Aujourd’hui9 événements

Alpha Blondy + The Congos + The Abyssinians à l’Aéronef – Paradis Artificiels

Les vieux de la Weed. Rastamen à l'âge de la retraite. Ou presque. Ce sont de grandes figures de la musique Reggae qui sont conviées ce soir au Zénith de Lille. Les Jamaïcains de The Abyssinians et de The Congos. Ainsi que l'africain Alpha Blondy. Des légendes. Des noms mythiques. Le Buena Kingston Social Club, en quelque sorte.

Peu de monde pourtant. Les gradins restent fermés. On circule facilement dans la fosse. Néanmoins l'ambiance est conviviale. On évite la caricature. Pas de perruques de fausses Dreads à l'horizon. Mais pas de nuage de fumée qui flotte sur les têtes non plus. Les fumeurs de Ganja sont priés (gentiment, il faut le souligner) d'assouvir leur vice délinquant à l'extérieur. Soyons politiquement anti-corrects: la loi anti-tabac fait du mal aux lieux de spectacles. Aseptise l'ambiance de certains concerts. Que l'on soit fumeur ou non, un concert de Reggae sans feuilles roulées incandescentes, sans cette odeur particulière et épicée, est assez triste. Il manque quelque chose au décor. Autant interdire la bière à un concert de Metal tant qu'on y est.

The Abysinnians sont les premiers à monter sur scène. Depuis 1969, ce groupe exprime l'âme du reggae en s'inspirant des grands chanteurs de la musique Soul américaine tels que Sam Cooke ou Curtis Mayfield. Et a livré quelques classiques, bien connus des connaisseurs: les albums Satta Massagana, Forward On To Zion ou encore Arise... Des albums où les paroles, empreintes de mysticisme, s'inspirent de l'Ancien Testament et délivrent des messages de paix et de rapprochement entre les peuples. Le trio original, David Morrison, Bernard Collins et Donald Manning, se montre toujours fringant. Il cultive soigneusement son image: survêtement aux couleurs jamaïcaines et bonnet rastafarien pour l'un, tunique africaine ou tenue militaire pour les autres. Les harmonies vocales sont superbes. Les chanteurs se partagent à tour de rôle les différentes tunes du groupe. Leur regard pétille. Ils continuent de s'amuser comme de vieux gamins des rues de Kingston. L'âge n'a aucune prise sur leurs facultés vocales. Bien au contraire. Il gorge les voix d'une sagesse qui sied remarquablement aux lyrics. Le répertoire s'articule autour des standards du groupe: les immortels « Satta Massagana », « Declaration Of Right », « Y Gas Man »... Le set est plaisant. Malheureusement, les musiciens qui accompagnent The Abyssinians sont quelconques. Un groupe de requins. Sans complicité apparente. Effacés. Ne partageant et ne renvoyant pas l'énergie, la conviction que dégagent leurs illustres ainés. Le mot « Roots » revient souvent dans les déclarations du trio alors que l'on est à des galaxies de la production originelle des albums. Les arrangements sont trop lisses. La basse et la batterie manquent de connivence. La section rythmique est médiocre. Les sonorités du clavier sont synthétiques, plastiques, désuètes... Aussi mélodieuses que dans un jingle de supermarché... Rageant.

Pas de chance. Quand The Abyssinians quittent la scène sous les applaudissements, les musiciens restent. Confirmation qu'il s'agit bien de requins. De mercenaires sans âme jouant le cachet. Un comble pour The Congos. Une des formations les plus sensibles de Jamaïque. Dont le fabuleux Heart Of The Congos, enregistré en 1976, ne sortit sur le marché européen que 20 ans plus tard à l'occasion d'une réédition. Chris Blackwell, le fondateur et producteur du label Island, ayant eu peur qu'il ne fasse de l'ombre au Rastaman Vibration de Bob Marley à l'époque! Comme leurs prédécesseurs, les membres de The Congos, malgré le poids des ans, gardent tout de leur superbe. Reformés en 2006, après un arrêt de presque 30 ans, les chanteurs de The Congos, Cedric Myton, Watty Burnett, Konroy Fiffe et Roy 'Ashanti' Johnson, sont visiblement ravis de reprendre la route ensemble et de rattraper le temps perdu. L'alliance des voix est raffinée. Celle haut perchée de Cedric Myton fait des merveilles. De même que le baryton de Watty Burnett. Les chansons (« La La Bam », « Fisherman », « Children Crying », « Revolution », « Open the Gate »...) font preuve d'une grande spiritualité. Mais, encore une fois, le backing-band blasphème. Ne cherchant nullement à reproduire le son lourd et caractéristique des albums produits par le génie au cerveau cramé par trop de joints de Lee Scratch Perry. La basse est trop peu présente alors qu'elle est l'apport majeur du Reggae. Elle se doit de répondre au chanteur, de lui montrer le chemin à emprunter par sa grande importance rythmique et mélodique. Elle est son ossature. Ce n'est pas le cas ici. On attend vainement des passages Dub (quand les instrumentations ne se limitent qu'au squelette principal des compositions, le couple basse-batterie, créant ainsi une atmosphère hypnotique) mais cela n'arrive jamais. L'herbe n'est pas pure. Elle est coupée. Manque de THC et de saveur. La montée, bien qu'appréciable, est trop légère.

