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Zone Libre vs. Casey & B. James + Nouvel R

En arrivant au Grand Mix pour l'ouverture des portes, en ce soir du 28 avril 2011, une première constatation s'impose : les spectateurs sont peu nombreux. Étonnant lorsque l'on se souvient que, l'année dernière, le 29 mai pour être précis, la venue de Casey (avec Rocé) dans ces mêmes lieux avait rameuté une foule assez importante. C'est donc avec stupeur que l'on observe la salle se remplir au compte-gouttes. On s'attendait à ce que Zone Libre, le projet de Serge Teyssot-Gay, ex-guitariste de Noir Désir, fusionnant Noise-Rock et Rap Hardcore attire un monde encore plus conséquent. Principalement en raison de l'aura particulière dont bénéficie son fondateur.

L'audience s'étant lentement élargie, une seconde constatation saute aux yeux. Le public est différent de celui d'une date Hip Hop ordinaire. Plus hétéroclite. Aux B-Boys habituels se mêlent des Rockeurs, des fans de Serge, des orphelins inconsolables de Noir Désir, des curieux ne sachant pas vraiment à quoi s'attendre. Les amateurs éclairés des expérimentations musicales de Zone Libre semblent, en fait, constituer la frange la plus minime du public. On ressent plus de tiédeur que de chaleur. C'est mauvais signe...

Les Angevins du collectif Nouvel R se voient confier la délicate tâche de faire monter la température dans la salle. Ces artistes commencent à bien connaître le Nord-Pas-de-Calais. En effet, depuis quelques mois, ils sont en résidence dans la région et animent, sous l'égide du C.L.E.A. (Contrat Local d'Éducation Artistique), des ateliers d'écriture et des rencontres artistiques dans différents lieux de la Métropole. Leur formation est quelque peu atypique dans le milieu Rap Français: 4 MC's (Binzen, Geni-K, Koni, Sseca), un human beat-box (Shen Roc), un beatmaker (DJ Box) et un bassiste (Paï Paï). Les lyrics du groupe les posent en représentants d'un Rap conscient et militant (les problèmes climatiques avec « La Canicule », le fanatisme religieux avec « Masta », la crise économique avec « La Machine », les dérives de l'Internet avec « www.tuveuxdutrash.com »). S'ils n'évitent pas toujours l'écueil d'une certaine naïveté dans l'écriture, les textes ne tombent, par contre, jamais dans le piège du moralisme outrancier et bien-pensant. Et se permettent des touches d'humour bienvenues comme sur le morceau « Chuck Maurice » se moquant des karatékas du dimanche qui roulent des mécaniques en se prenant pour Jean-Claude, Chuck, Dolph, Steven, tous ces casseurs de bras de séries B ou Z. Le public est d'ailleurs invité à les imiter en prenant la pose et en poussant des cris grotesques. Musicalement, Nouvel R cultive un certain sens de la singularité. De par la présence du bassiste Paï Paï dans un premier temps. Mais également par des arrangements et des constructions loin des stéréotypes du genre. Le son emprunte à l'Electro, au Dub (l'esprit de l'Asian Dub Foundation n'est pas loin, particulièrement sur « Masta », avec ses accents orientaux) et au Rock (sample de Jimi Hendrix à l'appui). Auteur de deux albums (Hybride en 2008 et Tout Va Bien en 2010), le groupe montre un savoir-faire indéniable sur scène. Néanmoins, on sent qu'il est encore en phase de construction, qu'il manque de maturité. La basse est trop timide, les sonorités Electro pas assez mises en avant et amplifiées pour créer la ferveur désirée. Les prises de risque restent trop minimes. Sur certaines chansons, on se met, par exemple, à fantasmer sur la présence supplémentaire d'un guitariste dans la formation pour intensifier l'énergie qui se dégage de l'ensemble. Un potentiel qui ne demande donc qu'à exploser pleinement dans le futur...

