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Wax Tailor & The Mayfly Symphony Orchestra au Théâtre Sébastopol – Ground Zero

Influencé par des oeuvres telles que Days Of Future Passed des Moody Blues ou le Live At Roseland NYC de Portishead, cela fait longtemps que Wax Tailor porte en lui l'idée de confronter son univers atmosphérique à celui de la musique classique. Étape ambitieuse mais on ne peut plus naturelle pour cet auteur, compositeur et producteur français de talent qui a l'habitude sur scène d'être accompagné de musiciens issus du classique (le violoncelliste Matthieu Detton, la violoniste Christelle Lassort et la flutiste Ludivine Issambourg). Arrivé au stade du troisième album avec In The Mood For Life en 2009, sentant qu'il a entre les mains la matière et le répertoire nécessaires, il se lance enfin dans l'aventure en se rapprochant des musiciens de l'Orchestre de l'Opéra de Rouen, de leur chef d'orchestre Didier Benetti et de l'arrangeur Remy Galichet (ayant travaillé notamment pour Alain Chamfort, Benjamin Biolay, Vincent Delerm et membre de Diving With Andy) pour une relecture de ses compositions naviguant entre Hip Hop, Trip Hop, Electro Down Tempo.

 Il faudra plus d'un an pour que se concrétise ce projet fou dont le côté éphémère lui donnera le nom de Wax Tailor And The Mayfly Orchestra avec une mini tournée de quatre dates: Lyon, Paris, Rouen et, ô bonheur, Lille, au Théâtre Sebastopol. Une manière, sûrement, pour Wax Tailor de récompenser le public lillois qu'il a toujours vivement remercié, lors de ces passages dans la métropole, de l'avoir accueilli si chaleureusement.

On se doutait, on savait que cette expérience allait être riche en émotions diverses. Mais rien ne nous avait pourtant préparés à cette intensité. A 20h40, quelques minutes après que la salle se soit remplie et que la traditionnelle sonnerie annonçant le début du spectacle ait retenti, le rideau rouge, jusque là fermé, se lève. Wax, borsalino noir posé sur son crâne rasé, cravate blanche sur chemise et costume noirs, trône au milieu de la scène, le regard concentré, derrière ces machines, entouré d'une trentaine de musiciens, certains arborant également un borsalino, le chef d'orchestre siégeant à sa droite. Et là, c'est le choc. Particulièrement pour ceux n'ayant jamais eu l'occasion de voir jouer un orchestre symphonique. Choc visuel dans un premier temps. On ne s'est jamais senti aussi petit, aussi intimidé devant des musiciens. La mise en scène impressionne avec la présence de trois écrans (deux au fond et un autre sur le devant, sous la table de mixage) et un jeu de lumières de toute beauté. Et alors que commencent à défiler des images noir et blanc de Martin Luther King, de Gandhi, des messages de paix et de liberté, les premiers lits de cordes se font entendre. Devant l'acoustique parfaite, on ne peut s'empêcher de frissonner, d'avoir la chair de poule, d'avoir l'impression de renaître à la musique et d'assister, pour la première fois de sa vie, à un concert. Le public est littéralement scotché à son siège.

Alors que Wax s'occupe de la rythmique, retravaillant pour l'occasion les boucles et les sonorités qu'il utilise d'habitude, on est fasciné par le travail de réécriture musicale et d'orchestration voyant les séquences et les arrangements ordinairement samplés désormais interprétés live par un orchestre classique, donnant ainsi une texture et des couleurs inédites à la musique du tailleur de cire qui n'a jamais été aussi charnelle. Et renforcent ainsi l'aspect cinématographique de son oeuvre qui porte en elle la nostalgie des grands chefs-d'oeuvre du septième art. Nostalgie à laquelle viennent faire écho les images de classiques du cinéma hollywoodien ou des extraits de vieux dessins animés auxquels viennent se greffer des répliques de films. L'esprit de John Barry, célèbre compositeur de musiques de films ayant toujours fait preuve d'une grande modernité, et particulièrement connu pour ses travaux sur les films de James Bond ou le fameux générique de la série Amicalement Votre, n'est pas loin.

Mais c'est sur des images de Nils Incadela, live designer de Wax Tailor, que la belle Charlotte Savary, complice de toujours que l'on peut croiser aussi au sein du groupe folk Felipecha, habillée d'une robe noire du plus bel effet, fera son apparition et viendra poser sa douce et envoûtante voix, magnifiant des morceaux tels que « Dragon Chaser », « The Man With No Soul », « Dry Your Eyes » ou « Go Without Me ». De véritables invitations à la rêverie. Le public lillois, plus discret qu'à son habitude, sûrement intimidé par le dispositif mis en place et le lieu, peu propice aux déhanchements, se laissera doucement emporté par le flot vaporeux des compositions du musicien.

Mais c'était sans compter sur l'intervention d'un autre fidèle comparse: MC Mr Mattic qui, avec « Until Heaven » viendra titiller les jambes de l'assistance. Les mains commencent à se lever et les têtes à remuer. A l'instar de Kanye West et de son fameux Live At Abbey Road, enregistré avec un orchestre à cordes, Mattic, en posant son flow impressionnant sur un lit de violons permet au Hip Hop de se hisser à des cimes rarement atteintes. L'alliance de sa dextérité vocale, alliant rapidité du débit, justesse de la voix et human beat box à la force musicale de l'orchestre développant des modules rythmiques riches en dynamiques offre un spectacle rare et totalement submersif. Il est à noter le travail hallucinant accompli sur l'acoustique, Wax Tailor prenant appui sur le son physique des musiciens, faisant le choix de les plugger (ce qui n'est pas le cas dans le cadre d'un concert traditionnel de musique classique) ce qui nécessite donc deux ingénieurs du son (un pour Wax et ses acolytes et un pour l'orchestre, épaulé par un assistant lisant à ses côtés la partition globale, modulant les interventions et les solos des différents musiciens). Une prouesse technique qui s'impose avec naturel.

Sentant l'assistance un peu timide, Wax Tailor l'interpèle, lui rappelle qu'elle a une réputation à tenir, que deux dates ont déjà été données et que l'orchestre a pris l'habitude de voir le public crier et danser. Les deux Mcs de A State Of Mind (de passage le 5 novembre dernier à La Péniche) se chargeront d'allumer la mèche avec le titre « Positively Inclined ». Les sièges se vident, les spectateurs s'entassent devant la scène et le Sebastopol se transforme pour l'occasion en dance-floor. S'ensuivra une seconde moitié de concert de pure folie où les lillois, très en forme, réussiront avec brio le test vocal imposé avec le désormais classique « Que Sera » et se déhancheront, entre autre, sur « Our Dance » ou « Until Heaven Stops The Rain ». Un « Say Yes » d'anthologie viendra conclure deux heures de concert historiques.

Drôle d'expérience de voir un public danser et chanter devant un orchestre symphonique. D'ailleurs, en l'observant bien, on pouvait percevoir des sourires et de la joie sur les visages de ces musiciens, loin de leur concentration habituelle, heureux de pouvoir faire groover un auditoire pas uniquement composé de têtes blanches. Wax Tailor peut être fier de son pari artistique et humain, la confrontation de deux univers musicaux a priori éloignés. Un pari, de plus, présenté modestement, sans clinquant, sans fierté affichée crânement par l'artiste, alors qu'il relève de l'exploit et ouvrira une partie du public à s'ouvrir à un registre musical plus large. En un mot: INOUBLIABLE.

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