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Le Next festival, édition 2024

Du 6 au 30 novembre 2024 se tenait le NEXT festival dont la programmation de cette édition se nommait « NEXT to you ». Cet évènement transfrontalier a pour but de rapprocher et de faire corps dans un climat mondial de tensions et de guerres où seuls la cohésion et le partage par-delà les frontières pourront nous rendre meilleur.es. Cette année, le NEXT proposait des spectacles qui, à leur manière, ont fait révolution, il nous rapproche aussi de certaines grandes figures et il continue de diffuser des œuvres qui font lien entre les arts. Bien que quelques spectacles aient véritablement conquis LillelaNuit, l'expérience globale n'a pas toujours été à la hauteur des attentes...

QUAND LES SPECTACLES FONT LEUR RÉVOLUTION

L’artiste pluridisciplinaire Ntando Cele ouvrait le festival et présentait deux spectacles lors de cette édition du NEXT : SPAfrica que LillelaNuit avait vu et adoré lors de la 21 ème édition du Festival des Latitudes Contemporaines et Wasted Land au Centre Culturel Het Perron à Ypres (Belgique). Ntando Cele établit un lien entre l’expansion d’un mode de vie capitaliste, le racisme et les inégalités entre pays du sud et pays du nord. Ils sont les thèmes centraux de son travail. Dans Wasted Land l’artiste dénonce une nouvelle forme de colonialisme en partie engendrée par la surconsommation de fast fashion des pays riches exploitant ainsi la main d’œuvre des pays pauvres. Ces derniers subissent directement les effets du réchauffement climatique. La conscience écologique est déjà un privilège pour les pays occidentaux. Pour les autres pays, il faut survivre. Avec un humour acerbe et piquant, Ntando Cele avec trois chanteuses/performeuses raillent notre mode de vie occidental dans une décharge de vêtements en guise de scénographie. Elles recréent des séquences qui vacillent progressivement vers le ridicule et l’absurdité : un défilé de mode devient malaisant ;  les paroles d’une séquence sont chantées en anglais avec ironie à la façon d’une comédie musicale, forme artistique américaine par excellence tournant ainsi en dérision le berceau du capitalisme. Les discours bienveillants qui minimisent les conséquences de l’industrie la plus polluante sont moqués. Avec l’utilisation de la vidéo, la pièce reprend les codes du zapping et du scrolling et tend à montrer que notre surconsommation de fast-fashion va de pair avec celle de nos écrans. Ntando Cele renvoie notre propre violence en pleine face. Wasted Land est une pièce inconfortable qui nous déplace dans nos principes car elle assène une vérité difficile à assumer.

Nuggets, solo philosophique de l’artiste néerlandais Maxim Storms, déploie des situations absurdes et drôles dans lesquelles le personnage est isolé dans son propre univers et où tout part à vau-l’eau. Le plateau du Centre Culturel de Steiger à Menen (Belgique) est recouvert de matériaux insolites avec lesquels le personnage essaie de bâtir un monde meilleur. L’accumulation des objets indique l’envie irrépressible mais vaine de combler le vide qui l’habite. Tout reste à créer mais que peut-on construire quand tout s’effondre et que plus rien n’a de sens ? Le public est tiraillé entre les rires et les larmes. Le personnage sujet à des crises existentielles déambule parmi les objets qui font état d’un corps fragmenté. Il est un anti-héros à la situation désespérée. Cette pièce grotesque et loufoque questionne de manière universelle la nature de notre existence et les conséquences de notre perdition. Une pièce coup de cœur de LillelaNuit.

C’est avec plein de fougue, de rage et de révolte que six danseur.euses hip-hop se sont emparé.es de la scène du Grand Bleu dans le spectacle Havoc (« ravage » en anglais) du chorégraphe Haider Al Timimi. La danse hip-hop naît d’un mouvement contestataire à New York dans les années 70. Elle est un cri de révolte de ceux qui la pratiquent. Les pionnièr.es, bouillant.es, s’insurgent et se soulèvent contre le système établi. Entre breaking, popping, krump et hip-hop, les danseur.euses, à l’énergie débordante et à la technique irréprochable sont impressionnant.es. LillelaNuit est époustouflé par la spectacularité de la danse. Néanmoins, une danseuse bien en-dessous par rapport aux autres semble peiner à trouver sa place. Hélas, en dénonçant les conflits armés dans le monde sans en nommer aucun, le propos paraît simplet. La scénographie appuie et insiste lourdement sur certains effets rendant la mise en scène dépassée. Les artistes foulent un tapis miroir rouge symbolisant une mare de sang ou un sol ardent sur lequel leurs pieds et leurs mains battent la mesure ; les costumes représentent des tenues militaires ; un char gonflable géant dont le canon se dresse ou s’affaisse incarne un désir de pouvoir, de territoire et de domination ; un graffiti géant « too tired to think révolutionary » (« trop fatigué pour penser révolutionnaire » en anglais) suggère que l’art ne suffit pas pour faire faillir un système bien en place.

