Le suicide comme vertige
A Forbidden Act, une création du collectif Movement Dang-Dang, dirigée par Minjung Kim.
Chaque jour, en Corée du Sud, une cinquantaine de personnes se suicident : c’est le deuxième pays au monde le plus touché par ce phénomène. Minjung Kim, fondatrice du collectif Movement Dang-Dang et figure de l’underground coréen, tente de comprendre et d’interroger ce tabou sociétal, en dépassant la convention à travers ce spectacle composite et singulier.
A travers la forme hybride de A Forbidden Act, le collectif met en lumière ce qui a l’habitude d’être dissimulé dans ce pays surnommé la « république du suicide ». A la fois performance et installation, le spectacle débute par une déambulation du public face à un immeuble construit suivant un système de douze boîtes contenant quatorze acteurs. Chaque case constitue une boîte de vie, un espace propre à chaque individu, conçue par l’acteur à partir de recherches et de témoignages. Cette scénographie ultraprécise forme à la fois une structure d’ensemble et douze morceaux indépendants et connectés.
Se dessinent différentes versions et appréhensions du suicide, puisque la temporalité du spectacle représente la dernière heure de différents individus avant le moment fatidique. Le cheminement de chaque personnage est exploré à travers le prisme de son univers propre, de ses objets intimes, de son cadre de vie. On retrouve des couples, mais aussi une solitude insoutenable, certains sont fous, d’autres préparent méticuleusement leur départ : le suicide est représenté à travers toute sa diversité et sa banalité dans cet Etat en crise. La souffrance de ces êtres est architecturée, à la fois par l’espace de jeu, mais aussi par la lumière et la création sonore, individualisant toujours plus chaque boîte de vie pour une fresque d’autant plus réelle.
Le spectateur se retrouve très actif, c’est son regard qui construit la représentation, ainsi que son imagination : l’absence de texte, la dimension fragmentaire du spectacle conduit chaque spectateur à imaginer l’histoire des personnages, leur vie, les raisons de leur dérive. Le public produit l’histoire, son regard est sollicité face au spectacle de ces actes personnels les plus radicaux. La confrontation, puis l’interrogation deviennent inévitables : nous sommes plongés dans la douleur et le vide, face à ce geste, cette expérience cruelle tout à fait taboue, que le collectif Movement Dang-Dang interprète très intimement.
