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Festival Tous Au Sud – Seun Kuti & Egypt 80 + La Familya + Deefly & The SQ’s

Dix ans d'existence pour le festival Tous Au Sud qui a maintenant pris plus que ses aises à La Halle De La Glisse. Un événement gratuit créé pour dynamiser et valoriser le Sud de Lille, pendant trop longtemps éloigné du rayonnement culturel du centre-ville. Une journée qui se veut à la fois festive et culturelle. De nombreuses animations et activités proposées par les associations du quartier (démonstrations de Capoeira, de danses urbaines, ateliers de calligraphie, découverte du cirque, accrobranche, trampolines...) dans l'après-midi. Et des concerts dans la soirée. Joli programme pour un dimanche printanier.

 

L'occasion de donner un soupçon d'âme à ce quartier un peu froid, sans réel centre névralgique. En pleine transformation comme le prouvent les multiples chantiers et sols en friche. De réunir différentes populations dans une ambiance de fête de village. Un patchwork humain où se mêlent un public familial, de proximité, trentenaires bohèmes et jeunes branchouilles. Une atmosphère qui n'est pas sans rappeler le film mosaïque Chacun Cherche Son Chat de Cedric Klapish qui montrait la mutation et la boboïsation du quartier de La Bastille à Paris au milieu des années 90.

19 heures. Sous un ciel quelque peu menaçant, la soirée musicale peut commencer sur l'imposante et belle scène installée sur le green de La Halle De La Glisse. Une installation qui n'a rien à envier à celles de festivals plus importants et à l'accès payant. Tellement impressionnante que c'est avec une réelle appréhension que Deefly & The SQ's, vainqueurs du Tremplin Chalet En Scène quelques semaines auparavant, la gravissent. Mais aguerris par leurs remarquées et remarquables premières parties données pour des artistes aussi divers que Chali 2 Na, True Live ou encore A State Of Mind, c'est avec un naturel désarmant que ce groupe Dunkerquois franchit ce cap supplémentaire dans leur jeune et prometteuse carrière. Une grande scène extérieure leur sied aussi bien que celle plus petite d'une salle de concerts classique. Et ne réduit en rien l'impact de leur musique atmosphérique.

Un Rap vraiment original et personnel, à la fois organique et électronique, marqué par la personnalité du MC et guitariste Deefly, de J Kid à la MPC, à la programmation et aux claviers et de Joanni à la batterie. Loin des clichés, leurs morceaux (« Jack And The King », « Lost Child », « Quiet Night », « Superair » osent s'affranchir des codes du Hip Hop. Les instrumentaux soignés et chaleureux de J Kid auxquels vient se greffer avec talent la batterie au groove profondément Soul ou Funk de Joanni traduisent à merveille la sensibilité et le dynamisme qui se dégagent du flow anglophone et particulier de Deefly, développant un phrasé et un accent qui n'appartiennent désormais qu'à lui. Une expérience aux frontières du Rap qui ne plonge jamais, contrairement à de nombreux artistes underground, dans des expérimentations stériles ou la masturbation intellectuelle (cf les récentes productions Anticon). Mais qui ose, chose rare dans le genre, jouer la carte de l'émotion. Et montrer ce que se doit d'être le Hip Hop. Une musique humaine, urbaine et sensible.

Place à La Familya, second vainqueur du tremplin Chalet En Scène. Une formation Reggae-Ska franco-belge jouissant d'une jolie réputation scénique. Qui se confirme instantanément. Les neuf membres du groupe n'ont en effet aucun mal à faire souffler un vent d'ondes positives et de bonnes vibrations sur le public. Car comme ils le clament: « Faut Qu'ça Bouge ». Puissance des cuivres, section basse-batterie imparable, jeu de guitare solide et complexe, subtilité du clavier (loin des sonorités synthétiques qui parasitent trop souvent le genre en concert), complémentarité des deux chanteurs (Greg et Much), le groupe impressionne par l'énergie qu'il dégage et sa maîtrise du Live.

Mais son principal talent est de réussir à « emmener dans son combat » ceux qui ne goûtent que du bout des lèvres le Reggae français, bien souvent trop caricatural, naïf et répétitif. La Familya aime le mélange et cela s'entend. A la manière des Neo-Zelandais de The Black Seeds, elle fusionne le Reggae et le Ska, dont elle emprunte les rythmes et les cuivres, à diverses influences anglo-saxonnes: le Funk, le Rock, la Pop... Tout en conservant ce qui fait le dynamisme de ces musiques. On décèle même quelques influences Metal ou Punk dans les riffs de guitare. En découle une musique d'une grande richesse mélodique, des titres aboutis (« La Grande Bouffe », « A Coup De Rames », « Des Millions »...) et une atmosphère travaillée.

Final en apothéose avec la tête d'affiche de la soirée: le Nigérian Seun Kuti. Un artiste au nom de famille lourd à porter. Il est en effet le fils d'une légende, d'un des musiciens les plus importants et les plus influents du siècle dernier, au même titre que Bob Marley par exemple, le mythique Fela Anikulapo Kuti, également surnommé le Black President. Le créateur de l'Afrobeat, genre musical se faisant confronter les rythmes traditionnels africains au Jazz et au Funk. Un héritage qui pourrait s'avérer écrasant mais que Seun assume à bras le corps.

A la tête du groupe Egypt 80, autrefois dirigé par son père, Seun restitue en effet à la perfection l'exceptionnelle musicalité de l'Afrobeat originel avec des morceaux torrides et frontaux avoisinant tous les dix minutes. Des invitations à la transe où les puissantes nappes de cuivres et les rythmiques aiguisées et frénétiques agissent tels des sortilèges sur les spectateurs perdant peu à peu le contrôle de leur corps. La dimension politique et révolutionnaire de cette musique est aussi de mise, les compositions étant au service d'un discours afrocentriste et d'une critique virulente de l'ingérence occidentale que subit le continent Africain.

Néanmoins, s'il s'impose, au même titre que son frère Femi, comme le digne fils de son père, Seun n'oublie pas pour autant de se faire un prénom. Ainsi si le timbre de sa voix rocailleuse et rugissante est très proche de celui de Fela, il cultive sa différence et façonne sa propre identité vocale. Soit en s'inspirant de la Soul (« You Can Run »). Ou en développant un phrasé influencé par le Spoken-Word et le Rap américain. Une manière d'actualiser l'Afrobeat et d'accentuer par ce style incantatoire l'aspect mystique et hypnotique de ses chansons. Son jeu de saxophone, virtuose, se montre également plus aérien et n'hésite pas à jouer avec les silences. Véritable bête de scène, il en vient presque à éclipser les prodigieux musiciens de son père. Dansant de manière saccadée, avec un érotisme animal, tous les regards se focalisent sur lui. Et c'est torse nu, les bras levés au ciel, comme pour remercier son défunt père du don qui lui a été donné qu'il conclura son envoûtant concert. Un très grand moment de World Music.

Il fallait décidément être carrément à l'ouest ou avoir perdu le nord pour ne pas se rendre au festival Tous Au Sud.

 

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