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Retour à Argos au Théâtre du Nord

Mettre en œuvre une œuvre antique n’est jamais chose facile, encore plus quand il s’agit d’une pièce du dramaturge Eschyle, réputé le plus difficile des auteurs antiques. Pourtant Irène Bonnaud a su trouver un dispositif rendant toute sa valeur au texte ancien.

Retour à Argos est un spectacle qui est composé de trois textes différents : l’ouverture est le prologue du Prométhée enchaîné d’Eschyle, mettant en scène Prométhée contant à Io sa destinée ; Io est une jeune fille pourchassée par la colère d’Héra car son époux, Zeus, l’a aimée. Pour la punir, Héra a transformé Io en vache et l’a condamnée à errer. Prométhée raconte à la malheureuse que ses souffrances cesseront un jour, quand elle arrivera en terre d’Egypte. Malheureusement ses descendantes, les Danaïdes, seront un jour contraintes à l’exil, fuyant un mariage forcé. C’est là que commencent les Exilées d’Eschyle ; ces jeunes filles, qui ont quitté leur terre natale, l’Egypte, viennent demander à la cité d’Argos, terre d’origine de leur ancêtre, de les accueillir, de les protéger face à la menace qui plane chez elles. L’intérêt d’avoir juxtaposé ses deux œuvres est de permettre d’inscrire fortement la thématique de l’errance, de l’exil, à travers Io et les jeunes Danaïdes.

L’originalité du spectacle tient surtout en ce que cette œuvre antique devient l’occasion pour Irène Bonnaud de commenter notre actualité. Le décor représentant une plage des dunes. Au centre, un bunker en partie enfoui dans le sable, rappelant le paysage du Nord de la France. Lorsqu’arrivent sur scène les Danaïdes, tout ce décor prend sens et donne à ce spectacle une réelle dimension polémique. Les actrices sont noires, vêtues à la manière traditionnelle des femmes africaines, apportant avec elles de grands sacs plastiques, portant des bidons d’eau. Nous voilà face à des réfugiées sur les plages de Calais, de Sangate, demandant à l’Europe de les accueillir.


Le texte d’Eschyle acquiert alors un message contemporain : faut-il ou non accueillir ses jeunes femmes, au risque de mettre la cité en danger ? Eschyle dit « oui » à la fin de l’œuvre…et nous ?

Ce qu’Irène Bonnaud a décidé de faire des chœurs antiques est à noter car cela permet au spectacle de s’ancrer dans une dimension poétique toute particulière. De fait, le théâtre grec alternait entre moments de jeu d’acteurs et moments de chants ; et de nos jours, mettre en scène ses passages chantés relèvent du défi. Ici, le défi est relevé : les actrices interprètent des chants africains, faisant entendre une langue étrangère sur scène, une langue qui les renvoie bien à leur statut d’exilées sur une terre qui n’est plus la leur, où elles se sentent perdues, mais dont elles espèrent le secours.

Là où on peut émettre quelques réserves sur le spectacle, c’est donc le choix du troisième texte que l’on entend à deux moments du spectacle ; Irène Bonnaud a choisi d’insérer un texte moderne de Violaine Schwartz, qui, malgré ses qualités littéraires, fonctionne mal à côté de la langue d’Eschyle. Le décor et le choix des actrices suffisaient à faire comprendre au spectateur l’enjeu actuel de la mise en scène, il était inutile d’ajouter une « explication de textes » pour décoder le spectacle… Heureusement, les passages d’Eschyle, la qualité du jeu des acteurs, la poésie du décor restent ce que l’on retient de ce spectacle.

A voir au théâtre du Nord du 15 au 28 mars.

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