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Elena de Cavalli à l’Opéra de Lille

L’Opéra de Lille présente cette semaine Elena, de Francesco Cavalli, une œuvre en 3 actes créée en 1659 à Venise. Lors de la représentation donnée le jeudi 9 avril, Lille La Nuit était dans la salle pour découvrir le chef d’œuvre qui est resté plus de 350 ans sans être joué…

3 heures d’enchantement, voilà ce que nous proposent le directeur musical Leonard García Alarcón, le metteur en scène Jean-Yves Ruf et leur équipe. L'œuvre qui raconte les jeunes amours de la belle Hélène de Sparte, multiplie les références à la mythologie, mêlant les aventures des divinités à celles des humains, qui ne cessent de défaillir d’amour et souffrent de leurs déceptions.

Le rideau s’ouvre sur la Discorde, déguisée en Paix, qui sème le conflit entre les déesses Junon, Pallas et Vénus, se disputant la pomme d’or censée revenir à la plus belle. La querelle, réveillant la colère des perdantes Junon et Pallas, entraîne les malheurs d’Hélène et Mélénas qui, devant être réunis selon leur souhait, se trouveront séparés à plusieurs reprises.

Dès les premiers instants du spectacle, le dynamisme de cet opéra se met en place et se poursuit tout au long de la première partie. Les décors changent encore et encore, dévoilant les personnages divins et terrestres que l’on reconnaît de la mythologie grecque. Les personnages se présentent et s’enchaînent : des timbres de voix sublimes (soprano, ténor, contre-ténor, …) se libèrent sur une musique tantôt lente, tantôt rapide, et dans une langue qui montre toute son harmonie et sa beauté : l’italien.

Miracles de décors, les royaumes célestes et lieux terrestres apparaissent et disparaissent comme par magie tout au long de la représentation. Le spectateur, ébloui, ne quitte pas des yeux les acteurs, ce qui ne lui laisse pas entrevoir les changements. Des accessoires simples comme un grand drap, deux lits et deux tables, un coquillage ou un parterre de sable, sont sublimés par les éclairages, qui montrent toute leur splendeur à l’ouverture du rideau de la seconde partie, dévoilant une forêt aux allures enchanteresses.

C’est dans cet espace que les personnages laissent libre cours à leurs sentiments, les solos et duos s’alternant pour mettre en lumière les voix et jeux des artistes, parfaits dans leur rôle. Les lamentations peuvent traîner en longueur parfois pour les non-initiés, mais l’action rattrape vite les complaintes et l’effet d’ennui disparaît avant d’avoir eu le temps de s’installer complètement.

Mélénas, joué par Kangmin Justin Kim (contre-ténor), montre diverses facettes de "ses personnalités" : il joue son rôle de souverain dans les premiers instants, il passe ensuite par celui de travesti (l’esclave amazone, la confidente, l’amoureuse), puis révèle au grand jour son amour et reprend son rôle initial, tout en gardant ses habits de femme. Le chanteur, dont la voix peut être douce ou puissante, puise au plus profond des émotions et livre un personnage touchant et crédible.

Hélène, jouée par Giulia Semenzato (soprano), se distingue par son jeu et ses manières de jeune fille énamourée autant que par son chant, qui envoûte nombre d’hommes sur son passage, comme Thésée (joué par le beau ténor David Szigetvari) ou le prince Ménesthée (joué par la jeune mezzo-soprano Anna Reinhold) et, bien entendu, le public. Personnage rêveur et joyeux, elle ajoute une légèreté à l’atmosphère de souffrance qui gravite autour d’elle, inconsciente de ce qui se passe.

Leur couple forme un duo touchant, dont l’histoire prend du sens et de l'importance avec ce qu’il y a autour. Car l’Opéra de Cavalli ne raconte pas que leur romance qui se déroule sous le joug des dieux, mais aussi celle des amours compliquées de Thésée et d’Hypolyte, jouée par la mezzo-soprano Guiseppa Bridelli, et de leurs compagnons de route et hôtes durant leurs péripéties.

Inscrite ni dans la comédie, ni dans la tragédie, la création de Cavalli mélange les genres, alternant entre le dramatique et le comique, mais ne tombant pas dans le piège de la violence sanglante ou de la bouffonnerie à outrance. Notons le talent de Zachary Wilder (ténor), qui est chargé de jouer Iro, le bouffon du roi Tyndare (père putatif d’Hélène) et suit les personnages tout au long de la pièce dans divers costumes. Il accomplit son devoir car nous fait rire dès ses premières notes. Gestes, expressions et jeux de tons : l’humour n’a pas de secret pour ce personnage léger, mais pourtant essentiel dans l’avancement de l’action.

Plus que des acteurs, plus que des chanteurs, les artistes qui construisent ce spectacle sont de véritables performeurs : chantant debout, assis, couché, ils clouent les spectateurs dans leurs sièges pour 3 heures qu'ils ne voient pas passer.

La beauté de la musique de Cavalli, qui se trouve dans les harmonies, mais aussi dans la langue italienne, nous plonge dans ce qui faisait la richesse culturelle du Venise du 17e et 18e siècle : un travail de titan qui donne au final un bon exemple de ce que le monde du spectacle peut offrir de plus beau.

> Voici un petit aperçu de l'opéra de Cavalli, joué au Festival d'Aix-en-Provence en 2013 :

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