Avec sa pièce provocatrice Bless this mess (« bénis ce désordre » en anglais) présentée au Budascoop de Courtrai et à l’Oiseau-Mouche de Roubaix, Katerina Andreou expose férocement le mal contemporain, celui d’une jeunesse impuissante et désœuvrée mais révoltée. Interprétée par quatre danseur.euses dont Katerina Andreou, la chorégraphie s’inspire du mouvement punk avec le refus d’une approche formelle et construite, des effets et des jeux vocaux, des sonorités ayant recours à la musique classique avec la répétition en boucle et forte d’une séquence de clavecin. Le mouvement et la musique sont si excessifs et saturés qu’ils entrainent une phase aveugle et sourde pour LillelaNuit car le travail est trop convulsif, radical, absolu. La pièce ouvre les vannes d’une énergie violente sous les feux d’une lumière ardente. La pièce est un déversoir sensoriel que l’on se prend de plein fouet. La chorégraphe sait pertinemment qu’avec une approche nihiliste, le spectacle susciterait l’adhésion ou le rejet total. Cependant, bien souvent, l’exutoire est une parade pour se dérober du monde, une esquive pour se rendre absent à ce qui nous entoure. LillelaNuit n’a pas été conquis.

DES PERFORMANCES THÉÂTRALES ET MUSICALES

Avec son spectacle Los días afuera, la metteuse en scène et écrivaine argentine Lola Arias met en lumière le parcours de femmes cisgenres et de personnes transgenres anciennement incarcérées en Amérique latine et dénonce la binarité du système carcéral. Les six amateur.ices se présentent et racontent leur propre histoire en s’adressant au public sur la scène de la Condition Publique. Iels partagent leur expérience de la prison, se mettent en scène et rejouent certaines situations de leur vie qui les ont marqué.es. Lola Arias surfe ainsi sur une frontière poreuse entre le processus de création et le spectacle mais également entre la fiction et la non-fiction. Elle crée une forme documentaire musicale joyeuse au croisement duquel se niche de la vidéo, de la musique live hispano-américaine (cumbia, chanson de variété…), des témoignages, des moments chorégraphiés et chantés, des photos projetées. Les scènes se jouent dans une voiture ou sur un échafaudage, symboles de liberté et d’une vie en reconstruction. La dramaturgie s’établit sur des séquences et s’appuie sur la façon dont les témoignages vont se répondre les uns avec les autres. Los días afuera humanise ces ex-détenu.es dont le parcours de vie a mal démarré. Le spectacle interroge le déterminisme social que nous subissons et la façon dont est prise en charge la réinsertion dans nos sociétés après l’expérience de la prison.

Le chanteur, compositeur, danseur et musicien dunkerquois Awir Leon a invité le chorégraphe Amala Dianor et le plasticien vidéaste Grégoire Korganow pour créer un concert mêlant danse et vidéo. Portant le même titre que son troisième album, Love You, Drink Water, cette performance pluridisciplinaire était présentée à la Condition Publique de Roubaix pour la dernière représentation de la tournée. Reconnus dans leur domaine, les trois artistes proposaient un concert dansé filmé avec des effets vidéos en direct ou retransmis. Awir Leon danse sur sa musique tantôt rythmée tantôt onirique. Cependant, le trio ne fonctionne pas. La présence d’Amala Dianor sur le plateau est à questionner et la chorégraphie paraît pauvre et démodée. La vidéo est très bien réalisée mais elle montre Awir Leon et Amala Dianor dans des postures excessivement flatteuses donnant l’impression qu'ils se plaisent plus a eux-mêmes qu’au public. Bien que LillelaNuit ait adoré la musique au genre éclectique d’Awir Leon, ce concert augmenté par la danse et la vidéo était too much.

Au métaphone du 9-9 bis de Oignies, la compagnie Bravo Zoulou dirigé par Halory Goerger présentait sa toute nouvelle création Jack. la pièce défend à la fois l’idée que la musique est salvatrice comme elle peut nous faire plonger dangereusement dans un monde parallèle. Dans un dispositif quadrifrontal, à la manière d’une thérapie de groupe, les trois comédien.nes jouent autour du DJ Cosmic Neman. La table de mixage devient le noyau autour duquel iels gravitent en se confiant. Le Dj thérapeute devient tantôt soignant tantôt gourou et ne communique qu’à travers la musique. Malheureusement le spectacle ne prend pas car tout est joué de la même façon pendant presque deux heures. La pièce est bavarde et on ne comprend pas très bien où est ce que le spectacle nous emmène. L’humour décalé qu’on perçoit dans l’écriture de la pièce ne fonctionne pas sur le plateau car le rire est sans cesse recherché et provoqué, il n’advient pas de lui même. Le jeu des acteur.ices manque de nuances et de reliefs donnant le sentiment qu’iels jouent entre et pour eux-mêmes. Il mériterait d’être plus intime pour que l’on se sente concerné.e par le sujet. Hélas, c’est sous les applaudissements timides du public que l’équipe de la pièce est venue saluer.

