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Körper de Sasha Waltz à l’Opéra de Lille

Dans le cadre du Festival des Latitudes Contemporaines, l’Opéra de Lille clôturait sa programmation de danse par Körper (« Les Corps ») ce jeudi 14 et vendredi 15 juin 2018. Cette pièce est créée par Sasha Waltz en 2000 alors qu’elle vient d’être nommée à la direction du théâtre de la Schaubühne à Berlin aux côtés du metteur en scène Thomas Ostermeier. Körper est la première pièce d’une trilogie (suivent S et noBody) pour treize danseurs de sa compagnie Sasha Waltz & Guests s’interrogeant sur la question du corps.

Une atmosphère froide et métallique

Dans ce spectacle, le corps est uniquement un matériau dépourvu d’identité. Il ne s’agit ici que de se concentrer sur l'objectivité du corps, autrement dit sur ce que le corps constitue en tant que matière et non en tant que sujet. C’est dans une série de tableaux que Sasha Waltz fait part de ses questionnements. Un immense mur noir structure le plateau accentuant la hauteur de la salle. Alors que tous les spectateurs ne sont pas encore installés et que les lumières ne sont pas encore éteintes, le spectacle débute. Deux danseurs ne cessent de répéter la même variation avec une extrême précision. L’atmosphère du spectacle est froide et métallique, la musique de Hans Peter Kuhn qu’on pourrait davantage qualifier de matière sonore ou de bruitages entrave toute forme de divagation ou de désir à la rêverie. Elle se rapproche de la musique concrète initiée par Pierre Schaeffer.

La scène comme laboratoire pour le public

Les danseurs sont purement des exécutants sans émotion et le geste est chirurgical. Le spectateur est troublé par la synchronisation des corps. Ressentent-ils bien quelque chose en exécutant tout cela ? Cela évoque les camps d’extermination où le corps n’est vu que comme un simple objet, déshumanisé et contraint à de multiples violences. Dans sa pièce, Sasha Waltz s’intéresse au corps en tant que structure, architecture. Il est sujet à des expériences : les treize danseurs sont enfermés derrière une petite paroi vitrée dans laquelle ils évoluent très lentement. Cela donne l’illusion d’une expérimentation, d’un laboratoire dans lequel le public, à travers une lame de microscope serait l’observateur de ces êtres ; la peau devient une matière mollasse et extensible.

Körper de Sasha Waltz, une pièce majeure du XXI ème siècle

Malgré cette ambiance un peu sinistre, le spectacle reste empreint d’un humour décalé. Dès le début de la pièce, il y a des trous dans ce grand mur noir ne laissant passer qu'un doigt, un ventre, un bras ou une jambe. Une autre scène montre toutes les parties du corps à vendre avec beaucoup de dérision dénonçant ainsi le trafic d’organes. Il semble y avoir une véritable structure dans la pièce puisque après ces enchaînements exécutés à la perfection, presque de manière psychotique, les danseurs sombrent dans une folie délirante. On aperçoit un danseur descendant le mur en ski comme s’il était sur une piste. Un autre déchirant sauvagement une peluche pour s’en faire un masque. L’imposant mur noir s’effondre sur scène. Puis, alors qu’il n’y avait jusque là que des bruitages, on entend un air d’accordéon et les artistes dansent en duo de manière plus charnelle et plus sensuelle. Il y a une progression dans le spectacle qui semble considérer davantage la notion d’individu. Pourtant, les bruitages et les corps-exécutants refont surface. Bien qu’il n’y ait aucune narration dans cette pièce et qu’il ne s’agisse que d’une série de tableaux, le spectacle semblait structuré par une progression dont la fin pourtant ne s’y inscrit pas.

Körper est une pièce majeure du XXI ème siècle qui ne laisse pas indifférent son spectateur. On ressort du spectacle empli d’interrogations et subjugué par la performance physique, la synchronisation des artistes et captivé par la difficulté que représente le spectacle à interpréter.

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