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Le Dibbouk ou entre deux mondes au Théâtre du Nord

BENI SOIT CELUI QUI REND LA VRAIE JUSTICE.

"Comment peut s'éteindre pour toujours une vie humaine qui n'a pas fini de brûler ?"

Benjamin Lazar est connu pour son travail autour du théâtre baroque avec des spectacles tels que L’Autre Monde ou les Etats et empires de la lune, adaptation de Cyrano de Bergerac, ou encore Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé. Il montre ici une nouvelle facette de son art : il s’attaque à la pièce de Shalom An-Ski intitulée Le Dibbouk. Entre parabole mystique et conte yiddish, ce spectacle ouvre un nouvel horizon dans le travail du metteur en scène.

Le Dibbouk est un drame en trois actes, qui s’ancre dans la communauté juive d’Europe du Nord. Léa, flle de Sender, et Khânan, fils de Nissan, s’aiment mais ne peuvent se marier car le jeune homme n’est pas assez riche pour le père de Léa. Khânan se plonge alors dans la kabbale, et meurt de désespoir : forcée d’épouser son fiancé, Léa se rend au cimetière pour convier sa mère décédée à la noce. Accablée par la mort de Khânan, elle l’invite également, mais ce dernier va prendre possession de son aimée et s’opposer au mariage, sous la forme d’un dibbouk. L’âme de Khânan, bloquée entre deux mondes, est condamnée à flotter, et se réfugie dans le corps de Léa pour la posséder et pour se purifier.

Pièce culte du théâtre yiddish, Le Dibbouk a été créée en France d’abord par Gaston Baty, puis par Daniel Mesguich. L’ethnographe Shalom An-Ski la crée pour la première fois en 1917 à Vilnius, suite à son travail de collecte de chansons, croyances, proverbes, mythes et rites de la culture juive d’Europe de l’Est et de Russie. Écrite d’abord en russe puis en yiddish, cette pièce explore les limites des mondes, et met en lumière les antagonismes qui régissent l’existence des juifs hassidiques du début du XXe, entre amour et raison, argent et vie intérieure, culture et religion. La pièce s’ouvre sur un prologue avec le son d’un instrument qui transporte immédiatement le spectateur : ensuite entrent sur scène les comédiens, éclairés seulement par la flamme d’une allumette; les acteurs posent des questions, individuellement, se chevauchant parfois, mais toujours en suspens et sans réponse. Questions métaphysiques sur la Torah mais aussi sur les superstitions liées à la circoncision, à l’accouchement ou sur des mythes yiddish.

B. Lazar replace fidèlement la culture yiddish au centre de la représentation : des répliques en yiddish sont prononcées par les acteurs, fragments traduits en direct sur scène par un interprète acteur au rôle énigmatique ; l’ancrage de la religion dans le quotidien des individus est traduit par le recours à cette langue religieuse, qui donne alors un sens différent aux paroles. Le yiddish est également présent sur scène grâce à la musique - on retrouve sur scène la viole de gambe chère à B. Lazar, mais aussi le cymbalum et le serpent -, à la danse et aux chants traditionnels. Ces disciplines viennent accompagner des échanges, ou constituer des interludes et s’accordent de manière puissante avec le jeu des acteurs.

Le décor est simple et minimaliste, comme les costumes : quelques chaises en bois, des tables ; seuls les accessoires viennent camper l’ambiance des lieux, comme les rouleaux de Torah. L’imagination fait le reste, portée par la parole des acteurs qui construit trois espaces distincts, chacun délimitant un acte. Le premier espace est masculin, c’est celui de la yeshivah, l’école talmudique, tout en clair obscur caravagesque. Le deuxième espace apparaîtt grâce à une changement de lumière et à la figuration de la neige, bien que ce soit surtout le langage qui construise le lieu de la célébration du mariage. Enfin, la pièce se termine dans un troisième espace, comme troisième étape du spectacle : le lieu du procès qui doit mener à l’exorcisme de Léa. Les personnages centraux sont peu nombreux : pourtant, on retrouve sur scène une douzaine de comédiens, dont les musiciens font partie, animant la représentation, en tant que présence qui souligne le poids de la communauté dans la culture - ilsparticipent à la noce, ils étudient à la yeshivah et ils assistent au procès de Sender.

Purification, sanctification, exorcisme, soumission : autant de thèmes abordés dans Le Dibbouk ou entre deux mondes, parabole interrogeant l’existence et la présence au monde de l’individu. Benjamin Lazar a su retrouver les forces esthétiques et métaphysiques du texte, en tissant un lien entre le spectateur et la tradition yiddish, grâce à un travail artistique admirable, et des collaborations fructueuses avec Louise Moaty et Aurélien Dumont.

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