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La 9ème édition du festival Le Grand Bain

Du 1er mars au 2 avril 2022 se tenait la neuvième édition du festival de danse Le Grand Bain organisé par le Gymnase CDCN (Centre de Développement Chorégraphique National). La structure est depuis peu dirigée par Laurent Meheust qui succède à Céline Bréant depuis mars dernier. Plus d’une trentaine de compagnies accueillies sur tout le territoire des Hauts-de-France se sont mouillées pour nous présenter certaines de leur création. LilleLaNuit est allé voir quelques unes d’entre elles.

LA PIÈCE ATTENDUE DU FESTIVAL

Palermo Palermo, l’une des pièces les plus attendues de la programmation du festival a été proposée par l’Opéra de Lille dans le cadre du Grand Bain le jeudi 17 mars. Considérée comme l’une des œuvres phares du répertoire de Pina Bausch, elle est créée en 1989 suite à une commande du maire de Palerme afin de redorer l’image de la ville qui vit alors sous le joug de la mafia. Le spectacle n’est pourtant pas politique mais il tend à rendre l’atmosphère de la ville italienne.

La première image du spectacle est saisissante puisqu’un immense mur de parpaings – faisant référence aux murs antiques de Palerme – s’effondre sur le plateau laissant entrevoir une perspective nouvelle. Le chaos scénique provoqué par cet écroulement constituera la scénographie de la pièce, le terrain de jeu des danseurs. On pourrait y voir un lien avec la chute du mur de Berlin mais la chorégraphe s’en est toujours défendue. Avec plus d’une vingtaine d’artistes sur le plateau de l’Opéra, on retrouve les mouvements spécifiques de l’esthétique bauschienne dans les duos notamment : repousser, attirer, désirer, éviter et la spirale qui représente le déséquilibre permanent entre chute et redressement. Il y a peu de danses collectives contrairement à certaines autres pièces de la chorégraphe, mais il y a davantage de situations théâtrales liées à l’atmosphère de Palerme (rapport à l’argent, à la mafia, au veuvage, au machisme). Les saynètes se succèdent sans qu’il n’y ait vraiment de lien entre elles. Le choix des musiques est très varié allant du jazz, à une musique Renaissance ou à une musique africaine car la ville de Palerme est traversée par différentes influences musicales. L’ambiance sonore faite d’un son de cloches lancinant, d’aboiements de chiens errants ou de chants des cigales viennent nous plonger au cœur de la ville sicilienne. L’émotion que dégage la pièce réside en partie du mélange, au plateau, de l’ancienne génération de danseurs ayant bien connu la chorégraphe avec la nouvelle.

L’univers chorégraphique de Pina Bausch a considérablement fait évoluer la danse et Palermo Palermo même trente ans après sa création continue d’inspirer.

ENTRE DANSE ET THÉÂTRALITÉ

Le jeudi 24 mars, Guerillères de Marta Izquierdo Muñoz, seconde pièce d’un diptyque qui suit IMAGO-GO (2018), était accueillie au Gymnase de Roubaix. La chorégraphe s’inspire des communauté de femmes décrites dans le livre de Monique Wittig, Les Guerillères.

Les trois interprètes évoluent dans un environnement fictionnel coloré entre utopie et dystopie. Elles incarnent des femmes vivant en communauté n’ayant pas recours au langage mais à des signes, des symboles, des rites sonores et corporelles. Marta Izquierdo Muñoz déconstruit la figure de la guerrière en s’approchant de sa représentation dans la culture populaire. Elle fait référence par des costumes déjantés et un maquillage loufoque aux Amazones, à Wonder Woman ou encore à l’aventurière Barbarella. La scénographie représente un canyon cartographié par de l’adhésif fluorescent. La chorégraphe joue avec drôlerie sur une vision archétypale de la guerrière à la fois héroïne et icône, qui en comparaison place forcément les femmes en position de perdantes. Marta Izquierdo Muñoz possède un certain sens de l’auto-dérision mais la pièce ne semble axée que sur du second degré. Le manque d’évolution dramaturgique place le spectateur en distance avec le sujet. Il n’en reste pas moins que certaines situations nous embarquent dans l’univers de la chorégraphe.