Instant de religiosité avec la montée d'Alpha Blondy sur scène. Ses pas sont guidés par les vers du Psaume 23: « Quand je marche dans la vallée de l'ombre de la mort, Je ne crains aucun mal, car Tu es avec moi ». Nul prosélytisme. Juste la volonté oecuménique de voir s'entendre les différentes religions. Le groupe d'Alpha, le Solar System, entame le morceau phare de l'artiste: « Jerusalem », symbole de paix et de réconciliation. Cris de joie dans le public.

Le charismatique chanteur est fidèle à lui-même. Son engagement politique et humain imprègne l'intégralité du concert. Avant d'interpréter « Course Au Pouvoir » (« Il y a du sang sur la route qui mène au pouvoir »), Alpha fait le triste bilan de la situation de son pays d'origine, la Côte d'Ivoire où plus qu'un chanteur, il est une figure politique, nommé Messager De La Paix pour l'Organisation des Nations Unies en 2005. Sincèrement impliqué, il s'exprime sur les causes qui lui tiennent à coeur. Il appelle au dialogue entre les diverses ethnies ivoiriennes. Souhaite voir cesser les conflits de par le monde en dressant la liste des pays en guerre.

La set-list est principalement centrée sur Vision, le dernier album en date (« Rasta Bourgeois », « Trop Bon », « Pinto », « Ma Tête », « Bogo », « Massaya ») et Jah Victory, le précédent disque (« Les Salauds », « Gban Gban », la reprise du « I Wish You Were Here » des Pink Floyd). Peu de titres des albums enregistrés avec le groupe de Bob Marley, les Wailers, la meilleure période de la discographie prolifique du chanteur, sont joués. « Travailler, C'Est Trop Dur » manque cruellement à l'appel. Dommage pour les fans de la première heure. Le son développé par le Solar System est sophistiqué. A l'image d'Alpha Blondy, il refuse les barrières. Prône l'ouverture. Les solos du lead guitar Micky Sene sont tranchants et imposants comme en témoigne le morceau « Peace In Liberia » joué comme un bon gros Rock.

Carré et efficace, le groupe ne crée néanmoins pas l'étincelle. Celle susceptible de faire entrer le public dans une transe que l'on est en droit d'attendre d'un concert Reggae. L'ambiance demeure bon enfant. Des sourires se lisent sur les visages. On sautille, on se dodeline sur les cadences chaloupées. Mais cela manque de folie et reste beaucoup trop sage.

Et, encore une fois, les puristes sont révoltés par l'aspect un peu trop commercial, policé des arrangements, loin, trop loin de l'esprit Roots. Pourquoi, diable, ne pas s'inspirer du travail de jeunes groupes actuels tels que Groundation ou Fat Freddy's Drop qui renouvèlent de belle manière le genre tout en gardant l'esprit originel? Les sonorités des synthétiseurs font presque passer ceux de Franky Vincent pour un orgue de la Motown. C'est d'ailleurs un peu gêné que l'on sent planer l'ombre du créole lubrique sur certaines chansons. Particulièrement sur « Vuvuzela » et ses puériles paroles: « Protège ton Vuvuzela avant de faire Waka Waka ». Indigne de l'érudition, de l'intelligence et de la culture dont fait preuve Alpha Blondy pour qui s'intéresse au bonhomme, a eu l'occasion de le voir en interview, de lire ses entretiens dans la presse musicale ou politique.

Ce que l'on retiendra de la soirée, c'est donc principalement l'aspect humain. La rencontre avec des personnalités respectables et admirables. Qui ont marqué d'une trace indélébile l'histoire du Reggae. Malheureusement, musicalement parlant, impossible d'affirmer que le concert, bien que sympathique, était en lui-même historique.

Revenir aux Live report Festivals
A lire et à voir aussi
163 queries in 0,373 seconds.