Du 8 au 11 octobre 2024, Éva Doumbia, artiste associée au Théâtre du Nord, présentait sa toute nouvelle création Chasselay et autres massacres au Théâtre de l’Idéal à Tourcoing. Des tirailleurs d’Afrique subsaharienne dits tirailleurs sénégalais sont enrôlés dans l’effort de guerre. Les colonies sont considérées comme un « réservoir d’hommes » pour la France qui est alors à son apogée coloniale. Chasselay est une commune dans le Rhône où se situe une nécropole de cent quatre vingt huit dépouilles de tirailleurs sénégalais. Le Tata de Chasselay est la seule nécropole nationale qui leur soit dédiée. Il a été construit par des civils rendant hommage à ces soldats écartés de l’histoire de France.
Écrite et mise en scène par Éva Doumbia, la pièce retrace les massacres du 19 et 20 juin 1940 de plus de deux cent tirailleurs sénégalais par l’armée allemande. Les tirailleurs sénégalais ont été envoyés en première ligne, comme de la chair à canon, car l’armée française savait d’avance que les Allemands auraient l’avantage. Inspirés de faits réels, la pièce mêle des personnages fictifs et d’autres ayant réellement existé. Un joueur de kora et un pianiste, accordéoniste soutiennent le récit mêlant traditions européenne et africaine.
Chasselay et autres massacres d'Éva Doumbia - Quand la fiction s’entremêle avec les faits historiques
Au début du spectacle, le plateau est entièrement recouvert de tombes. Il est une reproduction parcellaire du cimetière de Chasselay. Une narratrice semble jouer le rôle d’Éva Doumbia et raconte le processus qui l’amène à découvrir le Tata de Chasselay. Des photos documentaires projetées viennent appuyer son récit. La narratrice scande les noms des cent quatre vingt huit tirailleurs sénégalais : « Il faut, il faudra faire silence. Et puis nommer. Murmurer au vent les noms des tirailleurs massacrés à Chasselay. Laisser le vent les emmener et les disséminer. Dissé-nommer. Ces noms imprécis et mal orthographiés. » Son récit fait apparaitre les personnages de la fiction dans ce contexte historique réel. Des éléments de décor s’immiscent dans la nécropole reconstituée. La pièce relate l’arrivée des soldats à Chasselay suscitant la curiosité des villageois.es, la rencontre de celleux-ci (certain.es n’ayant jamais vus d’hommes noirs) avec les tirailleurs, la vasectomie des hommes noirs et métisses pratiquée dans l’Allemagne nazie, l’obligation de fuir l’Allemagne nazie pour les personnes racisées, la méfiance envers la fraternisation et le refus de couples mixtes en France.
Éva Doumbia cherche à faire coexister le passé et le présent. Elle souligne le racisme institutionnalisé de la société française en questionnant la façon dont la France considère les descendants de tirailleurs sénégalais ayant pourtant fait preuve d’allégeance et de loyalisme envers la France. Chasselay et autres massacres est un spectacle qui permet de mettre au grand jour certains épisodes historiques volontairement refoulés de la grande histoire. Un spectacle coup de poing dont il est difficile de ne pas se sentir concerné.e et ému.e.
Une INTERVIEW D’ÉVA DOUMBIA
Crédit photo : © Frédéric Iovino