Ceux-qui-vont-contre-le-vent était présenté à la Condition Publique de Roubaix par le festival le mercredi 30 mars. Il est difficile de qualifier l’univers de Nathalie Béasse tant son travail se trouve à la frontière de diverses disciplines. Le spectacle est traversé par la thématique du manque, de l’absence, de la disparition à partir d’extraits de textes de Gustave Flaubert, Falk Richter, Maria Rilke, Fiodor Dostoïevski, Marguerite Duras et Gertrude Stein qui seront interprétés par les artistes sous forme de monologues.

Le titre du spectacle fait référence au nom de la tribu nord-amérindienne des Omahas : « La tribu de ceux-qui-vont-contre-le-vent me plaît par ces tirets entre plusieurs mots qui n’en font qu’un. La phrase devient mot, devient titre, et m’invite à aller contre une matière (le vent, le courant), moi qui suis sensible au cosmos, aux éléments. » Nathalie Béasse n’est jamais dans une démonstration de force mais dans un rapport au monde tout à fait onirique fait de surprises, de quiproquos, de vertiges, de petits riens et d’incommodités. Malheureusement la pièce n’est pas une grande surprise et sonne comme un air de déjà vu dans les précédents spectacles de la metteuse en scène. L’intensité des interprètes et le jeu se trouvent à l’endroit des images, des situations souvent cocasses et émouvantes où le corps est engagé de manière subtile mais dès que le texte surgit, le corps devient absent rendant difficile l’écoute de ces passages.

POUR CLÔTURER LE FESTIVAL le grand bain

Depuis dix ans, la chorégraphe Joanne Leighton recueille des photographies de rassemblements et les met en scène avec neuf danseurs dans la pièce People United présentée à la Condition Publique. Les corps, en arrêt sur image, racontent des manifestations de contestation, de rébellion, de révolte mais aussi de commémoration, de célébration et de liesse. La pièce amène le spectateur à se concentrer sur différentes focales puisque chaque corps présente individuellement une force expressive mais il en présente une toute autre lorsqu’il se fédère au reste du groupe. Le mouvement du corps d’abord au ralenti, entrecoupé de ruptures, d’accents, de reset et de rewind déborde d'énergie au fur et à mesure  jusqu’à une forme de chaos joyeux. L’atmosphère sonore nous emmène, entre autres, dans l’effervescence de la ville de New York, en pleine manifestation à la Sorbonne ou encore devant le célèbre discours de Martin Luther King. La pièce résulte plus d’un intérêt formel que des causes qui ont animé ces rassemblements. C’est la raison pour laquelle le spectacle présente, à certains endroits, quelques longueurs. Même s'il tient d’une démarche purement esthétique, il nous fait réfléchir sur les évènements qui nous entourent en nous suggérant à quel point derrière chaque combat et chaque lutte, malgré le chaos, un élan d’humanité peut persister.

La danseuse Rebecca Journo nous présentait son premier solo déambulatoire L’épouse (2019) sous la verrière de la Condition Publique. Parmi les spectateurs Rebecca Journo, en mariée cadavérique rappelant l’univers de Tim Burton, se fraie un chemin pour parcourir l’allée qui la conduira à l’autel. Sur une musique électro martelante inspirée de la musique d’orgue, ses mouvements marionnettiques presque monstrueux rappellent les effets des premiers appareils du précinéma. L'artiste nous donne l’illusion d’une persistance rétinienne tant son corps est dégingandé, traversé par des micro-coupures. Son visage revêt un masque expressif figé, monstrueux de bonheur, mais les yeux de la danseuse racontent tout autre chose. Difficile de ne pas se laisser émouvoir tant la force expressive de ce solo nous bouleverse. Rebecca Journo est une artiste qu’il faut suivre sans aucun doute …

Photo : Palermo Palermo

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