"LA VIE, C'ETAIT LA MORT".
Parler pour ceux qui sont partis
Paul Felenbok et Wlodka Blit-Robertson, deux cousins de sept et douze ans, réussissent à s’enfuir du ghetto de Varsovie en avril 1943, juste avant le soulèvement et en plein coeur de la guerre. Ils ont choisi de transmettre leur histoire en la racontant à David Lescot, dépositaire et metteur en scène des paroles de ces deux survivants miraculés, témoins rares et vivants de cette histoire qu’ils peinent encore à formuler. Ils sont ceux qui restent, ceux qui parlent pour les disparus, pour leur famille hétéroclite, avec des religieux et des laïcs, des révolutionnaires et des sionistes, leur famille comme mosaïque plurielle et complexe à l’image de l’identité juive. Ceux qui restent est une reprise de la mise en scène qui avait reçu le Prix du Syndicat de la critique 2014, en tant que meilleur création d’une pièce en langue française.
David Lescot choisit un dispositif simple et minimal pour diriger les deux acteurs, Antoine Mathieu et Marie Desgranges, qui témoignent pour les survivants. Respectivement Paul/Pavel et Wlodka, chacun va interroger l’autre à tour de rôle, adoptant alors la posture de D. Lescot, celui qui accouche le témoignage. Un plateau nu et deux chaises, une lumière brute, des costumes marqués par la banalité : aucune trait distinctif, rien n’ancre la pièce dans l’histoire de Paul et de Wlodka ; les acteurs sont seulement dépositaires de cette parole tâtonnante, mais pleine de bonne volonté. Leur jeu est marqué par la dignité et la distance, mais aussi par un certain humour venant désamorcer la tension et l’émotion, qui ne débordera d’ailleurs jamais. « Je voulais vraiment rentrer dans les détails de la vie quotidienne, raconte-t-il. C'était pour moi la seule manière de rendre l'histoire sensible, humaine, sans tomber dans une émotion facile, et dans les clichés. » dira d’ailleurs le metteur en scène.
Ceux qui restent est un authentique moment de vérité éclatante. « Il m'a semblé évident, dès le départ, que tout ce que je pourrais écrire serait moins fort que leur parole ». Pourtant, la rareté du témoignage de ces survivants demeure saisissante, en partie grâce au travail de montage des entretiens exécuté par D. Lescot : avec ce spectacle, on entre dans la petite histoire individuelle, l’anecdotique mais également dans la grande Histoire. Les acteurs viennent témoigner pour des témoins qui ne peuvent pas le faire, qui ne savent pas ou ne veulent pas : A. Mathieu et M. Desgranges sont la voix des souvenirs des rescapés. Nous sommes en plein cœur d’un théâtre-documentaire, d’un théâtre-témoignage, où la parole n’est pas brute, mais où tout est raconté ensemble, où l’histoire se construit peu à peu grâce à des détails saisissants. Avec Ceux qui restent, D. Lescot propose une méditation sur le théâtre, l’histoire et le dialogue - c’est un hommage vibrant à la transmission, à l’échange.et au témoin.
