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Nelken de Pina Bausch à l’Opéra de Lille

Après avoir accueilli Palermo Palermo en 2022, l’Opéra de Lille accueillait Nelken ("œillets" en allemand) de Pina Bausch du 6 au 10 novembre 2024 dans le cadre du NEXT festival. La chorégraphe, décédée en 2009, a composé un chef d’œuvre en soulignant la fragilité et la vulnérabilité de situations de la vie ordinaire. Dans son approche, elle élaborait ses spectacles à partir du vécu de ses danseurs et danseuses. Cette pièce créée en 1982, est reprise par les jeunes interprètes de la Tanztheater de Wuppertal, compagnie de Pina Bausch désormais dirigée par Boris Charmatz. La difficulté était à la fois de reprendre les rôles avec précision sans ne jamais copier l’ancienne génération pour laquelle cette pièce avait été composée.

la SCÉNOGRAPHIE SURRÉALISTE de Nelken de Pina Bausch

Le scénographe Peter Pabst, collaborateur de Pina Bausch, a inventé un espace surréaliste au seuil duquel tous nos fantasmes pourraient se jouer mais d’où les personnages auraient la sensation d’être observés. L’image est forte, 8000 œillets jonchent le plateau de l’Opéra de Lille. Ce champ de fleurs confiné dans la salle devient la métaphore de nos désordres intérieurs, de nos désirs réprimés, de nos rêves inavouables qui ne demanderaient qu’à être révélés. Les fleurs modifient le mouvement au même titre que le champ d’œillets se transforme petit à petit en ruine. Bien qu’elle ait été créée il y a plus de 40 ans, la pièce résonne avec les évènements politiques d’aujourd’hui notamment à travers le personnage qui ne cesse de demander aux autres leur passeport. Les interprètes se transforment en lapin sous le regard de quatre bergers allemands qui prennent alors l’ascendant. Entre des jeux d’attraction, de rupture, d’attachement, de déraison, de répulsion, d’appartenance et d’altération, la question de la violence entre les êtres et le désir de pouvoir est prégnant dans ce spectacle. A travers ce champ de fleurs qui paraît s’étendre au delà de l’espace scénique, Pina Bausch joue avec l’idée de frontière physique, politique et inconsciente. Que peut-on véritablement délimité ?

LA DANSE NAÎT DE  SITUATIONS TIRÉES À L’EXTRÊME

Il n’y a pas de suite dramaturgique logique, la chorégraphe construit ses pièces en ayant recourt au collage. Comme un jaillissement soudain, les situations se succèdent  dans ce même décor avec ou sans parole et laisse à chacun.e des spectateur.ices la possibilité d’une interprétation plurielle. Les 16 danseur.uses et les 4 cascadeurs en longue robe de soirée ou en costume s’habillent, se déshabillent, jouent, s’aiment, se repoussent, s’embrassent, se rejettent ou s’humilient. La répétition de certaines paroles ou de certains mouvements devient obsessionnelle, insensée, nerveuse, ravageuse et joyeuse. Celle qui a fait connaître et développé la danse-théâtre dans le monde entier fait un pied de nez à celles et ceux qui critiqueraient ces pièces comme n’étant pas de la danse. L’un des danseurs, prodige, agressif et magnifique répète avec hargne « qu’est ce que vous voulez voir ? » tout en réalisant des figures purement technique de la danse classique. Cette scène de démonstration signe le refus de n’être cantonné qu’à un seul emploi, de n’être considéré que d’une seule manière tout autant que de ne circonscrire la danse qu’à travers un seul genre. Nelken est une pièce phare de Pina Bausch qui met en lumière la multiplicité, la complexité et les incohérences de l’âme humaine.

Crédit photo : © Tony Lewis.

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