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Suuns + Buke & Gass à De Kreun

Encore une fois, il est bon de passer la frontière belge pour se rendre au De Kreun de Courtrai, petite salle à la programmation pointue et exigeante, mettant en avant ce qui se fait de mieux dans les milieux musicaux indépendants et underground. Ce soir, la tête d'affiche est une des sensations du moment: le groupe Suuns, originaire de Montreal, dont le premier album Zeroes en a estomaqué plus d'un.

Mais avant de se rendre au Canada, petit détour par New-York et le quartier de Brooklyn avec le duo Buke and Gass. Un nom tiré des instruments modifiés par les membres du groupe. Ainsi, le « buke » désigne le ukulélé baryton à 6 cordes dont joue la chanteuse Arone Dyer et le « gass » le croisement entre une basse et une guitare employé par son acolyte Aron Sanchez. En plus de ces engins truqués, ils utilisent également sur scène des percussions foot-stomp (dont une grosse caisse dans laquelle ont été placés des tambourins et une sandale à clochettes) et tout un attirail de pédales d'effets. Confortablement installés sur leur chaises, Arone et Aron livrent une musique à l'image de leurs instruments: hybride. On pense à du Rodrigo Y Gabriela couplé à du Sonic Youth ou à des White Stripes s'essayant au Math-Rock. Les compositions sont imprévisibles, les structures mélodiques en perpétuelle mutation et riches en accélérations déstabilisantes. Chaque morceau réserve son lot de surprises, renvoyant autant à des sonorités Rock, qu'orientales ou hispaniques. Mais le tout conserve une incroyable cohérence et ne se transforme jamais en expérimentation stérile. La voix d'Arone, de par son large éventail de tonalités, enveloppe merveilleusement la musique du groupe et lui apporte luminosité et intensité. Une bien belle découverte.

Difficile de décrire l'expérience que fut le concert de Suuns. En live, la musique des canadiens a, en effet, tout du déluge. Voire du Big Bang. A l'instar de l'album, on entend et voit des planètes musicales s'entrechoquer dans un capharnaüm bruitiste. Le niveau de décibels atteint par le groupe est tel qu'il fait littéralement vibrer les murs, remue les tripes et crée un trou noir aspirant tout le monde sur son passage. On se retrouve dans une dimension inconnue. On voit naître une nouvelle forme de musique, évoluée et unique. Crainte et attirance se font ressentir. On a du mal à en dessiner les contours. Les traits et le corps de la bête semblent familiers (un coeur Rock, une respiration Pop, une gestuelle Electro...) mais elle n'a rien d'humaine. Cette musique est, tout simplement, extra-terrestre. Aux premiers abords, elle semble menaçante, avoir pris possession du corps des musiciens, marionnettes humaines et désarticulées, utilisées comme de vulgaires réceptacles. Son langage est incompréhensible. Mais il nous happe, nous hypnotise. Nous met en transe. Nous fait atteindre un niveau supérieur de perception. Et on comprend, quand la lumière se fait plus forte que les ténèbres, que nos yeux se sont habitués à l'étrangeté de la créature, qu'elle est venue en paix pour nous montrer un nouveau chemin, une nouvelle voie... Une voie lactée et céleste.

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