Explosion. Un terme qui convient parfaitement à la sensation que procure la montée sur scène des musiciens de Zone Libre, Serge Teyssot-Gay à la guitare, Marc Sens à la guitare ou à la basse, Cyril Bilbeaud (ex Sloy) à la batterie et de ses deux MC's, Casey et B. James (qui remplace sur le second album du groupe, Les Contes Du Chaos, Hamé de La Rumeur). La musique du combo s'apparente à un véritable attentat sonore. Une déflagration qui souffle tout sur son passage et brise les murs séparant le monde du Rock du ghetto Rap. Où les mots sont des bombes. Les travers de notre société (inégalités sociales, racisme, misère...) et ses représentants politiques en sont leurs victimes collatérales. « Vengeance » proclame la première chanson jouée par le groupe!

Le jeu de batterie est martial. Les guitares de Serge Teyssot-Gay et de Marc Sens, qui se sert sporadiquement d'un archer, sont utilisées comme des armes de destruction massive. Le son est rugueux, violent, poisseux. La lumière n'a pas sa place dans cet univers de ténèbres. Ce paysage industriel où règne la désolation. Le déluge de décibels s'accompagne d'un flot de haine et de révolte. Casey et B. James crachent leurs textes revendicatifs à la face du monde. L'association des deux MC's est percutante. Leurs mots s'entrechoquent à merveille. Deux pitbulls enragés à qui il est impossible de mettre une muselière. Et le plus féroce n'est pas celui que l'on croit. Malgré sa carrure imposante, le Rappeur de La Rumeur se fait dévorer tout cru par son acolyte féminine. Casey, une nouvelle fois, libère la bête qui est en elle. Bestiale, elle accapare tous les regards. Se déplaçant avec l'équilibre précaire d'un animal blessé, il se dégage de sa personne l'énergie du désespoir. Chacun de ses mouvements est tel le soubresaut du guerrier qui luttera jusqu'au souffle final.

Les musiciens restent en retrait. Ils sont là en renfort. Serge Teyssot-Gay ne joue nullement de son statut d'artiste culte. Au contraire, il fait preuve d'une grande humilité. Amusé, on remarque la présence d'un autocollant Life Is Too Short For Guitar Solos sur son instrument. Cela n'empêche pourtant pas un attroupement de « groupies », hypnotisées par sa dextérité, de se former devant lui. La set-list pioche autant dans le dernier opus (« Les Contes Du Chaos », « Quartiers Destructeurs », « A La Seconde Près », « La Marque De La Chaîne »...) que dans le premier album, L'Angle Mort (« La Chanson Du Mort-Vivant », « Une Tête A La Traîne », …). Seuls les singles « Purger Ma Peine » et « Aiguise-Moi Ça » soulèvent réellement l'assistance. On s'attendait à ce que l'ambiance soit à l'image du titre du dernier album, plus « chaotique ». Pas de slam. Pas de pogo. Juste quelques mouvements de headbanging. La faute sûrement à l'aspect bâtard du public. Les fans de Serge restent béatement scotchés devant son coin de scène. Les curieux nostalgiques du Noir Désir ne se retrouvent pas dans la tournure résolument urbaine qu'a emprunté le guitariste de leur groupe fétiche. Et certains B-Boys, eux, ne digèrent pas l'aspect bruitiste des compositions. On entendra même crier lâchement du fond de la salle: « Arrêtez de mélanger le Rock et le Rap! ». Mais le manque de communication des deux chanteurs est également à prendre en compte. Jouant pied au plancher, B. James et Casey, ce qui est surprenant de sa part pour qui a déjà eu l'occasion de la voir sur scène, ne s'adressent que trop peu aux personnes présentes, ne créant donc pas l'émulation nécessaire. L'embrasement n'aura lieu qu'à la toute fin du concert. Sur « E.L.S.A. », jouée de manière instrumentale, et où les harangues finales de Casey présentant le groupe motiveront le Grand Mix à se déchainer en hurlant et en jumpant.

Pas de quoi gâcher le concert, Zone Libre s'étant montré musicalement irréprochable sur scène. Mais de quoi décevoir ceux qui s'attendaient à une ambiance anarchique et survoltée, proche des concerts donnés par Rage Against The Machine, dont le groupe de Serge Teyssot-Gay apparaît comme l'un des plus dignes descendants.

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