QUAND LE SPECTACLE VIVANT REND HOMMAGE À DE GRANDES FIGURES

La metteuse en scène et comédienne Camille Dagen et la scénographe Emma Depoid avec leur compagnie Animal Architecte proposait avec Les Forces Vives une fresque théâtrale sur la vie de Simone de Beauvoir au Phénix de Valenciennes. Le pari est audacieux voire risqué puisque la biographie au théâtre à la manière d’un « biopic » n’est pas une évidence mais c’est un véritable tour de force de la part des deux jeunes artistes. A partir de certains écrits de Simone de Beauvoir notamment ses mémoires, le spectacle en deux parties parcourt toute la vie de l’écrivaine, de sa petite enfance à sa mort. Alors que la première partie est centrée sur la vie de Simone de Beauvoir, la deuxième s’axe davantage sur les évènements de la guerre d’Algérie pour laquelle l’écrivaine s’est beaucoup engagée en faveur des Algériens. L’angle de vue et l’approche par laquelle est racontée cet épisode de sa vie change peu à peu. Le seul bémol est que le spectacle méritait peut-être de dépeindre l’écrivaine que sous un angle. Chaque acteur.ice endosse un rôle différent, d’ailleurs plusieurs comédiennes interprètent Simone de Beauvoir à différents moments de sa vie. Au début de la pièce, le public est immergé dans l’environnement familial bourgeois et conservateur de la philosophe qui s’en émancipe par désir d’indépendance et de liberté. Simone de Beauvoir veut une vie à la hauteur de ses ambitions. Elle rencontre celles et ceux qui deviendront  de grandes figures intellectuelles tel.les que Maurice Merleau-ponty, Élisabeth Lacoin alias « Zaza », Jean-Paul Sartre, André Gide jouées par les comédien.nes au plateau. La scénographie est ingénueuse. Mobile sur roulettes, elle est déplacée par les interprètes à la vue du public. Ainsi un intérieur bourgeois se transforme en cage « dorée ». Camille Dagen et Emma Depoid arrivent à dresser le trajet intime d’une personnalité hors norme avec ses initiations, ses coups durs, ses engagements et ses désillusions. Simone de Beauvoir avec ses ambitions, ses combats et ses luttes devient le personnage central représentante des aspirations de toute une génération. La société dans laquelle elle a évolué l’a transformée au même titre qu’elle a fortement contribué à faire bougé les lignes des générations futures. La pièce est sans aucun doute le grand coup de cœur de LillelaNuit parmi cette édition du Next festival.

Alors qu’au XXème siècle la Pologne est un pays d’avant-garde concernant le droit des femmes à disposer de leur corps, depuis quelques années, la loi sur l’avortement en Pologne devient l’une des plus restrictive d’Europe. Dans une forme documentaire présentée au Théâtre de l’Idéal à Tourcoing, Gosia Wdowik avec She was a Friend of Someone Else met en lumière par le biais d’une narratrice l’histoire d’Agnieszka, une activiste féministe qui, épuisée de lutter pour ses droits, cesse de manifester. Le corps de deux interprètes figurent l’état d’esprit dans lequel s’est trouvée Agnieszka. Cela n’apporte rien de particulier au propos sinon que de ne l’appuyer avec emphase. Des vidéos de témoignages d’Agnieszka sont diffusées sur une télé et des yeux géants qui se démultiplient, scrutant et épiant la narratrice. La mise en scène est dépouillée dans une volonté de valoriser le discours. Cependant à force d’épurer la forme, le fond du propos se trouve lui aussi simplifié. La pièce manquait de consistance pour qu’elle puisse prendre toute sa puissance.

Kono atori no dokoka (« quelque part par ici » en japonais) de Michikazu Matsune et Martine Pisani et accueillie au Budascoop de Courtrai est une pièce documentaire poétique rendant hommage avec humour et délicatesse au travail de celle-ci, malade depuis plusieurs années. Avec le peintre et performeur Théo Kooijman, ancien interprète de Martine Pisani, les trois artistes au plateau entremêlent leurs imaginaires, leurs souvenirs avec des images d’archives, des photos et des textes issus des cahiers de travail de Martine Pisani. Sans mélancolie mais avec retenue et décalage, la pièce questionne ce qu’il reste de la danse, alors même qu’elle se définit par son éphémérité. Dans une forme dépouillée, le spectacle est un voyage à l’intérieur de la mémoire des trois artistes. Ils partagent leurs impressions avec auto-dérision, pudeur, parfois trouble et maladresse laissant voir leur fragilité et faisant naitre des situations cocasses. L’économie de gestes et de mots montre l’essentiel, invisible des yeux. Bien que LillelaNuit ait aimé la poésie, la sobriété et la drôlerie de la pièce, elle s’adressait à un public avisé et connaisseur de la danse.

Crédit photo : © Simon Gosselin pour Les Forces Vives d'Animal Architecte

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