemen-farmer développée sur la pochette de Massacres et arborer la même apparence vestimentaire pour créer un paradoxe singulier avec les compositions? Seule l'intervention des Schneck Is Schneck et leurs tenues extravagantes sur l'ultime chanson apporteront le délire que l'on est en droit d'attendre de ce combo et marqueront les esprits. Dommage pour ce groupe qui, néanmoins, reste très prometteur musicalement.

Dès le début de leur show, les Stupeflip démontrent un sens de la mise en scène aiguisé. Vidéos de visages inquiétants projetées en guise de décor, ambiance de fin du monde inspirée par le film L'Armée des Douze Singes, déguisements cauchemardesques, attitude flippante, le concert débute telle une procession maléfique. On se recueille devant un Lumidou choisi comme symbole religieux d'une croyance païenne et perverse. Le Stup confirme qu'il n'est pas simplement un « truc rigolo ». Au contraire, il s'agit « d'une construction mathématique, un truc pataphysique qui pique comme un aspic ». Une équation compliquée et fascinante, difficile à résoudre. On navigue entre 1er et 36e degré.

Pierre Desproges déclarait que « le vrai misanthrope, c'est celui qui aime trop les gens pour accepter qu'ils puissent être médiocres ». Derrière la provocation insultante (« Vous n'êtes que des moutons mutants »), la Punk attitude qui rappelle la grande heure des Béruriers Noirs, se cache une tendresse pour l'univers de l'enfance, son innocence. Un émerveillement perceptible dans « Le Spleen Des Petits », réellement une des plus belles chansons jamais écrites sur l'enfance, ses angoisses, la difficulté de grandir, de se faire des amis, de s'imposer dans l'univers impitoyable qu'est une cour d'école (« Le ciel s'obscurcit / Il croque dans un Pépito / Il fait presque nuit / Une lumière glauque dans le préau / Ça souffle / Alors il s'emmitoufle / Il ne sent même plus le vent qui siffle / Le poing serré dans ses moufles / Il morfle ») et dans cet amour des créatures qui ont peuplé notre imaginaire juvénile (« Les Monstres »). Mais les enfants ont grandi, sont devenus des adultes cyniques et apathiques: «  Dans ton for intérieur / Y a un enfant qui pleure / Toi tu le sens plus / Lui il se sent mal / Tu l'a séquestré, bâillonné, ligoté » dans l'incroyable « Stupeflip Vite ».

C'est ce monde que critiquent King-Ju et Cadillac car « Pas d'affinités avec ces porcs qui ne sont pas de mon bord » (dans « La Menuiserie »). On se réfugie dans une folie régressive, au « risque de finir au CHU ». On se comporte comme des sales gosses. On refuse de faire partie intégrante de la société, de respecter les codes qu'elle nous impose. Ainsi, à la beauté superficielle vendue pré-mâchée par la une des magazines, on lui préfère les physiques peu avantageux: « Gem Lé Moch ». Et on hurle sa haine de la bêtise humaine, du racisme, de l'hypocrisie de la bienséance dans le virulent « Hater's Killah ».

Pauvre Pop-Hip, minable chanteur de variétés, au coeur trop pur, ayant su préserver en lui sa part d'enfance et qui ne peut trouver sa place dans cette société actuelle qui le rejette, hué par le public qui ne peut comprendre que derrière la simplicité de ses mélodies et la naïveté de ses paroles (« Ce Petit Blouson En Daim ») se cache une sensibilité touchante. Comme dans cette déclaration d'amour pour une femme plus vieille que lui (« Tu as bientôt 47 ans mais toi au moins tu m'excites ») dans « Gaëlle », qui fait penser à l'émouvant « La Vieille » de Miossec. Il finira abattu sur scène à la plus grande joie des spectateurs.

Dans sa haine de la race humaine, le Stupeflip ne caresse pas dans le sens du poil son public qui pourtant est acquis à sa cause. L'ambiance dans la salle est hystérique. On slamme, on pogote, on se jette des gobelets de bière. Mais cela ne suffit pas pour que l'assistance trouve grâce aux yeux du Crou qui prend plaisir à l'insulter. Pas de rappel (comme à l'habitude du groupe) et à la fin du concert, cette ultime provocation: « Au revoir, Orléans! ». C'est sous les injures que Stupeflip quitte la scène.

Des injures, qui n'en doutons pas, ont pour eux la saveur des acclamations et leur donnent la sensation d'un concert réussi. Car ces mecs « n'en n'ont rien à carrer ».

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